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12/10/2007 | BELGIQUE | N°C.05.0520.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 12 octobre 2007, C.05.0520.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.05.0520.F

AXA BELGIUM, société anonyme dont le siège social est établi àWatermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître Philippe Gérard, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est faitélection de domicile,

contre

ALLART MOTOR, société privée à responsabilité limitée dont le siège socialest établi à Marche-en-Famenne, avenue de France, 35,

défenderesse en cassation.r>
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 19 mai 2005par le tribunal...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.05.0520.F

AXA BELGIUM, société anonyme dont le siège social est établi àWatermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître Philippe Gérard, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est faitélection de domicile,

contre

ALLART MOTOR, société privée à responsabilité limitée dont le siège socialest établi à Marche-en-Famenne, avenue de France, 35,

défenderesse en cassation.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 19 mai 2005par le tribunal de première instance de Marche-en-Famenne, statuant endegré d'appel.

Le conseiller Christine Matray a fait rapport.

L'avocat général Jean-Marie Genicot a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse présente trois moyens dont les deux premiers sont libellésdans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions légales violées

- articles 1166, 1341, 1347, 1348, 1349 et 1353 du Code civil ;

- article 149 de la Constitution.

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté les faits suivants :

« Le 7 mai 1997, [la défenderesse] a vendu à un certain G. une voitured'occasion Golf au prix de [399.000 francs convertis en] 9.890,95 euros ;[la défenderesse] a envoyé à G. deux rappels par recommandé postal, l'undu 4 septembre 1997 et l'autre du 7 octobre 1997 ; un troisième rappel parrecommandé postal a été envoyé à G. le 9 avril 1998 par l'avocat de [ladéfenderesse] ; [la défenderesse] ne produit aucun retour de ses courriersrecommandés ; le 12 mai 1997, G. fut l'auteur d'un accident de roulagealors qu'il conduisait cette même voiture Golf ; G. avait souscrit auprèsde [la demanderesse] une assurance couvrant sa responsabilité civile etses dégâts matériels propres ; les policiers qui ont constaté cet accidentnotent dans leur procès-verbal que :

- le véhicule de G. est `hors d'usage' et emporté par une dépanneuse,

- le test par éthylomètre révèle une alcoolémie de 1,06 gramme par litred'air alvéolé expiré ;

G. est condamné par jugement prononcé par le tribunal de police d'Arlon le14 janvier 1998 à une peine unique réprimant deux infractions, en résumé,d'une part, le taux d'alcoolémie précité et, d'autre part, la perte ducontrôle de sa voiture ; excipant d'une clause de déchéance en casd'intoxication alcoolique, [la demanderesse] prétend ne rien devoir à G.qui ne lui a demandé aucune indemnisation ; [la défenderesse] exerce enl'espèce l'action oblique fondée sur l'article 1166 du Code civil »,

et après avoir considéré  « que les conditions d'exercice de l'actionoblique sont les suivantes : le caractère certain et exigible de lacréance de [la défenderesse] à l'égard de G. ; G. est inactif ; [ladéfenderesse] a intérêt à agir »,

le jugement attaqué décide que la condition de l'action oblique relativeau caractère certain et exigible de la créance de la défenderesse àl'encontre de G. est remplie et que l'action formée par la défenderessecontre la demanderesse est entièrement fondée ; il condamne dès lors lademanderesse « à payer à son assuré G. le montant total de l'indemnité dueen vertu de son contrat n° 010617461160, en principal et intérêtscompensatoires échus depuis le 12 mai 1997, date de l'accident, jusqu'à lafixation de l'indemnité au principal ».

