Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEGC.06.0389.N
1. H. Y.,
2. FORTIS INSURANCE BELGIUM,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
* * contre
ETAT BELGE, represente par le ministre de la Defense.
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
III. IV. Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le18 octobre 2005 par la cour d'appel de Bruxelles, statuant en tantque juridiction de renvoi à la suite de l'arret de cassation rendule 12 mai 2000 par la Cour.
V. Par ordonnance du 2 juillet 2007, le president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.
VI. Le president Ivan Verougstraete a fait rapport.
VII. L'avocat general Ria Mortier a conclu.
VIII. II. Le moyen de cassation
* Les demandeurs presentent un moyen dans leur requete.
* Dispositions legales violees
* articles 1382 et 1383 du Code civil ;
* article 5 de la loi du 9 mars 1953 realisant certainsajustements en matiere de pensions militaires etaccordant la gratuite des soins medicaux etpharmaceutiques aux invalides militaires du temps depaix, dans la version applicable avant son abrogationpar l'article 48 de la loi du 18 mai 1998 modifiant lalegislation relative aux pensions et aux rentes deguerre.
* Decisions et motifs critiques
Statuant par l'arret attaque du 18 octobre 2005 en tant que juridiction derenvoi apres cassation et statuant dans les limites de cette cassation, lacour d'appel de Bruxelles declare l'appel du jugement rendu le 9 octobre1995 par le tribunal de premiere instance de Gand interjete par ledefendeur egalement fonde pour le surplus, infirme le jugement dont appel,sauf en tant qu'il declare la demande originaire recevable et taxe lesdepens en premiere instance, et statuant à nouveau pour le surplus,declare la demande originaire egalement fondee pour le surplus.
En consequence, la cour d'appel de Bruxelles condamne les demandeurs insolidum à payer au defendeur une somme complementaire de239.031, 75 euros, majoree des interets compensatoires au taux legal àpartir du 1er aout 1990 et des interets judiciaires.
La cour d'appel fonde sa decision sur les motifs suivants :
« Les parties ne contestent plus que (le defendeur) a paye les fraismedicaux de monsieur M. M. qui resultent de l'accident de la circulationsurvenu le 3 aout 1989 en application de la loi du 9 mars 1953 realisantcertains ajustements en matiere de pensions militaires et accordant lagratuite des soins medicaux et pharmaceutiques aux invalides militaires dutemps de paix.
L'article 1 de la loi precitee dispose : 'Les invalides militaires dontl'invalidite est imputable à un fait dommageable survenu en temps depaix, durant le service et par le fait du service, ainsi que leurs ayantsdroit, peuvent pretendre à une pension de reparation dont les taux etconditions d'octroi sont fixes ci-apres'.
L'article 5 de la meme loi dispose : 'Les invalides militaires dontl'invalidite est imputable à un fait dommageable survenu en temps de paixrec,oivent, leur vie durant, aux frais de l'Etat, les soins medicaux,pharmaceutiques, l'hospitalisation et les appareils de prothese et autresnecessites par les maladies ou blessures qui leur valent la pension. Lagratuite des soins est aussi accordee aux personnes en instance de pensions'il existe une presomption que la pension sera accordee.
Cette condition est appreciee par le Ministre competent.
L'avantage cesse des que la demande ou proposition de pension vient àetre rejetee'.
Il n'est pas conteste en l'espece qu'une pension d'invalidite a eteoctroyee à la victime M.
2. L'existence d'une obligation contractuelle, legale ou reglementairen'exclut pas qu'il y ait dommage au sens de l'article 1382 du Code civil,sauf lorsqu'il ressort du contenu ou de la portee du contrat, de la loi oudu reglement que ladite depense ou prestations à intervenir doitdefinitivement rester à charge de celui qui s'y est oblige ou qui doitl'executer en vertu de la loi ou du reglement (voir Cass., 19 fevrier2001, C.99.0014.N).
