Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.06.0092.N
1. H. R.,
2. H. L.,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. ABMCO, societe anonyme,
2. H. P.,
3. FORTIS AG, societe anonyme,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 22 mars 2005par la cour d'appel d'Anvers.
Le conseiller Beatrijs Deconinck a fait rapport.
L'avocat general Dirk Thijs a conclu.
II. Les moyens de cassation
Les demandeurs presentent trois moyens dans leur requete en cassation.
Sur le premier moyen
Dispositions legales violees
- les articles 812, 816, alinea 1er, 1042, 1068, alinea 1er, et, pourautant que de besoin, 742 et 743 du Code judiciaire;
- articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;
* le principe general du droit de l'autonomie des parties au proces,egalement appele principe dispositif, prevu entre autres à l'article1138, 2DEG, du Code judiciaire.
Decisions et motifs critiques
Par arret interlocutoire du 22 mars 2005, la cour d'appel decide que lademanderesse ne reprend pas l'instance comme ayant cause de sa mere, et cepour les motifs suivants:
"La (cour d'appel) doit constater que (la demanderesse) ne reprend pasl'instance comme ayant cause de sa mere decedee, originellement partiedemanderesse et partie appelante: elle se rallie à la demande (dudemandeur), qui a repris l'instance, et vise egalement à ce que (lapremiere et la seconde defenderesses) soient condamnees à son profit. Que(le demandeur) et (la demanderesse) concluent ensemble et se qualifient àcet egard chacune d'appelants et de parties reprenant l'instance, nesignifie pas en soi que (la demanderesse) a elle aussi repris l'instance.(La demanderesse) ne pretend en effet nullement etre l'heritiere de ladefunte originellement partie demanderesse et partie appelante. Il nesaurait bien entendu y avoir une reprise d'instance, si cette partie nesoutient pas expressement etre ayant cause et heritiere de sa mere, nivouloir poursuivre la demande formee. En ce qui concerne sa qualite, iln'y a d'ailleurs manifestement pas de differend qui soit en cours etaucune contestation n'est pour le moins soulevee par (les premiere etdeuxieme defenderesses) ni les autres parties. Aucune des autres partiesen cause n'a force (la demanderesse) à reprendre l'instance.
Partant, dans l'etat actuel de la procedure, il y a lieu de constaterque :
- (le demandeur) reprend l'instance, et ce sur la base des piecestransmises, soit les pieces 38 et 39 du dossier (du demandeur), il estetabli qu'il est l'ayant cause de feue Mme V. et qu'il dispose des lors dela qualite requise pour reprendre l'instance et poursuivre l'action ;
- (la demanderesse) n'intervient que volontairement dans la presenteprocedure et poursuit pour la premiere fois en degre d'appel, de maniereconditionnelle, la condamnation (des premiere et deuxieme defenderesses)à son profit.
- aucune contestation n'est pendante dans cette cause devant la (courd'appel) en ce qui concerne la succession".
Dans l'arret definitif attaque du 27 septembre 2005, la cour d'appelrenvoie à l'expose de l'arret interlocutoire du 22 mars 2005, qu'elleestime repris, considere qu'elle a dejà constate et decide dans l'arretinterlocutoire precite que la demanderesse ne reprend pas l'instance etdeclare irrecevable, vu article 812 du Code judiciaire, la demande de lademanderesse tendant à l'obtention d'une condamnation, par laconsideration que, sans reprendre l'instance, la demanderesse a introduitpour la premiere fois une demande en obtention d'une condamnation en degred'appel.
Griefs
1. Quant à la premiere branche
En vertu de l'article 816, alinea 1er, du Code judiciaire, les parties ouleurs ayants droit qui declarent reprendre l'instance deposent au greffe,selon les regles enoncees aux articles 742 et 743, un acte relatant, àpeine de nullite, les causes de la reprise d'instance, avec l'indicationde leurs nom, prenom, profession et domicile ou à defaut de celui-cil'indication de leur residence.
Cette disposition n'exige pas que les parties ou leurs ayants droit quideclarent reprendre l'instance disent expressement qu'ils sont ayantscause et heritiers de la partie originelle au proces ou qu'ils entendentpoursuivre la demande formee . Une reprise d'instance peut, moyennant lerespect des conditions prevues à l'article 816, avoir lieu de maniereimplicite.