Le jugement attaqué fonde sa décision sur les motifs suivants :

« [La demanderesse] soutient qu'en l'absence de reconnaissance de dette,la preuve de la créance ne serait pas faite par [la défenderesse] ; [lademanderesse] souligne aussi que G. n'a pas la qualité de commerçant ; [lademanderesse] prétend encore que [l'absence de paiement du] solde de200.000 francs démontre une contestation de la facture en l'absence depreuve de l'insolvabilité de G. ; subsidiairement, [la demanderesse]conteste le montant réclamé en l'absence de justificatif des paiementseffectués [...] ; certes, [la défenderesse] ne fournit pas de contrat oude reconnaissance de dette signée de la main de G. ; en revanche, ilressort à suffisance de l'ensemble des éléments concordants produits par[la défenderesse] que sa créance à l'égard de G. est fondée, etnotamment : la facture initiale ; les rappels ne suscitant aucuneprotestation ; un paiement partiel de 199.000 francs qui n'est accompagnéd'aucune protestation pour le surplus ; la concordance entre la marque etle type de véhicule vendu et celui accidenté le 7 mai 1997 alors que G.était au volant ; la concordance entre l'adresse figurant sur la facture[et] les trois rappels et sur le jugement du tribunal de police d'Arlon du14 janvier 1998 ; le tribunal [d'appel] donne foi pour le moins à l'avocatde [la défenderesse], qui n'a manifestement pas reçu en retour son rappeldu 9 avril 1998 par recommandé postal puisqu'il n'en fait pas état ; ladéontologie des avocats le garantit ; ceci démontre non seulement que lerappel est bien parvenu à son destinataire mais aussi que les précédentsrappels ont été adressés à la véritable résidence de G., inchangée depuiscelle figurant sur la facture et nécessairement indiquée par l'acheteurG. ; l'envoi des deux premiers rappels, rédigés par [la défenderesse]elle-même, est établi par les récépissés de recommandé postal qui lesaccompagnent ; l'absence de paiement du solde n'implique pasnécessairement de contestation de la facture ; ce n'est pas nécessairementparce qu'il est insolvable qu'un débiteur ne paie pas ; nonobstantl'absence de qualité de commerçant dans le chef de G., les élémentscommentés ci-dessus sont à ce point forts, précis et concordants qu'ilssuffisent à la démonstration de la créance de [la défenderesse] à l'égardde G. ; cette créance est bien certaine et exigible ».

Griefs

En vertu de l'article 1353 du Code civil, les présomptions qui ne sontpoint établies par la loi sont certes abandonnées aux lumières et à laprudence du magistrat mais celui-ci ne doit admettre que des présomptionsgraves, précises et concordantes « dans les cas seulement où la loi admetles preuves testimoniales, à moins que l'acte soit attaqué pour cause defraude ou de dol ».

L'article 1341 du Code civil dispose : « Il doit être passé acte devantnotaire ou sous signature privée de toutes choses excédant une somme ouvaleur de 375 euros, même pour dépôts volontaires ; et il n'est reçuaucune […] preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni surce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes,encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre de 375 euros. Le toutsans préjudice de ce qui est prescrit par les lois relatives aucommerce ».

L'article 1347 du Code civil admet une exception à cette règle « lorsqu'ilexiste un commencement de preuve par écrit », celui-ci étant défini comme« tout acte par écrit qui est émané de celui contre lequel la demande estformée, ou de celui qu'il représente, et qui rend vraisemblable le faitallégué ». L'article 1348 du même code admet également une exception« toutes les fois qu'il n'a pas été possible au créancier de se procurerune preuve littérale de l'obligation qui a été contractée envers lui ».

L'article 1166 du Code civil dispose que « les créanciers peuvent exercertous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux quisont exclusivement attachés à la personne ». Lorsque celui qui se prétendcréancier exerce une action contre un tiers qu'il prétend être le débiteurde son débiteur, il doit prouver sa propre créance en se conformant auxrègles de preuve précitées, à moins qu'il ne puisse se prévaloir desrègles de preuve prévues par les lois relatives au commerce.

En l'espèce, le jugement attaqué constate « l'absence de qualité decommerçant dans le chef de G. », à l'égard duquel la défenderesseprétendait avoir une créance, résultant de l'absence de paiement intégraldu prix du véhicule qu'elle lui avait vendu. Il ne ressort du rested'aucun motif du jugement attaqué que les règles de la preuve prévues parles lois relatives au commerce seraient d'application à un quelconqueautre titre. Par ailleurs, le jugement constate que la défenderesse « nefournit pas de contrat ou de reconnaissance de dette signée de la main deG. ». Il résulte de cette constatation que la dette de G. à l'égard de ladéfenderesse n'est pas établie par un acte passé devant notaire ni par unacte sous seing privé.

