Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° F.06.0037.F
ETAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet estétabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences dudirecteur régional des contributions directes à Liège, dont les bureauxsont établis à Liège, rue de Fragnée, 40,
demandeur en cassation,
contre
R. R., défendeur en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 19 décembre2002 par la cour d'appel de Liège.
Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
* articles 5, 6 et 31 du Code des impôts sur les revenus 1992 ;
* articles 3, § 2, 15, § 1^er, et 23, § 2, 1°, de la Convention du17 septembre 1970 entre la Belgique et le Luxembourg en vue d'éviterles doubles impositions et de régler certaines autres questions enmatière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, approuvée par la loidu 14 décembre 1972 (Moniteur belge du 27 janvier 1973), ci-aprèsdénommée la Convention ;
* article 31 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit destraités, approuvée par la loi du 10 juin 1992 (Moniteur belge du25 décembre 1993), ci-après dénommée la Convention de Vienne.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté :
- que (le défendeur) est domicilié à S-V et était engagé comme chauffeurde transports internationaux au service d'une entreprise de transportsétablie à Weiswampach (Grand-Duché de Luxembourg), la société anonymeInterliner,
- que (le défendeur) fait valoir qu'il aurait reçu des ordres au départ dece pays (le Grand-Duché de Luxembourg) et qu'il exécute ses prestations deservice principalement à l'étranger (Grand-Duché de Luxembourg, Pays-Bas,Allemagne, France et Autriche) et uniquement à titre accessoire enBelgique,
- que dans le présent cas, il n'est nullement démontré au moyen d'élémentsconcrets que des revenus provenant d'activités de transports effectués enBelgique seraient effectivement à taxer,
l'arrêt décide que (le défendeur) a exécuté son activité professionnelleau service de son employeur luxembourgeois, que les rémunérationsconcernées ne sont pas imposables en Belgique et que les impositions (àsavoir la cotisation à l'impôt des personnes physiques et aux taxesadditionnelles établies sur les rémunérations versées par la firmeprécitée au cours de l'année 1994) doivent donc être annulées.
Il fonde cette décision sur « la règle générale de l'article 15, § 1^er »(de la convention), suivant laquelle l'Etat du domicile perd le droitd'imposition lorsque l'activité professionnelle est exercée dans l'autreEtat contractant, au motif que « la problématique soumise à la cour[d'appel] (étant) exclusivement à analyser dans le cadre des dispositionsde l'article 15, §§ 1^er et 2, (de la Convention) », lesdites dispositions«sont raisonnablement à interpréter en ce sens qu'un chauffeur detransports internationaux qui effectue des transports au service d'unefirme de transports luxembourgeoise temporairement dans différents pays enEurope et qui se trouve, à cette occasion, très accessoirement sur leterritoire national de l'Etat belge, conserve son port d'attacheprofessionnel auprès de son employeur au Luxembourg » et « qu'il ne peutpas réellement être question d'une fiction selon laquelle les revenuslitigieux sont considérés comme revenus provenant de l'Etat du siège réelde direction de l'entreprise, parce que (le futur défendeur) reçoit sesinstructions de son employeur, qu'il est constamment en relation aveccelui-ci, qu'il échange régulièrement des documents avec lui et qu'ilramène le camion au siège de l'entreprise pour l'entretien ».
Griefs
L'impôt des personnes physiques frappe tous les revenus visés par le Codedes impôts sur les revenus, alors même que certains de ceux-ci auraientété produits ou recueillis à l'étranger. Il résulte des articles 5, 6 et31 du Code des impôts sur les revenus 1992 que les rémunérations obtenuespar un assujetti à l'impôt des personnes physiques (domicilié àSaint-Vith, le défendeur est habitant du Royaume, ce qui n'est pascontesté) en raison d'une activité salariée exercée partiellement àl'étranger, sont en principe imposables en Belgique à concurrence de leurmontant net.
Lorsqu'un résident belge perçoit des revenus de salarié provenant duLuxembourg, la Convention prévoit, pour éviter la double imposition, queles revenus provenant du Grand-Duché de Luxembourg et qui sont imposablesdans cet Etat sont exemptés d'impôts en Belgique (article 23, § 2, 1°).