En considerant qu'il ne saurait y avoir reprise d'instance si lademanderesse ne soutient pas expressement etre ayant cause et heritiere desa mere, ni vouloir poursuivre la demande formee, et en excluant ainsi quela demanderesse puisse avoir implicitement repris l'instance, la courd'appel ajoute à l'article 816, alinea 1er, du Code judiciaire non prevuepar cette disposition (violation des articles 742, 743, 816, alinea 1er,et 1042 du Code judiciaire). La cour d'appel n'a donc pas decidelegalement que, etant donne que la demanderesse ne reprend pas l'instance,elle a introduit pour la premiere fois une demande en obtention d'unecondamnation en degre d'appel qui, vu l'article 812 du Code judiciaire,doit etre rejetee comme irrecevable (violation des articles 812 et 1042 duCode judiciaire).
Conclusion
La cour d'appel n'a pas legalement declare irrecevable la demande enobtention d'une condamnation formee par la demanderesse (violation desarticles 812 et 816, alinea 1er, et, pour autant que necessaire, 742, 743et 1042 du Code judiciaire).
Sur le second moyen
Dispositions legales violees
- articles 812 et 1042 du Code judiciaire ;
- articles 1220 et, pour autant que de besoin, 1382, 1383, 1384, alinea1er, et 1641 du Code civil;
- le principe general du droit de l'autonomie des parties au proces,egalement appele principe dispositif, prevu entre autres à l'article1138, 2DEG, du Code judiciaire.
Decisions et motifs critiques
Dans l'arret interlocutoire du 22 mars 2005, la cour d'appel decide derouvrir les debats afin de donner aux parties la possibilite de prendreposition plus avant et de faire la clarte sur ce qui est constate, commecite ci-dessous, par la cour d'appel et, le cas echeant, de leur fournirl'occasion de faire le necessaire :
"2.b. Conformement à l'article 812 du Code judiciaire, l'interventiontendant à obtenir une condamnation ne peut s'exercer pour la premierefois en degre d'appel. Par ailleurs, (la demanderesse) ne designe pas defondement juridique sur la base duquel (la premiere et la deuxiemedefenderesses) doivent egalement etre condamnees à son profit.
(La deuxieme defenderesse) souleve l'irrecevabilite de la demande exerceepar (le demandeur) en tant qu'ayant cause de la partie originellementpartie demanderesse et partie appelante. Toutefois, elle n'indique pasdavantage de fondement juridique à cet effet. Certes, elle indique quele defunt avait egalement une fille, de sorte qu'il n'est pas exclu quecette fille puisse elle aussi pretendre à la succession. La raison pourlaquelle cette constatation doit aboutir à l'irrecevabilite de la reprised'instance et de la poursuite de l'action originelle par (le demandeur)n'est pas exposee. La (deuxieme defenderesse) n'a pas davantage developped'initiative pour contraindre cette eventuelle ayant cause à reprendrel'instance.
Peut-etre (la deuxieme defenderesse) estime-t-elle ne pouvoir s'acquitterpour la totalite de la demande de maniere liberatoire à l'egard (dudemandeur), eu egard aux droits eventuels de (la demanderesse). L'article1120 (lire : article 1220) du Code civil dispose en effet qu'uneobligation qui est susceptible de division doit etre executee entre lecreancier et le debiteur comme si elle etait indivisible, et que ladivisibilite n'a d'application qu'à l'egard de leurs heritiers, qui nepeuvent demander la dette que pour les parts dont ils sont saisis ou dontils sont tenus comme representant le creancier ou le debiteur.
Initialement (le demandeur) cite uniquement en sa faveur. Apresl'intervention volontaire, il est egalement cite par cette partie, sansqu'il soit considere que le paiement à l'une sera liberatoire pourl'autre.
3. Il appartient aux differentes parties interessees de prendre positionplus avant et de faire la clarte sur ce qui a ete constate ci-dessus parla cour d'appel, et il convient le cas echeant, de leur fournir l'occasionde faire le necessaire. A cette fin, les debats sont rouverts et ladecision est reservee sur les depens".
La cour d'appel souleve ainsi un differend sur la recevabilite de lademande en obtention d'une condamnation à la lumiere de l'article 812 duCode judiciaire, ainsi qu'un differend sur le bien-fonde de la demande dudemandeur à la lumiere de l'article 1120 (lire: 1220) du Code civil.
Dans l'arret definitif du 17 septembre 2005, la cour d'appel declare lademande de la demanderesse en obtention d'une condamnation irrecevable surla base de l'article 812 du Code judiciaire et la demande du demandeur nonfondee sur la base de l'article 1220 du Code judiciaire.