Le jugement attaqué décide toutefois que la créance de la défenderesse àl'égard de G. est « bien certaine et exigible », en se fondant sur unensemble d'éléments qui « sont à ce point forts, précis et concordantsqu'il suffisent à la démonstration de la créance de (la défenderesse) àl'égard de G. ». Le jugement décide donc que la preuve de cette créanceest faite par présomptions de l'homme.

A défaut de constater, soit l'existence d'un commencement de preuve parécrit émané de G., soit l'impossibilité pour la défenderesse de s'êtreprocuré une preuve littérale de l'obligation contractée par G., ce quiaurait rendu admissible la preuve de la dette de G. à l'égard de ladéfenderesse par présomptions, le jugement attaqué ne justifie paslégalement sa décision de déclarer fondée l'action oblique formée par ladéfenderesse contre la demanderesse (violation des articles 1166, 1341,1347, 1348, 1349 et 1353 du Code civil) et, du moins, en ne permettant pasà la Cour d'exercer son contrôle sur la légalité de cette décision, n'estpas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).

Deuxième moyen

Dispositions légales violées

- articles 1134 et 1315 du Code civil ;

- articles 31 et 33, § 1^er, de la loi du 14 juillet 1991 sur lespratiques du commerce et sur l'information et la protection duconsommateur, tels qu'ils étaient rédigés avant la modification de laditeloi par la loi du 7 décembre 1998 ;

- articles 1^er, A, et 8, alinéa 2, de la loi du 25 juin 1992 sur lecontrat d'assurance terrestre.

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté les faits suivants :

« Le 7 mai 1997, [la défenderesse] a vendu à un certain G. une voitured'occasion Golf au prix de [399.000 francs convertis en] 9.890,95 euros ;[la défenderesse] a envoyé à G. deux rappels par recommandé postal, l'undu 4 septembre 1997 et l'autre du 7 octobre 1997 ; un troisième rappel parrecommandé postal a été envoyé à G. le 9 avril 1998 par l'avocat de [ladéfenderesse] ; [la défenderesse] ne produit aucun retour de ses courriersrecommandés ; le 12 mai 1997, G. fut l'auteur d'un accident de roulage,alors qu'il conduisait cette même voiture Golf ; G. avait souscrit auprèsde [la demanderesse] une assurance couvrant sa responsabilité civile etses dégâts matériels propres ; les policiers qui ont constaté cet accidentnotent dans leur procès-verbal que :

- le véhicule de G. est 'hors d'usage' et emporté par une dépanneuse ;

- le test par éthylomètre révèle une alcoolémie de 1,06 gramme par litred'air alvéolé expiré ;

G. est condamné par jugement prononcé par le tribunal de police d'Arlon le14 janvier 1998 à une peine unique réprimant deux infractions, en résumé,d'une part, le taux d'alcoolémie précité et, d'autre part, la perte ducontrôle de sa voiture ; excipant d'une clause de déchéance en casd'intoxication alcoolique, [la demanderesse] prétend ne rien devoir à G.,qui ne lui a demandé aucune indemnisation ; [la défenderesse] exerce enl'espèce l'action oblique fondée sur l'article 1166 du Code civil »,

le jugement attaqué décide que la créance de G. à l'égard de lademanderesse est établie et, partant, « reçoit l'action originaire et ladit entièrement fondée ; condamne la [demanderesse] à payer à son assuréG. le montant total de l'indemnité due en vertu de son contrat n°010617461160, en principal et intérêts compensatoires échus depuis le 12mai 1997, date de l'accident, jusqu'à la fixation de l'indemnité auprincipal ».