Or, en vertu de l'article 15, § 1^er, de la Convention qui stipule que «les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'unrésident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sontimposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dansl'autre Etat contractant (et que) si l'emploi y est exercé, lesrémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat »,l'Etat de résidence conserve donc, en principe, son pouvoir d'imposition ;il ne l'aliène au profit de l'Etat de la source que pour les seulesrémunérations reçues au titre d'un emploi exercé sur le territoire de cetEtat.
Encore faut-il définir ce qu'il y a lieu d'entendre par les termes « sil'emploi y est exercé ».
En vertu de l'article 3, § 2, de la Convention, « toute expression quin'est pas autrement définie a le sens qui lui est attribué par lalégislation dudit Etat régissant les impôts qui font l'objet de laConvention, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente».
Comme les articles 5 et 31 du Code des impôts sur les revenus 1992 visentles revenus (salaires, rémunérations...) « obtenus en raison ou àl'occasion de l'exercice d'une activité professionnelle », même si cesrevenus sont « produits ou recueillis à l'étranger » et ne visent pasexpressément le cas où l'emploi est exercé dans un autre Etat, le critèrerepris à l'article 15, § 1^er, pour pouvoir déroger au pouvoird'imposition de l'Etat de la résidence doit, dès lors, être interprété enfonction de son contexte. Cette interprétation est conforme en outre à larègle générale d'interprétation qui est reprise dans l'article 31 de laConvention de Vienne qui prévoit que tout traité doit être interprété debonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes de ce traitédans leur contexte et à la lumière de son projet et de son but.
L'analyse du contexte de l'article 15, § 1^er, de la Convention impliqueen premier lieu que l'on ait égard à l'ensemble de cette dispositionconventionnelle et, plus particulièrement, à son paragraphe 3 qui prévoitque, « par dérogation aux paragraphes 1^er et 2 et sous la réservementionnée au paragraphe 1^er (réserve non applicable en l'espèce), lesrémunérations au titre d'un emploi salarié exercé à bord d'un navire oud'un aéronef exploité en trafic international ou à bord d'un bateauservant à la navigation intérieure en trafic international, sontconsidérées comme se rapportant à une activité exercée dans l'Etatcontractant où est situé le siège de la direction effective del'entreprise et sont imposables dans cet Etat ».
Il résulte des termes « par dérogation aux paragraphes 1^er et 2 », qu'endehors des situations spécifiques énoncées au paragraphe 3, le critèredéterminant pour que l'Etat de résidence perde son pouvoir d'impositionest le lieu où l'emploi est exercé physiquement, sans qu'il soit opportunde rechercher le lieu de direction effective de l'entreprise ; ce derniercritère n'est déterminant que lorsque les rémunérations sont reçues autitre d'emploi salarié exercé à bord d'un navire ou d'un aéronef exploitéen trafic international, ou à bord d'un bateau servant à la navigationintérieure, mais non pas lorsqu'il s'agit d'un emploi exercé à bord d'unvéhicule routier exploité en trafic international.
L'analyse du contexte implique en second lieu que, conformément auprescrit de l'article 31, points 2 et 3, de la Convention de Vienne, l'onse réfère à tout accord et instrument ayant un rapport avec la conventiondont l'application est demandée, en ce compris tout accord ultérieurintervenu entre parties au sujet de l'interprétation du traité ou del'application de ses dispositions, avec la conséquence qu'il faut avoirégard, pour circonscrire le contexte de l'article 15, § 1^er, de laConvention au modèle de convention de l'O.C.D.E. qui sert de base auxnégociations entre les membres de cette organisation ainsi qu'à sescommentaires sur les articles de la convention modèle, lesquels fontpartie intégrante du contexte au sens de l'article 31.1. de la Conventionde Vienne, et ce, même s'il s'agit des commentaires les plus récentspuisque, conformément à l'article 31.3 de la Convention de Vienne, etselon l'O.C.D.E., les conventions existantes doivent être interprétéesdans ce sens, sauf si des modifications drastiques du modèle l'excluent,ce qui n'est pas le cas en ce qui concerne l'article 15, § 1^er,litigieux.