Les depenses supportees en execution d'une obligation legale,reglementaire ou contractuelle donnent en principe lieu à reparation,sauf s'il ressort du contenu ou de la portee de la loi, du reglement ou ducontrat qu'elles doivent rester definitivement à charge de la personnequi les a supportees. Ainsi, la personne qui a paye les depenses peut enprincipe en reclamer le remboursement si elle etablit qu'elle a remplicette obligation à la suite de la faute d'un tiers. En effet, lesdepenses supportees ou les prestations accomplies en execution d'uneobligation juridique sont reputees indemnisables. Ainsi, le risque estreporte sur la personne à qui le remboursement est demande et cettepersonne ne pourra se degager de l'obligation de rembourser que si elleest à meme de prouver qu'il ressort du contenu ou de la portee de la loi,du reglement ou du contrat que les depenses supportees doivent resterdefinitivement à charge de la personne qui en demande le remboursement(voir Boone I., De arbeidsongeschikte ambtenaar en het regres van dewerkgever op de aansprakelijke, R.W., 2001-2002, 231).
3. Il n'est pas conteste en l'espece que (le defendeur) n'aurait pas dupayer les frais medicaux de la victime M. si l'accident de la circulationdu 3 aout 1989, pour lequel le (premier demandeur) a ete declareresponsable, ne s'etait pas produit.
Ainsi, le lien de causalite entre la faute declaree etablie dans le chefdu (premier demandeur) et les frais medicaux payes par (le defendeur) estetabli.
Ensuite, (les demandeurs) n'apportent pas la preuve qu'il ressort ducontenu ou de la portee de l'article 5 de la loi du 9 mars 1953 que lesdepenses supportees doivent rester definitivement à charge de l'Etatbelge qui les a supportees en application de la loi precitee.
En vertu de l'article 5 de la loi du 9 mars 1953, (le defendeur) est tenu,pour autant que les conditions prevues à cette disposition soientremplies, de prendre en charge tous les frais medicaux reellementsupportes. Il ne s'agit donc pas de forfaits.
Il ne ressort ni du contenu ni de la portee de la loi du 9 mars 1953 queles frais medicaux qui resultent de la faute d'un tiers doivent resterdefinitivement à charge de l'Etat belge. Cette loi regle uniquement lesrapports juridiques entre les invalides militaires et l'Etat belge et nonles rapports juridiques entre l'Etat belge et le tiers responsable. Ellene prevoit ni explicitement ni implicitement que l'Etat belge renonce àtoute eventuelle demande à l'egard du tiers responsable fondee surl'article 1382 du Code civil.
Il ne peut etre deduit du simple fait que la subrogation legale n'etaitpas encore prevue au moment du sinistre que l'intention du legislateuretait de mettre les consequences pecuniaires des frais medicaux, en touscas et definitivement, à charge de l'Etat belge et non du tiersresponsable qui, en vertu de l'article 1382 du Code civil, est tenu dereparer toutes les consequences dommageables de son acte illicite.
La circonstance que la victime M. a ete obligee de se faire soigner àl'hopital militaire n'est pas davantage pertinente. En effet, cetteexigence, qui n'est pas prevue par la loi du 9 mars 1953, ne prouve pasdavantage qu'en presence d'un tiers responsable, le legislateur a voulumettre les frais medicaux definitivement à charge de l'Etat belge. Enoutre, (les demandeurs) n'alleguent ni ne prouvent que les frais medicauxauraient ete moins eleves si la victime s'etait fait soigner dans un autrehopital.
Ainsi, les frais medicaux litigieux supportes par (le defendeur)constituent un dommage indemnisable au sens de l'article 1382 du Codecivil ».
* Griefs
* 1. En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, toutfait, toute negligence ou imprudence de l'homme qui cause un dommage àautrui, oblige celui par la faute duquel le dommage est arrive, à reparercelui-ci.