Le jugement attaqué fonde cette décision sur les motifs suivants :

« [La défenderesse] fait état d'un sinistre total subi par G.. Cettedonnée n'est pas contestée par [la demanderesse], qui invoque néanmoins lacause d'exclusion de la garantie fondée sur l'article 14, 1°, b), desconditions générales de la police souscrite par G., soit en l'espècel'état d'intoxication alcoolique de G. au moment de l'accident, à un tauxd'alcoolémie répréhensible. Le dernier alinéa du littera b) de l'article14, 1°, de ces conditions générales supprime cette cause d'exclusion si'l'assuré démontre l'absence de relation causale entre le fait générateurde l'exclusion et le sinistre', soit en l'occurrence entre l'intoxicationalcoolique de G. et l'accident. [La défenderesse] invoque le caractèreabusif de cette clause, en transgression de la directive communautaire93/13 du 5 avril 1993, transposée en droit belge par la loi du 14 juillet1991 sur les pratiques du commerce. En règle, une directive européennen'est pas directement applicable en droit belge, mais guideobligatoirement l'interprétation par le juge de la loi qui la transpose endroit interne. [La défenderesse] invoque l'article 31 de ladite loi du 14juillet 1991 sur les pratiques du commerce, qui définit une clause abusivecomme toute clause ou condition qui, à elle seule ou combinée avec une ouplusieurs autres clauses ou conditions, crée un déséquilibre manifesteentre les droits et obligations des parties. La preuve positive à chargede l'assureur de l'intoxication alcoolique est nettement plus facile àapporter que la preuve qu'il n'existe aucun lien de causalité entre uneintoxication alcoolique de l'auteur d'un accident de la circulation etledit accident. Il est aussi nettement plus facile de prouver qu'unaccident est dû à l'intoxication alcoolique déjà avérée de son auteur quele contraire. En effet, il est notoire que, même quand l'alcool ne privepas un conducteur du contrôle de ses actes, il est susceptible de ralentirses réflexes. Une présomption très forte existe donc qui, associée avecd'autres éléments, permet d'apporter la preuve du lien de causalité. Enrevanche, il est beaucoup plus malaisé de prouver que l'accident estsurvenu pour d'autres causes que l'alcoolémie déjà avérée d'un conducteur.[…] Selon les conclusions de [la défenderesse], le caractère abusif de laclause querellée en empêche l'application. […] La nullité s'étend à laclause d'exclusion ainsi qu'à la charge de la preuve relative au lien decausalité. En effet, la lecture de la police d'assurance sans le dernieralinéa du littera b) de son article 14, 1°, ne supprime pas ledéséquilibre entre les droits et obligations des parties. Il faut pourcela que la preuve du lien de causalité entre l'intoxication alcoolique etl'accident soit prévue et à charge de la compagnie d'assurance. La loi du14 juillet 1991 ne permet pas de redresser ce déséquilibre puisque lasanction qu'édicte son article 33 est la nullité des clauses incriminées(à laquelle le consommateur ne peut pas renoncer et sans entraînernécessairement la nullité du reste du contrat). Le même article 33 prévoitque la nullité des clauses abusives n'entraîne pas celle du reste ducontrat ».

Griefs

Première branche

Aux termes de l'article 31 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiquesdu commerce et sur l'information et la protection du consommateur, « pourl'application de [cette] loi, il faut entendre par clause abusive, touteclause ou condition qui, à elle seule ou combinée à une ou plusieursautres clauses ou conditions, crée un déséquilibre manifeste entre lesdroits et les obligations des parties ». L'article 33, § 1^er, de laditeloi, tel qu'il était d'application en l'espèce (c'est-à-dire avant samodification par la loi du 7 décembre 1998), dispose que, « sans préjudicedes autres sanctions de droit commun, le juge peut annuler les clauses etconditions ainsi que les combinaisons de clauses et conditions définies àl'article 31 ».

La clause qui peut être annulée sur la base des deux dispositionsprécitées doit créer « un déséquilibre manifeste entre les droits et lesobligations des parties ». La Cour de cassation peut vérifier si le jugen'a pas méconnu cette notion légale dans l'appréciation qu'il en donne aucas d'espèce.

