Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.07.0084.N
AE FURNITURE, societe anonyme,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de Cassation,
contre
HERMAN VANHERBRUGGEN, societe privee à responsabilite limitee.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 30 octobre 2006par la cour d'appel de Gand.
Le premier president Ghislain Londers a fait rapport.
L'avocat general Christian Vandewal a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- articles 19, 774, alinea 2, 1042, 1068 et 1138, 2DEG du Codejudiciaire ;
- articles 1108 et 1134 du Code civil ;
- articles 6, 18 et 19 de la loi du 13 avril 1995 relative au contratd'agence commerciale ;
- principes generaux du droit de l'autonomie des parties au proces dansl'instance civile (principe dispositif) et du respect des droits de ladefense.
Decisions et motifs critiques
Les juges d'appel ont declare l'appel interjete par la demanderesse nonfonde et ont confirme la decision du premier juge par laquelle il a etedecide que la demanderesse a mis fin de maniere irreguliere au contrat desous-agence et qu'une indemnite de preavis doit des lors etre payee à ladefenderesse.
Les juges d'appel ont fonde leur decision sur les motifs suivants :
« 6.
La demanderesse demande d'ecarter des debats les conclusions d'appeldeposees par la defenderesse le 24 avril 2006 en raison de leur tardivete(article 747, S:2, du Code judiciaire).
En vertu de la reglementation imperative en matiere de delais de l'article747, S:2, du Code judiciaire, les parties etaient tenues de transmettre etde deposer leurs conclusions au plus tard comme suit : la defenderesse le15 mars 2006, la demanderesse le 15 avril 2006 et la defenderesse le 15mai 2006.
Bien que l'economie de l'article 747, S: 2, du Code judiciaire n'est pasde necessairement priver une partie - qui neglige de deposer desconclusions dans le delai fixe par le juge - du droit de deposer desconclusions dans le delai ulterieur qui lui etait assigne, le juge peut(à la demande d'une partie adverse) ecarter ces conclusions des debats àtitre de sanction pour une attitude procedurale deloyale (Cass., 16 mars2006, R.A.B.G., afl. 11, 844 ; Cass., 27 novembre 2003, R.G. C.01.0438.N,en cause Zurich Universal/Intraka, http://www.cass.be).
La defenderesse n'a depose ses premieres conclusions que le 24 avril 2006,de sorte que la demanderesse etait dans l'impossibilite de deposer encoredes conclusions et que ses droits de la defense etaient violes. Lesconclusions d'appel, deposees par la defenderesse le 24 avril 2006, sontecartees des debats.
7.
A l'audience du 4 septembre 2006, la defenderesse s'est desistee de sonappel, declaration dont il lui est donne acte.
8.
Le manquement grave prevu par l'article 19, 1DEG, de la loi du 13 avril1995 relative au contrat d'agence commerciale, est une faute qui doit etresi grave que les relations contractuelles ne peuvent plus etrepoursuivies, meme jusqu'à la fin du delai de preavis.
La charge de la preuve des manquements graves invoques par la demanderesseà charge de la defenderesse repose sur la demanderesse. La partie qui metfin au contrat d'agence commerciale en raison d'un manquement grave,supporte la charge de la preuve de ce manquement. Les jugements a quo neviolent pas l'article 870 du Code judiciaire.
Le contrat d'agence commerciale conclu le 1er aout 2000 entre lademanderesse et son commettant et portant sur des meubles Nadir, neprevoit pas d'interdiction de concurrence à charge de l'agent. L'articleIII souligne l'autonomie de l'agent commercial et autorise memeexplicitement l'agent à distribuer egalement d'autres produits que ceuxdu commettant. Le meme jour, les parties actuelles ont conclu un contratoral de sous-agence.
L'article 6, 1DEG, de la loi du 13 avril 1995 dispose que l'agentcommercial doit veiller aux interets du commettant et agir loyalement etde bonne foi.
Cette disposition n'empeche pas (à moins que ceci ne soit specifiquementstipule contractuellement) qu'un agent commercial commercialisesimultanement des produits similaires.
La question de savoir si les meubles des marques Nadir et Cappellini sontconcurrentiels n'est des lors pas pertinente. A defaut de fondementcontractuel, ceci etait permis à la defenderesse. A cet egard, aucunefaute ne peut etre retenue. Les griefs invoques par la demanderesse contreles jugements a quo relativement au caractere concurrentiel eventuel desmeubles concernes sont, des lors, non pertinents.
Par ailleurs, l'autorite de chose jugee du jugement interlocutoire du 1erjuin 2004, dans lequel le premier juge considerait ne pas pouvoir lui-memeapprecier si les meubles de Nadir et Cappellini sont concurrentiels etdans lequel un expert etait designe n'est pas violee par le jugementdefinitif du 11 octobre 2005 qui decide que la demanderesse ne satisfaitpas (l'expert n'a jamais ete mis en oeuvre) à la charge de la preuve quilui incombe en ce qui concerne ce caractere concurrentiel des deuxagences.
9.
