Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.07.0140.F
1. E. L. et
2. M. G.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Cécile Draps, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est faitélection de domicile,
contre
T. F.,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 27 juin2006 par le tribunal de première instance de Charleroi, statuant en degréd'appel.
Le conseiller Martine Regout a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Articles 637, 686, 687, 688, 691, 695 et 1134 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué dit partiellement fondé l'appel de la défenderesse et,réformant la décision entreprise, déboute les demandeurs de leur actionvisant à interdire à celle-ci de passer sur leur fonds, pour tous sesmotifs réputés ici intégralement reproduits et, en particulier, pour lesmotifs que :
« L'article 695 du Code civil dispose : `Le titre constitutif de laservitude, à l'égard de celles qui ne peuvent s'acquérir par laprescription, ne peut être remplacé que par un titre recognitif de laservitude et émané du propriétaire du fonds asservi' ; la servitude depassage est une servitude discontinue qui ne peut s'acquérir parprescription et entre, dès lors, dans le champ d'application de l'article695 du Code civil; au sens de cet article, l'acte recognitif ne peut êtrequ'un acte écrit ou un aveu ; la convention écrite et dûment enregistréedu 15 septembre 1962, intervenue entre une dame D., alors propriétaire dufonds de (la défenderesse), et un sieur D., alors propriétaire du fondsdes (demandeurs), constitue bien un acte recognitif au sens de l'article695 du Code civil en ce que le sieur W. D. y déclare àvoir une parfaiteconnaissance de la convention du 21 septembre 1890 et ratifiée par laconvention du 28 mai 1919, à propos du droit de passage accordé à MonsieurD. sur la bande de terrain comprise entre ledit D. et la maison de W.D.' ;en effet, ladite convention du 15 septembre 1962 autorise le sieur D. àconstruire au-dessus du passage à certaines conditions, dont une conditionspécifique afférente au maintien de la hauteur libre du passage d'unminimum de 3,20 mètres (outre le rachat de la mitoyenneté nécessaire à laconstruction et un droit d'accès pour les réparations du pignon); cetteconvention du 15 septembre 1962 constitue bien une forme d'aveuextrajudiciaire émané du propriétaire du fonds asservi, contenant lareconnaissance explicite par ce dernier de l'existence du droit depassage ».
Griefs
En vertu de l'article 637 du Code civil, la servitude est une chargeimposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritageappartenant à un autre propriétaire. L'article 686 du même code permet auxpropriétaires d'établir sur leurs propriétés ou en faveur de leurspropriétés telles servitudes que bon leur semble, pourvu que les servicesétablis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne,mais seulement à un fonds et pour un fonds. L'article 687 du même codeconfirme que les servitudes sont établies pour l'usage des bâtiments oufonds de terre, de sorte qu'elles se définissent comme un service de fondsà fonds et non de personne à personne.
Aux termes de l'article 688 du Code civil, le droit de passage est uneservitude discontinue, de sorte qu'elle ne peut s'établir que par titres(article 691 du même code), étant entendu que le titre constitutif peutêtre remplacé par un titre récognitif de la servitude émanant dupropriétaire du fonds asservi (article 695 du même code).
Il s'en déduit que, pour conclure à l'existence d'une servitude depassage, le juge doit constater que le titre qui la crée établit unservice foncier et non personnel. S'il lui appartient de déterminersouverainement, en interprétant la clause d'un acte qui confère un droitde passage, si ce droit est un droit de créance ou s'il a pour objet uneservitude conventionnelle, il lui est interdit de méconnaître la notionlégale de servitude de passage ainsi que la force obligatoire de l'acte enquestion.
Le jugement attaqué, après avoir constaté que, par la conventionlitigieuse du 15 septembre 1962, l'auteur des demandeurs déclarait « avoirune parfaite connaissance (...) du droit de passage accordé à (l'auteur dela défenderesse) » et que « ladite convention du 15 septembre 1962autorise (l'auteur des demandeurs) à construire au-dessus du passage àcertaines conditions », décide que cette convention constitue l'aveuextrajudiciaire de l'existence d'une servitude de passage grevant le fondsdes demandeurs au profit de celui de la défenderesse.
Ce faisant, le jugement méconnaît la force obligatoire de la convention enquestion, qui ne porte que sur un droit de passage accordé au sieur D. etsur l'autorisation conférée au sieur D. de construire au-dessus duditpassage à certaines conditions et ne vise pas la création d'un service defonds à fonds (violation de l'article 1134 du Code civil), ainsi que lanotion légale de servitude de passage et les règles qui en régissentl'établissement (violation des articles 637, 686, 687, 688, 691 et 695 dumême code).
III. La décision de la Cour
Le juge du fond détermine souverainement, en interprétant la clause d'unacte qui confère un droit de passage, si ce droit est un droit de créanceou s'il a pour objet une servitude conventionnelle, pourvu que cetteinterprétation ne méconnaisse pas la notion légale de servitude.
Les termes des articles 637 et 686 du Code civil, sur lesquels se fonde lemoyen, ne peuvent être pris dans leur sens littéral. Le service foncierprofite toujours à des personnes. Il y a servitude réelle et non droitpersonnel dès que le service est en rapport direct et immédiat avecl'usage et l'exploitation d'un fonds, n'eût-il d'autre effet qued'accroître la commodité de cet usage et de cette exploitation. Par cettecommodité accrue, le service procure au fonds une plus-value et est doncétabli pour ce fonds, au sens des dispositions légales précitées.
Le jugement attaqué constate que la convention du 15 septembre 1962 estintervenue entre « une dame D., alors propriétaire du fonds de [ladéfenderesse], et un sieur D., alors propriétaire du fonds des[demandeurs] », que « le sieur W. D. y déclare àvoir une parfaiteconnaissance de la convention du 21 septembre 1890 et ratifiée par laconvention du 28 mai 1919' », que cette convention de 1890 a trait au« droit de passage accordé à Monsieur D. sur la bande de terrain compriseentre ledit D. et la maison de W. D. » et que « la convention du 15septembre 1962 autorise le sieur D. à construire au-dessus du passage àcertaines conditions, dont une condition spécifique afférente au maintiende la hauteur libre du passage d'un minimum de 3,20 mètres ».
Le jugement attaqué considère ainsi que le droit de passage sur le fondsdes demandeurs est en rapport direct et immédiat avec l'usage du fonds dela défenderesse depuis 1890.
Sur la base de cette considération, il a pu, sans méconnaître ni la forceobligatoire de la convention du 15 septembre 1962 ni la notion légale deservitude, décider que cette convention constituait l'aveu extrajudiciairede l'existence d'une servitude de passage grevant le fonds des demandeursau profit de celui de la défenderesse.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent deux euros septante-cinq centimesenvers les parties demanderesses.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillersDidier Batselé, Albert Fettweis, Christine Matray et Martine Regout, etprononcé en audience publique du trente novembre deux mille sept par leprésident de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat généralAndré Henkes, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
30 NOVEMBRE 2007 C.07.0140.F/1