Le contrat d'assurance est défini comme suit par l'article 1^er, A, de laloi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre : « un contrat envertu duquel, moyennant le paiement d'une prime fixe ou variable, unepartie, l'assureur, s'engage envers une autre, le preneur d'assurance, àfournir une prestation stipulée dans le contrat au cas où surviendrait unévénement incertain que, selon le cas, l'assuré ou le bénéficiaire aintérêt à ne pas voir se réaliser ». Lorsque l'assuré commet une fautelourde de nature à aggraver le risque couvert par le contrat, il peutporter atteinte à l'aléa qui constitue un élément essentiel du contratd'assurance et créer un déséquilibre entre les droits et obligations desparties audit contrat. L'article 8, alinéa 2, de la loi du 25 juin 1992permet d'ailleurs à l'assureur de « s'exonérer de ses obligations pour lescas de faute lourde déterminés expressément et limitativement dans lecontrat ».

Lorsque, dans un contrat d'assurance des dégâts matériels d'un véhiculeautomoteur, une exclusion de la garantie est prévue en cas de sinistresurvenu alors que l'assuré conduisait en état d'intoxication alcooliquepunissable, à moins que l'assuré prouve l'absence de relation causaleentre cet état et le sinistre, cette clause, loin de créer un déséquilibremanifeste entre les droits et les obligations des parties, au sens del'article 31 de la loi du14 juillet 1991, remédie au contraire au déséquilibre entre lesdits droitset obligations, créé par la conduite du véhicule en état d'intoxicationalcoolique punissable, lequel a pour effet de diminuer l'habileté àconduire et d'augmenter notablement le risque d'accident.

La difficulté éventuelle de prouver qu'un accident survenu alors quel'assuré conduisait en état d'intoxication alcoolique punissable est dû àune autre cause que cet état, comparée à la facilité éventuelle de prouverque le sinistre est dû à cet état, ne suffit pas à justifier qu'une telleclause crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligationsdes parties, au sens de l'article 31 de la loi du 14 juillet 1991.

Dès lors, en décidant que l'article 14, 1°, b), des conditions généralesde la police d'assurance conclue entre G. et la demanderesse crée undéséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties etest dès lors nulle en application des articles 31 et 33 de la loi du 14juillet 1991, au motif « que la preuve positive à charge de (l'assureur)de l'intoxication alcoolique est nettement plus facile à apporter que lapreuve qu'il n'existe aucun lien de causalité entre une intoxicationalcoolique de l'auteur de l'accident de la circulation et ledit accident ;qu'il est aussi nettement plus facile de prouver qu'un accident est dû àl'intoxication alcoolique déjà avérée de son conducteur que le contraire ;qu'en effet, il est notoire que, même quand l'alcool ne prive pas unconducteur du contrôle de ses actes, il est susceptible de ralentir sesréflexes ; qu'une présomption très forte existe donc qui, associée avecd'autres éléments, permet d'apporter la preuve du lien de causalité ;qu'en revanche, il est beaucoup plus malaisé de prouver que l'accident estsurvenu pour d'autres causes que l'alcoolémie déjà avérée d'unconducteur », et en refusant dès lors d'appliquer la clause d'exclusion dela garantie prévue au contrat d'assurance, qui fait la loi des parties, lejugement attaqué viole lesdits articles 31 et 33 de la loi du 14 juillet1991, 1^er, A, et 8, alinéa 2, de la loi du 25 juin 1992, ainsi quel'article 1134 du Code civil.

Seconde branche (subsidiaire)

L'article 1315 du Code civil dispose : « Celui qui réclame l'exécutiond'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétendlibéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction deson obligation ». L'article 8, alinéa 2, de la loi du 25 juin 1992 sur lecontrat d'assurance terrestre dispose : « L'assureur répond des sinistrescausés par la faute, même lourde, du preneur d'assurance, de l'assuré oudu bénéficiaire. Toutefois, l'assureur peut s'exonérer de ses obligationspour les cas de faute lourde déterminés expressément et limitativementdans le contrat ». Par application des dispositions précitées, il incombeà l'assureur, qui prétend être déchargé de la garantie en applicationd'une clause d'exclusion de la garantie, prévue en cas de faute lourde, deprouver que le sinistre est dû à une faute lourde commise par l'assuré etexpressément déterminée dans le contrat.

