Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.05.0509.F
1. P. J.-P.,
2. D. I., demandeurs en cassation,
représentés par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Charleroi, rue de l'Athénée, 9, où il estfait élection de domicile,
contre
L. J.,
défendeur en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 25 février2004 par le tribunal de première instance de Mons, statuant en degréd'appel.
Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général Jean-Marie Genicot a conclu.
II. Les moyens de cassation
Les demandeurs présentent trois moyens dont le premier est libellé dansles termes suivants :
Premier moyen
Dispositions légales violées
- articles 2228, 2229, 2230, 2231, 2232, 2233, 2234 et 2235 du Code civil;
- articles 1370 et 1371 du Code judiciaire ;
- article 149 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué, tout en ordonnant la réouverture des débats aux finsqu'il précise, après avoir admis que le défendeur avait, relativement à labande de terrain litigieux, commis une voie de fait autorisant lesdemandeurs à intenter l'action dite « réintégrande », décide que« contrairement à ce qu'a décidé le premier juge, […] (les demandeurs) nedémontrent pas à suffisance que la possession qu'ils invoquent à propos dela bande de terrain litigieux correspond à l'exercice d'un droit depropriété ; qu'en englobant dans leur cour, il y a plusieurs années, unepartie du terrain longeant leur bâtiment et leur cour, les époux P.D. ont,sans équivoque, posé à l'égard de cette partie bien précise de ce terrain,des actes correspondant à l'exercice d'un droit de propriété ; que,cependant, envers la partie de cette bande de terrain non englobée dansleur cour et faisant l'objet du présent litige, (les demandeurs) nedonnent aucune précision et ne démontrent actuellement pas avoir posé desactes matériels significatifs constants (entretien de cette bande deterrain par leurs soins, tonte ou fauchage de l'herbe s'y trouvant,plantations ou autres) qui permettraient d'établir dans leur chef uncorpus plus étendu que l'exercice d'un droit de passage ; qu'en effet,l'aménagement, par leurs soins, d'une porte dans le mur qui a englobé unepartie du terrain longeant leur bâtiment, donnant accès à la bande deterrain litigieux, est significatif de leur volonté de se réserver undroit de passage sur cette bande mais ne permet pas d'établir qu'ils ontaccompli sur ce bien des actes correspondant à l'exercice d'un droit depropriété ; qu'il y a lieu de rouvrir les débats afin d'inviter les(demandeurs) à apporter la preuve d'éléments concrets permettant d'établirdans leur chef l'existence d'actes révélateurs d'un comportement enqualité de propriétaires à l'égard de la bande de terrain litigieux ».
Griefs
L'article 1370 du Code judiciaire, après avoir indiqué en son premieralinéa que « les actions possessoires ne peuvent être admises que sous lesconditions suivantes :
1. qu'il s'agisse d'immeubles ou de droits immobiliers susceptibles d'êtreacquis par prescription,
2. que le demandeur prouve avoir été en possession pendant une année aumoins,
3. que la possession réunisse les qualités requises par les articles 2228à 2235 du Code civil,
4. qu'il se soit écoulé moins d'une année depuis le trouble ou ladépossession »,
ajoute, en son alinéa 2, que « les conditions indiquées aux 2° et 3° nesont pas requises quand la dépossession ou le trouble a été causé parviolence ou voie de fait ».
Si l'article 2229 du Code civil dispose que « pour pouvoir prescrire, ilfaut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, nonéquivoque, et à titre de propriétaire », et s'il incombe au demandeur aupossessoire d'établir le fait de la possession, ce qu'il est autorisé àprouver par toutes voies de droit, en revanche, lorsqu'il est prétendu quele trouble de jouissance est causé par violence ou par voie de fait, il nepeut être imposé au demandeur à l'action possessoire dite « réintégrande», de démontrer qu'il était titulaire d'un droit de propriété sur le bienimmobilier qui fait l'objet de son action. Il suffit que le demandeurexerce un pouvoir de fait quelconque sur l'objet immobilier, à quelquetitre que ce soit.
Première branche
Le jugement attaqué n'a pu décider légalement que, dès lors que les actesaccomplis par les demandeurs ne démontraient pas que ceux-ci auraientexercé sur la bande de terrain une possession correspondant à l'exerciced'un droit de propriété, ces actes n'excluant pas une possession à unautre titre, il leur incombait, à peine de ne pouvoir être reçus àintenter la réintégrande, et bien que les initiatives prises par ledéfendeur constituent des voies de fait, de prouver l'existence d'actesconcrets révélateurs de leur comportement en qualité de propriétaires decette portion de terrain, l'existence d'une possession poursuivie en cettequalité ne devant pas être prouvée, en pareille hypothèse. De la sorte, lejugement, qui confond le possessoire et le pétitoire, méconnaît lesdispositions légales visées au moyen, sauf l'article 149 de laConstitution.
Seconde branche
Le jugement attaqué est, à tout le moins, entaché d'ambiguïté, dès lorsqu'il laisse incertaine la question de savoir s'il considère que lesdemandeurs, en l'état, restent en défaut d'administrer la preuve du simplefait de leur possession utile, à quelque titre que ce soit, sur laparcelle de terrain litigieuse, auquel cas il serait légalement justifié,ou si, comme le soutient la première branche du moyen, il incombe auxdemandeurs, dans le cadre de l'action en réintégrande qu'ils ont intentéeen raison de la voie de fait dont le défendeur s'est rendu coupable,d'administrer la preuve de l'accomplissement, relativement à l'objet de lavoie de fait, d'actes impliquant l'existence, dans leur chef, d'un droitde propriété, preuve à laquelle serait subordonné l'accueil de cetteaction, le jugement n'étant pas, alors, légalement justifié. Cetteambiguïté équivaut à une absence de motivation régulière, le jugementviolant l'article 149 de la Constitution.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
L'action introduite par les demandeurs est une action possessoire, diteréintégrande, qui tend au maintien de la paix publique et appartient àtout détenteur, à quelque titre que ce soit, d'un immeuble ou à touttitulaire d'un droit réel immobilier, troublé dans sa jouissance parviolence ou voie de fait.
En vertu de l'article 1370, dernier alinéa, du Code judiciaire, ledemandeur ne doit pas faire la preuve de l'existence, dans son chef, d'unepossession civile présentant les caractères définis aux articles 2228 à2235 du Code civil.
Après avoir constaté que les actes accomplis par le défendeur revêtent lanature de voies de fait, le jugement attaqué considère que, dans l'étatactuel du dossier, les demandeurs « ne démontrent pas à suffisance que lapossession qu'ils invoquent à l'égard de la bande de terrain litigieusecorrespond à l'exercice d'un droit de propriété » et décide « qu'il y alieu de rouvrir les débats afin d'inviter les [demandeurs] à apporter lapreuve d'éléments concrets permettant d'établir dans leur chef l'existenced'actes révélateurs d'un comportement en qualité de propriétaires de labande de terrain litigieuse ».
En imposant aux demandeurs de rapporter la preuve d'une possession à titrede propriétaire, le jugement attaqué viole l'article 1370 du Codejudiciaire.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur les autres griefs :
Il n'y a lieu d'examiner ni la seconde branche du premier moyen ni lesautres moyens qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaqué sauf en tant qu'il reçoit l'appel et qu'ilstatue sur la demande reconventionnelle ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugementpartiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instancede Charleroi, siégeant en degré d'appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillersDidier Batselé, Albert Fettweis, Daniel Plas et Martine Regout, etprononcé en audience publique du dix-neuf octobre deux mille sept par leprésident de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat généralJean-Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
19 OCTOBRE 2007 C.05.0509.F/1