Les autorites qui, en application d'une obligation legale, remboursent desfrais medicaux qui resultent de la faute d'un tiers, ont droit àl'indemnisation de cette depense pour autant qu'elle constitue un dommage.
En effet, l'existence d'une obligation legale n'exclut pas l'existenced'un dommage au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil, pour autantqu'il ne ressorte pas du contenu ou de la portee de la loi que la depensesupportee ou la prestation accomplie doit rester definitivement à chargede la personne qui doit payer en application de la loi.
C'est à tort que la cour d'appel a decide par l'arret attaque qu'il neressort ni du contenu ni de la portee de la loi du 9 mars 1953, et plusspecialement de son article 5, en application de laquelle le defendeur asupporte les frais medicaux de M., militaire de carriere, que ces depensesdoivent rester definitivement à charge du defendeur.
2. Conformement à l'article 1er de la loi du 9 mars 1953 realisantcertains ajustements en matiere de pensions militaires et accordant lagratuite des soins medicaux et pharmaceutiques aux invalides militaires dutemps de paix, dans la version applicable avant son abrogation parl'article 48 de la loi du 18 mai 1998 modifiant la legislation relativeaux pensions et aux rentes de guerre, les invalides militaires dontl'invalidite est imputable à un fait dommageable survenu en temps depaix, durant le service et par le fait du service, ainsi que leurs ayantsdroit, peuvent pretendre à une pension de reparation dont les taux etconditions d'octroi sont fixes aux articles 2, 3 et 4 de la loi.
L'article 5 de la meme loi, dans la version applicable avant sonabrogation par la loi du 18 mai 1998, dispose que les invalides militairesdont l'invalidite est imputable à un fait dommageable survenu en temps depaix rec,oivent, leur vie durant, aux frais de l'Etat, les soins medicaux,pharmaceutiques, l'hospitalisation et les appareils de prothese et autresnecessites par les maladies ou blessures qui leur valent la pension. Lagratuite des soins est aussi accordee aux personnes en instance de pensions'il existe une presomption que la pension sera accordee. Cette conditionest appreciee par le Ministre competent. L'avantage cesse des que lademande ou proposition de pension vient à etre rejetee.
3. L'objectif de la loi du 9 mars 1953 etait de proceder à certainsajustements indispensables en matiere de pensions d'invalidite alloueesaux invalides militaires du temps de paix et d'accorder certains avantagesà ces militaires aux frais de l'Etat, à savoir la majoration despensions d'invalidite et la gratuite des soins medicaux et pharmaceutiquesoctroyees à ces invalides à charge de l'Etat.
Le legislateur considerait que l'inegalite existant à l'epoque en matierede pensions d'invalidite entre les invalides militaires du temps de paixet les invalides de guerre militaires ou civils (la pension d'invaliditeallouee aux invalides militaires du temps de paix etant nettementinferieure à celle des invalides de guerre), etait totalement injustifieeet qu'il etait non seulement equitable mais aussi absolument indispensablede moderer celle-ci en indemnisant les interesses de toute invaliditesubie au service de la Nation, en d'autres termes en acquittant ainsi unedette de la patrie envers ses militaires.
Suivant le legislateur, toute invalidite subie par un militaire, qu'elleresulte d'un fait de guerre ou d'un fait en temps de paix, doit etreconsideree comme encourue dans l'accomplissement de son devoir envers lapatrie et doit, en consequence, etre indemnisee en tant que telle.
Le legislateur considerait egalement qu'il etait equitable d'accorder auxinvalides militaires du temps de paix qui beneficiaient d'une pensiond'invalidite la gratuite des soins medicaux et pharmaceutiques à chargede l'Etat.
Le motif pour lequel la (majoration de la) pension d'invalidite et lagratuite des soins medicaux et pharmaceutiques ont ete accordees auxinvalides militaires du temps de paix est donc la reconnaissance parl'Etat de sa dette envers ses militaires pour services rendus à lapatrie.