Or, le commentaire du modèle O.C.D.E. précise très clairement, en ce quiconcerne l'article 15, § 1^er, relatif aux revenus d'emplois, que «l'emploi est exercé à l'endroit où le salarié est physiquement présentlorsqu'il exerce les activités au titre desquelles les revenus liés àl'emploi sont payés ».
Il résulte de l'ensemble des éléments exposés ci-dessus que pourl'interprétation de l'article 15, § 1^er, de la Convention, un emploisalarié doit être considéré comme exercé dans l'autre Etat contractantlorsque l'activité en raison de laquelle les salaires, traitements etautres rémunérations sont payés est effectivement exercée dans cet autreEtat, c'est-à-dire lorsque le salarié est physiquement présent dans cetEtat pour y exercer cette activité, l'Etat de la résidence ne perdant sonpouvoir d'imposition que dans cette seule mesure.
Dès lors que la notion d'exercice d'un emploi au sens de l'article 15, §1^er, de la Convention est ainsi définie, tout autre critère, destiné àétayer la présence d'un « port d'attache professionnel » au siège del'employeur ne peut que contribuer à l'existence d'un lien de rattachementfictif avec l'Etat du siège de direction de l'entreprise, lequel se trouveprécisément écarté par application des règles énoncées ci-dessus.
C'est donc à tort que l'arrêt attaqué, excluant toute interprétation del'article 15, § 1^er, de la Convention à la lumière du contexte de cettedisposition au motif que « la problématique soumise à la cour [d'appel]est exclusivement à analyser dans le cadre des dispositions de l'article15, §§ 1^er et 2, » de la convention, décide que « les dispositions de laConvention préventive de double imposition » sont « raisonnablement » àinterpréter en ce sens qu'un chauffeur de transports internationaux quieffectue des transports au service d'une firme de transportsluxembourgeoise temporairement dans différents pays en Europe et qui setrouve, à cette occasion, très accessoirement sur le territoire nationalde l'Etat belge, conserve son port d'attache professionnel auprès de sonemployeur au Luxembourg, le rattachement des revenus litigieux à l'Etat dusiège réel de direction de l'entreprise « ne pouvant être considéré commeune fiction » étant donné que le transporteur reçoit ses instructions deson employeur, qu'il est constamment en relation avec celui-ci, qu'iléchange régulièrement des documents avec lui et qu'il ramène le camion ausiège de l'entreprise pour l'entretien, de sorte que l'emploi doit êtreconsidéré comme exercé exclusivement au Grand-Duché de Luxembourg, laBelgique, en tant qu'Etat de résidence, perdant de ce fait la totalité deson pouvoir d'imposition, et ce faisant, l'arrêt viole les dispositionsvisées au moyen.
III. La décision de la Cour
L'article 15, § 1^er, de la Convention du 17 septembre 1970 entre laBelgique et le Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et derégler certaines autres questions en matière d'impôts sur le revenu et surla fortune, approuvée par la loi du 14 décembre 1972, dispose que, sousréserve des dispositions des articles 16, 18, 19 et 20, étrangères àl'espèce, les salaires, traitements et autres rémunérations similairesqu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salariéne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercédans l'autre Etat contractant, et que si l'emploi y est exercé, lesrémunérations reçues, à ce titre, sont imposables dans cet autre Etat.
L'arrêt constate que le défendeur est domicilié à S-V, qu'il exerce uneactivité professionnelle de chauffeur international au service d'uneentreprise de transports établie au Grand-Duché de Luxembourg, qu'ilexécute des prestations principalement à l'étranger, notamment auGrand-Duché de Luxembourg, et très peu en Belgique et qu'il reçoit sesinstructions au siège de son employeur, d'où il part en mission et où ilramène son véhicule.
Sur la base de ces constatations, la cour d'appel a pu considérer que ledéfendeur exerçait son activité professionnelle auprès de son employeurluxembourgeois et a justifié légalement sa décision que ses rémunérationsn'étaient pas imposables en Belgique.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de nonante-trois euros cinquante-quatrecentimes payés par la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillersDidier Batselé, Albert Fettweis, Sylviane Velu et Martine Regout, etprononcé en audience publique du neuf novembre deux mille sept par leprésident de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat généralAndré Henkes avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
9 NOVEMBRE 2007 F.06.0037.F/8