Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG F.05.0098.F
ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences dudirecteur regional des contributions directes à Mons, dont les bureauxsont etablis à Mons, digue des Peupliers, 71,
demandeur en cassation,
contre
1. C. P.,
defendeur en cassation,
ayant pour conseil Maitre Marc Baltus, avocat au barreau de Bruxelles,dont le cabinet est etabli à Saint-Gilles, rue de Bordeaux, 49,
2. M. C.,
defenderesse en cassation,
ayant pour conseil Maitre Pierre Willemart, avocat au barreau deBruxelles, dont le cabinet est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard duSouverain, 100.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 22 juin 2005par la cour d'appel de Mons.
Le president de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat general Andre Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- articles 49 et 53, 1DEG, du Code des impots sur les revenus 1992 ;
- article 373, S: 1er, du meme code, tel qu'il existait avant samodification par l'article 33 de la loi du 15 mars 1999 relative aucontentieux en matiere fiscale.
Decisions et motifs critiques
Saisie d'un « litige port(ant) sur la question de savoir si lesremboursements, durant les exercices litigieux, de sommes que (ledefendeur) avait anterieurement detournees à son profit dans le cadre deson activite de curateur de faillites, sont ou non deductibles à titre decharges professionnelles », et apres avoir rappele « que les depensesprofessionnelles sont celles qui sont inherentes à l'exercice de laprofession, c'est-à-dire celles qui, par leur nature, sont inseparablesde l'activite professionnelle »,
la cour d'appel a decide,
d'une part, « qu'il doit etre admis que les remboursements de sommesdetournees operes par [le defendeur] ont en l'occurrence le caractere decharges professionnelles » aux motifs :
- « que l'obtention par (le defendeur) des sommes detournees n'a eterendue possible que par son activite professionnelle et est, partant,indissociable de celle-ci » ;
- « que, de meme, l'obligation de remboursement pesant sur [le defendeur]et qui a donne lieu aux paiements litigieux avait pour seule origine lareparation de fautes commises dans l'exercice de cette meme activite, (desorte que) cette obligation etait egalement de nature professionnelle » ;
- « qu'à cet egard, de meme que le caractere taxable ou non desindemnites ne depend pas de leur liceite, il n'existe aucune raisond'operer une distinction selon que l'obligation de remboursement trouveson origine dans une faute volontaire ou une faute involontaire » ;
- « qu'il est sans importance que les remboursements n'aient eteeffectues qu'apres la cessation par (le defendeur) de son activiteanterieure d'avocat et de curateur de faillites, la Cour d'arbitrage(ayant) decide que les articles 49 et 53, 1DEG, (du Code des impots surles revenus 1992) violent les articles 10 et 11 de la Constitution en ceque les charges et depenses necessitees par une activite professionnelleanterieure mais supportees posterieurement à la cessation de celle-ci nesont pas deductibles » ;
et, d'autre part, qu' « il apparait qu'il existe un double emploi donnantlieu à degrevement sur la base de l'article 376 (du Code des impots surles revenus 1992) entre la taxation du montant des sommes detourneesdurant des exercices anterieurs et les taxations etablies sans deductiondes memes sommes restituees pendant les exercices litigieux, ce doubleemploi (etant) d'autant plus manifeste que c'est en prenant connaissancede l'existence et du montant des remboursements effectues par (ledefendeur) que l'administration a etabli le montant des revenus detournesà imposer » ;
confirmant ainsi le jugement rendu le 12 mars 2003 par le tribunal depremiere instance de Mons qui, en application de l'article 376, S: 1er,1DEG, du Code des impots sur les revenus 1992, avait ordonne « ledegrevement des cotisations à l'impot des personnes physiques et à lataxe communale additionnelle etablies sous les articles 757.599.174,761.498.175, 771.922.993, 783.880.884 et 792.004.745, respectivement durole des exercices d'imposition 1995 à 1998 forme pour la recette descontributions directes de Tournai 1 ».
Griefs
Le double emploi de nature à donner lieu à un degrevement d'office enapplication de l'article 376, S: 1er, du Code des impots sur les revenus1992, suppose qu'un meme revenu ait fait l'objet de plusieurs impositions,dont l'une exclut legalement l'autre, etant entendu que seule l'impositionillegalement etablie peut donner lieu au degrevement d'office.
Le degrevement d'office des cotisations litigieuses pour cause de doubleemploi est des lors subordonne à la condition que les remboursements,durant les exercices litigieux, des sommes que le defendeur avaitanterieurement detournees à son profit à l'occasion de l'exercice de sonactivite de curateur de faillite, puissent etre legalement qualifiees defrais professionnels deductibles.