Il ressort du jugement attaqué et des conclusions des parties quel'article 14, 1°, b), des conditions générales de la police de dégâtsmatériels de son véhicule automoteur souscrite par G. auprès de lademanderesse était rédigé comme suit : « ne sont pas couverts lessinistres : 1°) survenus alors que le conducteur se trouve en étatd'ivresse, d'intoxication alcoolique punissable », le dernier alinéa deladite disposition contractuelle prévoyant toutefois que « lesexclusions » ne s'appliquent pas si « l'assuré démontre l'absence derelation causale entre le fait générateur de l'exclusion et le sinistre ».

Le jugement attaqué considère que la disposition précitée du contrat, entant qu'elle met à charge de l'assuré la preuve que sa conduite en étatd'intoxication alcoolique punissable est sans lien causal avec lesinistre, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et lesobligations des parties, que cette clause est abusive et qu'elle doit dèslors être annulée en vertu des articles 31 et 33 de la loi du 14 juillet1991. Dès lors que le dernier alinéa de cette disposition contractuelle,qui contient le règlement de la charge de la preuve du lien causal, esttenu pour nul, en raison du déséquilibre manifeste créé, la claused'exclusion de la garantie est limitée à l'énoncé suivant : « ne sont pascouverts les sinistres survenus alors que le conducteur se trouve en état[…] d'intoxication alcoolique punissable », sans que la charge de lapreuve soit réglée par le contrat, de sorte que le droit commun de lapreuve doit trouver à s'appliquer. En vertu du droit commun résultant del'application de l'article 1315 du Code civil et de l'article 8, alinéa 2,de la loi du 25 juin 1992, il incombe dès lors à l'assureur de prouver lelien causal entre la conduite en état d'intoxication alcoolique punissableet le sinistre. Dans le cas où l'assureur échouerait dans cette preuve,l'assuré ne se verrait pas appliquer la clause d'exclusion de la garantieet obtiendrait l'indemnité prévue au contrat, ce qui ne serait pas denature à créer un déséquilibre quelconque entre les droits et lesobligations des parties au contrat d'assurance. Il n'est donc pasnécessaire qu'il soit expressément prévu dans le contrat d'assurance quela preuve du lien causal entre l'intoxication alcoolique du conducteur etl'accident est à charge de l'assureur, pour que ledit déséquilibre soitévité.

Cependant, pour décider que la nullité s'étend à toute la claused'exclusion de garantie et pas seulement à la disposition finale relativeà la charge de la preuve qui, selon le jugement, crée un déséquilibremanifeste entre les droits et les obligations des parties, le jugementattaqué considère « que la lecture de la police d'assurance sans ledernier alinéa du littera b) de son article 14, 1°, ne supprime pas ledéséquilibre entre les droits et obligations des parties ; qu'il faut pourcela que la preuve du lien de causalité entre l'intoxication alcoolique etl'accident soit prévue et à charge de la compagnie d'assurance » ; enrefusant pour ce motif d'appliquer le contrat qui fait la loi des parties,le jugement attaqué viole les articles 31, 33 de la loi du 14 juillet1991, 1134, 1315 du Code civil et 8, alinéa, 2, de la loi du 25 juin 1992.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Il ne ressort pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que,devant les juges du fond, la demanderesse ait fait valoir que la créancedont la défenderesse entendait se prévaloir ne pouvait être établie quesuivant les règles assurant la prééminence de la preuve écrite.

Le moyen, qui est fondé sur des dispositions légales qui ne sont nid'ordre public ni impératives, qui n'a pas été soumis au juge du fond etdont celui-ci ne s'est pas saisi de sa propre initiative, est nouveau,partant, irrecevable.

Sur le deuxième moyen :

Quant à la première branche :

Dans sa rédaction applicable au litige, l'article 31 de la loi du 14juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et laprotection du consommateur dispose que, pour l'application de cette loi,il faut entendre par clause abusive toute clause ou condition qui, à elleseule ou combinée à une ou plusieurs autres clauses ou conditions, crée undéséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties.

Il incombe à la Cour de vérifier si, dans le cadre de son appréciation, lejuge du fond n'a pas méconnu la notion légale de déséquilibre manifesteentre les droits et les obligations des parties.