Ainsi, il ressort manifestement du contenu et de la portee de la loi queles depenses pour soins medicaux et pharmaceutiques, y compris les soinsresultant d'un accident cause par un tiers, doivent rester definitivementà charge de l'Etat belge.
Cette these est confortee par le fait que la loi du 9 mars 1953 ne prevoitpas la subrogation, en d'autres termes, ne prevoit pas qu'en casd'accident cause par un tiers, l'Etat belge est subroge de plein droit auxmilitaires à concurrence des depenses supportees pour les frais medicauxet pharmaceutiques.
4. Contrairement à ce que la cour d'appel de Bruxelles a decide dansl'arret attaque, les frais medicaux supportes par le defendeur enapplication de l'article 5 de la loi du 9 mars 1953 ne constituent pas undommage indemnisable au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil, deslors qu'ils doivent rester definitivement à charge du defendeur.
En consequence, en condamnant les demandeurs au remboursement des fraismedicaux supportes par le defendeur en application de l'article 5 de laloi du 9 mars 1953, l'arret attaque viole les articles 1382, 1383 du Codecivil et 5 de la loi du 9 mars 1953 realisant certains ajustements enmatiere de pensions militaires et accordant la gratuite des soins medicauxet pharmaceutiques aux invalides militaires du temps de paix, dans laversion applicable avant son abrogation par l'article 48 de la loi du18 mai 1998 modifiant la legislation relative aux pensions et aux rentesde guerre.
III. La decision de la Cour
Sur le moyen :
1. Conformement aux articles 1382 et 1383 du Code civil, quiconquecause par sa faute un dommage à autrui est tenu de reparer cedommage integralement, ce qui implique que la personne prejudicieesoit replacee dans la situation dans laquelle elle se seraittrouvee si l'acte invoque ne s'etait pas produit.
2. L'existence d'une obligation contractuelle, legale oureglementaire n'exclut pas l'existence d'un dommage au sens del'article 1382 du Code civil, pour autant qu'il n'apparaisse pasdu contenu ou de la portee du contrat, de la loi ou du reglementque les depenses ou prestations à supporter doivent resterdefinitivement à charge de ceux qui s'y sont engages ou qui ysont obliges par la loi ou le reglement.
3. Conformement à l'article 5 de la loi du 9 mars 1953 realisantcertains ajustements en matiere de pensions militaires etaccordant la gratuite des soins medicaux et pharmaceutiques auxinvalides militaires du temps de paix, dans la version applicableavant son abrogation par l'article 48 de la loi du 18 mai 1998modifiant la legislation relative aux pensions et aux rentes deguerre, les invalides militaires dont l'invalidite est imputableà un fait dommageable survenu en temps de paix rec,oivent, leurvie durant, aux frais de l'Etat, les soins medicaux,pharmaceutiques, l'hospitalisation et les appareils de prothese etautres necessites par les maladies ou blessures qui leur valent lapension.
4. En vertu de cette disposition, l'Etat est tenu de prendre encharge les frais medicaux des invalides militaires. Cetteobligation est prevue au benefice de ces militaires.
Il ne suit ni du contenu ni de la portee de cette disposition que lesfrais medicaux des invalides militaires doivent rester definitivement àcharge de l'Etat lorsqu'un tiers est responsable du fait dommageable qui adonne lieu aux frais medicaux.
Le moyen qui soutient le contraire, manque en droit.
* Par ces motifs,
* * La Cour
* * Rejette le pourvoi ;
* Condamne les demandeurs aux depens.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, les conseillers Eric Dirix,Eric Stassijns, Beatrijs Deconinck et Koen Mestdagh, et prononce enaudience publique du 1er octobre deux mille sept par le president IvanVerougstraete, en presence de l'avocat general Ria Mortier, avecl'assistance du greffier adjoint Johan Pafenols.
Traduction etablie sous le controle du president Ivan Verougstraete ettranscrite avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.
Le greffier, Le president,
1er OCTOBRE 2007 C.06.0389.N/1