En l'espece, meme si les sommes detournees par le defendeur sont de natureà constituer un revenu professionnel imposable dans son chef parcequ'elles proviennent, fut-ce indirectement, d'activites de toute nature etque la loi inclut parmi les revenus professionnels imposables notammentles avantages de toute nature obtenus en raison ou à l'occasion del'exercice de l'activite professionnelle, les remboursements ulterieursdes sommes que l'interesse avait detournees et qui ont ete imposees dansson chef au titre de revenus professionnels ne constituent pas pour autantdes frais professionnels legalement deductibles, lesquels doivent etreinherents à l'exercice de l'activite professionnelle des lors qu'en vertude l'article 53, 1DEG, du Code des impots sur les revenus 1992, « neconstituent pas des frais professionnels (deductibles en application del'article 49 du Code des impots sur les revenus 1992), les depenses ayantun caractere personnel, telles que (...) toutes (...) depenses nonnecessitees par l'exercice de la profession ».
En effet, s'il est vrai que l'obtention des sommes detournees par ledefendeur n'a ete rendue possible que par son activite professionnelled'avocat et, plus particulierement par celle de curateur de faillite, iln'en resulte pas que ces detournements de fonds operes à l'occasion del'exercice de cette activite seraient indissociables de celle-ci comme ledecide l'arret attaque, sauf à considerer que l'appropriation par uncurateur de faillite de sommes revenant à la masse des creanciersressortit specifiquement à la mission qui lui est devolue par le tribunalde commerce, ce qui ne se peut.
De meme, le remboursement des sommes detournees en reparation des fautescommises à l'occasion de l'exercice de cette activite de curateur neconstitue pas l'execution d'une obligation de nature professionnelle deslors que lesdites fautes ne consistent pas en de simples erreurs de faitou de droit commises dans l'exercice de la curatelle mais dansl'appropriation deliberee de diverses sommes revenant à la masse descreanciers, appropriation veritablement incompatible avec la missiondevolue au curateur par le tribunal de commerce et dont l'article 575,4DEG, alinea 2, du Code de commerce applicable au cours des annees 1994 à1998 prevoit expressement la restitution, de sorte que ledit remboursementconstitue une consequence que la loi elle-meme attache à des actesaccomplis, sans doute à l'occasion de l'activite de curateur, maisdeliberement en marge de ladite activite et au mepris de la loi penale.
Il s'ensuit que les remboursements litigieux ne sont pas inherents àl'exercice de l'activite professionnelle du defendeur, à defaut depresenter un lien de necessite avec cet exercice, conformement auxexigences des articles 49 et 53, 1DEG, du Code des impots sur les revenus1992, et que, partant, leur deduction en frais professionnels doit etrerefusee en tout etat de cause, la cessation ou non de l'activiteprofessionnelle de curateur de faillite au moment ou les remboursementsont ete effectues restant, en tant que telle, sans incidence aucune sur lerefus de leur deduction et l'arret de la Cour d'arbitrage du 21 juin 2000sur l'enseignement duquel se fonde l'arret attaque restant sansapplication en l'espece.
Il resulte de ce qui precede que l'arret ne justifie pas legalement sadecision que les remboursements de sommes detournees par le defendeur àl'occasion de l'exercice de son activite de curateur de faillite,constituent des frais professionnels deductibles de nature à fonder undouble emploi justifiant un degrevement d'office et que, au contraire, ilviole les dispositions legales visees au moyen.
III. La decision de la Cour
Il resulte des articles 49, alinea 1er, et 53, 1DEG, du Code des impotssur les revenus 1992 que les depenses peuvent etre considerees comme descharges professionnelles lorsqu'elles sont inherentes à l'exercice de laprofession.
L'arret constate que le defendeur a illicitement detourne à son profitdes sommes qu'il avait perc,ues en qualite de curateur de faillite.
En considerant que l'obtention de ces sommes n'a ete rendue possible quegrace à l'activite professionnelle du defendeur et que son obligation deremboursement etait egalement de nature professionnelle, l'arret nejustifie pas legalement sa decision que les remboursements constituent desfrais professionnels deductibles et, partant, qu'il existe un doubleemploi justifiant un degrevement d'office.
Le moyen est fonde.
A titre subsidiaire, les defendeurs demandent à la Cour de poser à laCour constitutionnelle deux questions prejudicielles portant, l'une, surla compatibilite des articles 49 et 53 du Code des impots sur les revenus1992 avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, l'autre, sur lacompatibilite de l'article 49 susvise avec les articles 14 et 170 de laConstitution.
S'agissant de la premiere question, d'une part, l'illegalite denoncee negit pas dans les articles 49 et 53 qui n'etablissent eux-memes aucunedistinction entre des contribuables.
D'autre part, les defendeurs ne precisent pas en quoi les articles 49 et53 violeraient l'article 172 de la Constitution.
S'agissant de la seconde question, l'article 49 du Code des impots sur lesrevenus 1992, en ce qu'il determine les conditions de deductibilite descharges professionnelles, n'a pas une fonction repressive et le refusd'admettre la deduction des sommes litigieuses ne constitue pas unesanction.
La question repose, des lors, sur une hypothese erronee.
Il n'y a pas lieu de poser les questions prejudicielles.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Claude Parmentier, les conseillersDidier Batsele, Albert Fettweis, Daniel Plas et Martine Regout, etprononce en audience publique du quatorze decembre deux mille sept par lepresident de section Claude Parmentier, en presence de l'avocat generalAndre Henkes avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
14 DECEMBRE 2007 F.05.0098.F/8