Griefs
2.1. Quant à la premiere branche
Dans sa requete en intervention volontaire deposee regulierement devant lacour d'appel, la demanderesse a demande:
« De donner acter à la (demanderesse) de son intervention volontaire;
Pour autant que (la cour d'appel) estime que la (demanderesse) est bel etbien l'heritiere de feue madame V., de condamner (la societe anonymeLierco et la deuxieme demanderesse) solidairement, à tout le moins insolidum, l'une à defaut de l'autre, à payer (à la demanderesse) et (audemandeur) la somme de 6.585.691 BEF (163.255,02 euros), majoree desinterets à partir d'une date moyenne (le 1er janvier 1989) jusqu'aumoment du paiement effectif et integral, et majoree des depens du procesqui, echus actuellement du cote de (la demanderesse) et (du demandeur),sont evalues comme suit : (...) ».
En vertu de l'article 812, alinea 1er, du Code judiciaire, applicable endegre d'appel en vertu de l'article 1042 du Code civil, l'interventionpeut avoir lieu devant toutes les juridictions, quelle que soit la formede la procedure, sans neanmoins que des actes d'instruction dejà ordonnespuissent nuire aux droits de la defense. L'alinea 2 de l'article 812 duCode judiciaire interdit que l'intervention tendant à obtenir unecondamnation s'exerce pour la premiere fois en degre d'appel.
Ni la societe anonyme Lierco, ni son ayant cause la premiere defenderesse,ni la deuxieme defenderesse n'ont soutenu dans aucune conclusion precedantl'arret interlocutoire du 22 mars 2005 que l'intervention volontaire de lademanderesse etait irrecevable parce qu'elle tendait à obtenir unecondamnation et qu'elle avait lieu pour la premiere fois en degre d'appel:
- la societe anonyme Lierco et la premiere defenderesse n'ont deposeaucune conclusion apres l'intervention volontaire de la demanderesse;
- la deuxieme defenderesse a uniquement conteste la recevabilite de lareprise d'instance par le demandeur. La deuxieme defenderesse n'a soulevedans aucune conclusion precedant l'arret interlocutoire l'irrecevabilitede la demande de la demanderesse.
Certes, le juge peut suppleer d'office aux motifs produits par les partiespour etayer leur demande ou leur defense, mais cela uniquement àcondition qu'il ne souleve pas de differend dont les parties avaient exclul'existence par leurs conclusions, qu'il se base uniquement sur deselements qui lui ont ete soumis regulierement, et qu'il ne modifie nil'objet, ni la cause de la demande. En amenant d'office à la cause larecevabilite de la demande de la demanderesse en obtention d'unecondamnation à la lumiere de l'article 812 du Code judiciaire, la courd'appel souleve un differend qui, d'apres leurs conclusions, n'existaitpas entre la demanderesse et la premiere et la deuxieme defenderesse. Lacour d'appel viole ainsi le principe dispositif et le principe general dudroit de l'autonomie des parties au proces, consacre à l'article 1138,2DEG, du Code judiciaire. La circonstance que la cour d'appel ordonne lareouverture des debats sur le differend qu'elle souleve, n'y change rien.
Conclusion
En amenant à la cause la recevabilite de la demande de la demanderesse enobtention d'une condamnation à la lumiere de l'article 812 du Codejudiciaire et en rouvrant les debats à ce propos dans l'arretinterlocutoire du 22 mars 2005, et en declarant irrecevable la demande dela demanderesse en obtention d'une condamnation dans l'arret definitif du27 septembre 2005, sans que l'une des parties ait soutenu que la demandede la demanderesse etait irrecevable parce qu'elle tendait à obtenir unecondamnation et qu'elle avait lieu pour la premiere fois en degre d'appel,la cour d'appel souleve un differend dont les parties avaient exclul'existence par leurs conclusions, partant, elle viole les articles 812,1042 et 1138, 2DEG, du Code judiciaire ainsi que le principe dispositif.
2.2. Quant à la deuxieme branche
En vertu de l'article 1220 du Code civil, l'obligation qui est susceptiblede division doit etre executee entre le creancier et le debiteur comme sielle etait indivisible. La divisibilite n'est applicable qu'à l'egard deleurs heritiers, qui ne peuvent demander la dette que pour les parts dontils sont saisis ou dont ils sont tenus comme representant le creancier oule debiteur.