La demanderesse ne demontre pas davantage les baisses d'efforts allegueesdans le chef de la defenderesse. Il n'y avait pas de quotas fixescontractuellement que la defenderesse devait atteindre. Des chiffres devente en baisse ne constituent pas un manquement grave en soi dans le chefde l'agent (Anvers, 9 novembre 1999, A.J.T., 2000-2001, 571). Aucune miseen demeure à cet egard n'a par ailleurs ete envoyee en temps nonsuspects. La cour ne peut pas davantage retenir de faute dans le chef dela defenderesse sur ce point.
10.
Des lors que la cour (en accord avec le premier juge) constate qu'iln'existe pas de manquements graves à charge de la defenderesse, lademanderesse a mis fin de maniere irreguliere à la sous-agence le 2septembre 2002 et elle est tenue de payer une indemnite de preavisconformement à l'article 18 de la loi du 13 avril 1995.
L'article 18 precite se base sur le contrat conclu entre l'agentcommercial et le commettant - en l'espece le sous-agent (la defenderesse)et l'agent principal (la demanderesse) pour le calcul des delai etindemnite de preavis (Gand, 16 decembre 2002, R.A.B.G. 2004, 1347).
C'est à juste titre que le premier juge a accorde une indemnite depreavis compensatoire de deux mois sur la base du contrat de sous-agenceentre les parties prenant cours le 1er aout 2000 et prenant fin le 2septembre 2002. Il y a lieu de se conformer aussi au calcul fait sur labase de la moyenne mensuelle des commissions gagnees par ladefenderesse ».
Griefs
(...)
Seconde branche
L'article 19 de la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d'agencecommerciale dispose que chacune des parties peut, sous reserve de tousdommages-interets, resilier le contrat sans preavis ou avant l'expirationdu terme, lorsque des circonstances exceptionnelles rendent definitivementimpossible toute collaboration professionnelle entre le commettant etl'agent ou en raison d'un manquement grave de l'autre partie à sesobligations.
L'article 6 de la loi precitee dispose que l'agent commercial doit veilleraux interets du commettant et agir loyalement et de bonne foi.
L'obligation de l'agent d'agir loyalement et de bonne foi implique quel'agent ne peut en principe pas vendre de produits concurrentiels. L'agentne peut vendre des produits concurrentiels que si un accord de volontesexiste à ce sujet entre les parties.
Les conventions legalement formees tiennent lieu de loi à ceux qui lesont faites (article 1134 du Code civil). Conformement à l'article 1108 duCode civil, la validite de la convention exige le consentement de lapartie qui s'oblige.
En l'espece les juges d'appel ont constate que le contrat d'agencecommerciale du 1er aout 2000 conclu entre la demanderesse et soncommettant et portant sur des meubles Nadir ne prevoit pas d'interdictionde concurrence à charge de l'agent. Les juges d'appel indiquent quel'article 3 accentue l'autonomie de l'agent commercial et qu'il autoriseexplicitement l'agent de distribuer d'autres produits que ceux ducommettant. Les juges d'appel ont finalement constate que le meme jour, lademanderesse et la defenderesse ont conclu un contrat oral de sous-agence.
Ainsi, les juges d'appel n'ont pas constate qu'il existait un accord devolontes entre la demanderesse et la defenderesse sur le fait que ladefenderesse pouvait vendre des produits concurrentiels.
En decidant ainsi que le fait que la defenderesse vendait ou non desproduits concurrentiels est non pertinent, sans constater qu'il existaitun accord de volontes entre les parties sur le fait que la defenderessepouvait vendre des produits concurrentiels, les juges d'appel ont violel'article 6 de la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d'agencecommerciale qui dispose que l'agent doit agir loyalement, ce qui impliqueque l'agent ne peut pas vendre de produits concurrentiels.
Dans la mesure ou les juges d'appel auraient implicitement maiscertainement constate un tel accord de volontes, ils n'ont pas davantagelegalement justifie leur decision. L'accord de volontes ne peut en effetpas se deduire du seul fait que le contrat d'agence commerciale principalpermettait à l'agent de distribuer egalement d'autres produits que ceuxdu commettant (violation des articles 1108 et 1134 du Code civil).
En decidant par ces motifs que la defenderesse n'a commis aucune faute eten accordant des lors une indemnite de preavis à la defenderesse, lesjuges d'appel ont egalement viole les articles 18 et 19 de la loi du 13avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale.
III. La decision de la Cour
(...)
Quant à la seconde branche :
4. Il n'est pas interdit à un agent commercial d'agir pour d'autrescommettants.
Lorsqu'un contrat d'agence commerciale conclu avec un autre commettant apour objet des produits qui sont concurrentiels, les agissements del'agent commercial peuvent, dans certaines circonstances, etre contrairesà l'obligation de l'article 6 de la loi du 13 avril 1995 relative aucontrat d'agence commerciale d'agir loyalement et de bonne foi.
Le moyen, en cette branche, qui suppose qu'il est interdit à un agentcommercial de vendre des produits concurrentiels, sous reserve del'autorisation du commettant, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le premier president Ghislain Londers, les conseillers EtienneGoethals, Eric Dirix, Beatrijs Deconinck et Alain Smetryns, et prononce enaudience publique du huit novembre deux mille sept par le premierpresident Ghislain Londers, en presence de l'avocat general ChristianVandewal, avec l'assistance du greffier adjoint Johan Pafenols.
Traduction etablie sous le controle du premier president Ghislain Londers et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le premier president,
8 NOVEMBRE 2007 C.07.0084.N/1