Le jugement attaqué constate qu'en vertu de l'article 14, 1°, b), desconditions générales de la police, la garantie est exclue en casd'intoxication alcoolique mais que cette exclusion ne s'applique pas « sil'assuré démontre l'absence de relation causale entre le fait générateurde l'exclusion et le sinistre ».

En considérant que « la preuve positive à charge de [l'assureur] del'intoxication alcoolique est nettement plus facile à apporter que lapreuve qu'il n'existe aucun lien de causalité entre une intoxicationalcoolique de l'auteur d'un accident de la circulation et leditaccident », qu'« il est aussi nettement plus facile de prouver qu'unaccident est dû à l'intoxication alcoolique déjà avérée de son auteur quele contraire », qu'« il est notoire que, même quand l'alcool ne prive pasun conducteur du contrôle de ses actes, il est susceptible de ralentir sesréflexes », qu'« une présomption très forte existe donc qui, associée avecd'autres éléments, permet d'apporter la preuve du lien de causalité » etqu' « en revanche, il est beaucoup plus malaisé de prouver que l'accidentest survenu pour d'autres causes que l'alcoolémie déjà avérée d'unconducteur », le jugement a pu légalement décider que la clause précitéecréait un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations desparties.

Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la seconde branche :

En vertu de l'article 8, alinéa 2, de la loi du 25 juin 1992 sur lecontrat d'assurance terrestre, l'assureur répond des sinistres causés parla faute, même lourde, du preneur d'assurance, de l'assuré ou dubénéficiaire ; toutefois, l'assureur peut s'exonérer de ses obligationspour les cas de faute lourde déterminés expressément et limitativementdans le contrat.

Conformément à l'article 11 de ladite loi, le contrat d'assurance ne peutprévoir la déchéance partielle ou totale du droit à la prestationd'assurance qu'en raison de l'inexécution d'une obligation déterminéeimposée par le contrat et à la condition que le manquement soit enrelation causale avec la survenance du sinistre.

Il suit de ces dispositions que l'assureur qui se prévaut d'une claused'exonération au sens de l'article 8, alinéa 2, précité n'est dispensé derépondre du sinistre que s'il démontre un lien de causalité entre la fautelourde déterminée dans le contrat et le sinistre.

Pour décider que « la nullité s'étend à la cause d'exclusion ainsi qu'à lacharge de la preuve relative au lien de causalité », le jugement attaquéconsidère que « la lecture de la police d'assurance sans le dernier alinéadu littera b) de son article 14, 1°, ne supprime pas le déséquilibre entreles droits et les obligations des parties ; qu'il faut pour cela que lapreuve du lien de causalité entre l'intoxication alcoolique et l'accidentsoit prévue et à charge de la compagnie d'assurance ».

Le jugement attaqué, qui suppose que la loi ne règle pas la charge de lapreuve du lien de causalité entre la faute lourde et le sinistre, violeles dispositions légales précitées.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

Sur les autres griefs :

Il n'y a pas lieu d'examiner le troisième moyen, qui ne saurait entraînerune cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaqué, sauf en tant qu'il déclare nul l'article 14,1°, b), des conditions générales de la police liant les parties en cequ'elle stipule que l'exclusion de garantie prévue ne s'applique pas sil'assuré démontre l'absence de relation causale entre le fait générateurde l'exclusion et le sinistre, et en tant qu'il déclare la demandeincidente irrecevable ;

Rejette le pourvoi pour le surplus ;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugementpartiellement cassé ;

Condamne la demanderesse aux tiers des dépens et réserve le surplus deceux-ci pour qu'il y soit statué par le juge du fond ;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instancede Neufchâteau, siégeant en degré d'appel.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président Christian Storck, les conseillers Didier Batselé,Albert Fettweis, Christine Matray et Sylviane Velu, et prononcé enaudience publique du douze octobre deux mille sept par le présidentChristian Storck, en présence de l'avocat général Jean-Marie Genicot, avecl'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

12 OCTOBRE 2007 C.05.0520.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.05.0520.F
Date de la décision : 12/10/2007

Analyses

PRATIQUES DU COMMERCE


Origine de la décision
Date de l'import : 31/08/2018
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2007-10-12;c.05.0520.f ?
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