Les defenderesses n'ont soutenu dans aucune conclusion avant l'arretinterlocutoire du 20 mars 2005 que la demande de la demanderesse enpaiement de l'indemnisation integrale, qui avait ete originellementintentee par feue H. V., etait non fondee parce qu'en tant que co-heritierde H. V., le demandeur ne pouvait demander qu'une part de laditeindemnisation. La deuxieme defenderesse fit uniquement valoir que lareprise d'instance par le demandeur etait irrecevable parce que, selonelle, il n'etait pas etabli que le demandeur fut le seul ayant cause deson epouse. Ce moyen se fondait donc sur des considerations proceduraleset etait etranger au bien-fonde de la demande du demandeur en paiement del'integralite de l'indemnisation.
La deuxieme defenderesse n'a en aucune fac,on soutenu que, eu egard à ladivisibilite de la creance de feue H. V., elle ne pouvait que se libererpartiellement à l'egard du demandeur.
Certes, le juge peut suppleer d'office aux motifs produits par les partiespour etayer leur demande ou leur defense, mais cela uniquement àcondition qu'il ne souleve pas de differend dont les parties avaient exclul'existence par leurs conclusions, qu'il se base uniquement sur deselements qui lui ont ete soumis regulierement, et qu'il ne modifie nil'objet, ni la cause de la demande. En amenant d'office à la cause lebien-fonde de la demande du demandeur à la lumiere de l'article 1220 duCode civil, la cour d'appel souleve un differend qui, selon leursconclusions, n'existait pas entre le demandeur et les premiere et deuxiemedefenderesses. La cour d'appel a ainsi viole le principe dispositif et leprincipe general du droit de l'autonomie des parties au proces, consacreà l'article 1138, 2DEG, du Code judiciaire. La circonstance que la courd'appel ordonne la reouverture des debats sur le differend qu'ellesouleve, n'y change rien.
Conclusion
En amenant à la cause le bien-fonde de la demande du demandeur à lalumiere de l'article 1220 du Code civil et en rouvrant les debats à cepropos dans l'arret interlocutoire du 22 mars 2005, et en rejetant lademande du demandeur comme non fondee dans l'arret definitif du 27septembre 2005, sans que l'une des parties ait soutenu que la demande dudemandeur n'etait pas fondee parce qu'en tant que co-heritier de H. V., ilne pouvait demander qu'une part de l'indemnisation reclamee par elle, lacour d'appel souleve un differend dont les parties avaient exclul'existence par leurs conclusions, partant, elle viole les articles 812,1042 et 1138, 2DEG, du Code judiciaire ainsi que le principe dispositif,de meme que les articles 1382, 1383, 1384, alinea 1er, et 1641 du Codecivil sur lequel se fonde la demande du demandeur.
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la premiere branche :
1. En vertu de l'article 816, alinea 1er, du Code judiciaire, lesparties ou leurs ayants droit qui declarent reprendre l'instancedeposent au greffe, selon les regles enoncees aux articles 742 et743, un acte relatant, à peine de nullite, les causes de lareprise d'instance, avec l'indication de leurs nom, prenom,profession et domicile ou à defaut de celui-ci l'indication deleur residence.
2. Il s'ensuit que celui qui reprend l'instance au nom d'un auteurdoit declarer, c'est-à-dire exprimer , dans un acte depose, qu'ilreprend l'instance pour cause de succession.
3. Le moyen, en cette branche, suppose que la reprise d'instance peutse faire non seulement de maniere expresse mais egalement demaniere implicite.
Le moyen, en cette branche, manque en droit.
Sur le second moyen :
Quant aux premiere et seconde branches :
1. Le juge est tenu de trancher le differend conformement aux regles dedroit qui lui sont applicables. Il doit examiner la nature juridique desfaits et actes allegues par les parties et peut, quelle que soit laqualification juridique que les parties leur ont donnee, suppleer d'officeaux motifs proposes par elles à condition de ne pas soulever decontestation dont les parties ont exclu l'existence par leurs conclusions,de se fonder uniquement sur des elements qui ont ete regulierement soumisà son appreciation, de ne pas modifier l'objet de la demande et, cefaisant, de ne pas meconnaitre les droits de la defense des parties.
2. Le seul fait que les parties n'ont pas souleve l'application d'unedisposition legale determinee ne signifie pas qu'elles aient exclu cettepossibilite dans leurs conclusions.
Le moyen qui, en ces branches, suppose le contraire, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux depens.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Ernest Wauters, les conseillers EricDirix, Albert Fettweis, Beatrijs Deconinck et Alain Smetryns, et prononceen audience publique du six decembre deux mille sept par le president desection Ernest Wauters, en presence de l'avocat general Dirk Thijs, avecl'assistance du greffier adjoint Johan Pafenols.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Didier Batsele ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,
6 DECEMBRE 2007 C.06.0092.N/1