Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.06.0579.F
K. B. M.-T.,
demanderesse en cassation,
admise au benefice de l'assistance judiciaire par decision du bureaud'assistance judiciaire du 5 octobre 2006 (pro Deo nDEG G.06.0119.F),
representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,
contre
D. J-C.,
defendeur en cassation,
represente par Maitres Cecile Draps et Jacqueline Oosterbosch, avocats àla Cour de cassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue deChaudfontaine, 11, ou il est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 13 juin 2006par la cour d'appel de Liege.
Par ordonnance du 22 novembre 2007, le premier president a renvoye lacause devant la troisieme chambre.
Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.
Le procureur general Jean-Franc,ois Leclercq a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- article 306 du Code civil ;
- article 149 de la Constitution ;
- principe general du droit relatif au respect des droits de la defense.
Decisions et motifs critiques
Apres avoir fait droit à la demande en divorce formee par la demanderessecontre le defendeur, fondee sur l'adultere de ce dernier constate parexploit d'huissier du 28 mai 1997, l'arret deboute le defendeur de lademande en divorce qu'il a formee contre la demanderesse sur le fondementde l'article 231 du Code civil mais accueille cette demande en tantqu'elle etait fondee sur la separation de fait de plus de deux ans desepoux par application de l'article 232, alinea 1er, du meme code.
Et il admet partiellement le renversement de la presomption visee àl'article 306 du Code civil, aux termes duquel « l'epoux qui obtient ledivorce » sur le fondement de la separation de fait de plus de deux ans« est considere comme l'epoux contre qui le divorce est prononce » saufpreuve que la separation de fait est imputable à ses propres « fautes etmanquements », en decidant que « le divorce est imputable aux fautes etmanquements des deux parties » par les motifs suivants :
« Pour renverser celle-ci (la presomption visee à l'article 306 du Codecivil), (le defendeur) doit etablir que (la demanderesse) est seule àl'origine de la separation et la cause de sa persistance.
Des griefs evoques par (le defendeur) en pages 5 et 6 de ses conclusionsd'appel, seul le second peut etre retenu comme ayant contribue à laseparation des parties. En effet, le certificat medical depose par (ledefendeur) à la suite de la scene de coups du 15 juin 1992 laisseapparaitre que les coups ont ete relativement violents. Par ailleurs, s'iln'est pas etabli qu'il y ait eu d'autres scenes de coups precedemment -sauf l'episode de la chaise semble-t-il -, le rapport que les gendarmesfont dans le dossier repressif ne peut etre ecarte d'un revers de mainsous pretexte que les temoignages qu'ils ont recueillis demeurent anonymes: les proces-verbaux font foi jusqu'à preuve du contraire. Or, à cetegard, les renseignements consignes par les verbalisants sont sansequivoque : 'Nous sommes dejà intervenus à plusieurs reprises chez la[la demanderesse] toujours pour des differends (avec son mari ou avec lesvoisins). De ce fait, nous avons mene une petite enquete de voisinage etnous avons appris ceci : - tout le monde que nous avons rencontre estunanime pour dire que [la demanderesse] est une veritable furie etqu'il est impossible de s'entendre avec elle ; - ces personnes sontegalement unanimes pour ne pas vouloir faire de declaration et ainsieviter les represailles de l'interessee ; - certains ont ete temoins desscenes qui opposaient [la demanderesse] à son mari et particulierementlorsqu'une fois, elle lui brisa une chaise sur la tete ; [...] - lespersonnes en cause, hormis [la demanderesse], et les temoins resument lesfaits comme etant minimes et surtout provoques par [la demanderesse]'.
Si les allegations developpees par (le defendeur) en page 5 in fine et 6de ses conclusions d'appel quant au vecu du couple ne sont pas demontrees,il n'en demeure pas moins que les elements releves ci-avant par lesverbalisants sont suffisants pour etablir que tous les torts ne sont pasdu seul cote (du defendeur) et que le comportement de (la demanderesse) a,lui aussi, ete à l'origine de la separation.
Par contre, si (la demanderesse) a initie la procedure en divorce, c'est(le defendeur) qui a chaque fois relance la procedure que (lademanderesse) ne diligentait pas. Sa mise en menage avec la dame ElisabethJ., toujours d'actualite, est la cause du maintien de cette separation ».
Griefs
L'arret justifie le renversement partiel de la presomption visee àl'article 306 du Code civil par plusieurs scenes de violence dont laresponsabilite incomberait à la demanderesse.
Premiere branche
La cour d'appel a deboute le defendeur de sa demande en divorce fondee surl'adultere de la demanderesse et a ecarte le moyen de defense du defendeurqui soutenait que l'adultere commis n'etait pas injurieux en raison desactes de violence de la demanderesse dont il avait ete victime, par lesmotifs suivants :
« Les violences de (la demanderesse) ne sont etablies que par les seulsfaits du 15 juin 1992 outre, avec quasi certitude, un fait anterieur aucours duquel [la demanderesse] aurait frappe son mari avec une chaise. Ilapparait du certificat medical depose que (le defendeur) fut assezserieusement atteint [...] mais (la demanderesse) a expose à lagendarmerie que (le defendeur), ce jour-là, etait rentre sous l'influencede la boisson apres avoir quitte le domicile conjugal pendant deux jours,detail qu'il est impossible de verifier, tout en constatant qu'il pourraitbien etre vrai dans la mesure ou, si (la demanderesse) a immediatementporte plainte à la gendarmerie, (le defendeur) ne s'y est rendu que lesurlendemain et n'en fait pas mention dans sa declaration. Il a neanmoinsfait constater ces traces de coups le soir meme du 15 juin. Il fautajouter que dans l'echauffouree, (la demanderesse) a ete blesseeegalement. Enfin, les deux parties s'accusent mutuellement d'etreviolentes. De ces elements fragmentaires et incertains, la cour [d'appel]ne peut que conclure qu'un seul fait de violence est prouve, meme si unsecond (episode de la chaise) est probable, que la responsabilite de lascene pourrait incomber (au defendeur) et que d'autres faits du meme genrene sont pas etablis. Dans ces conditions, cet element, survenu à la finde la vie commune, ne peut, lui non plus, justifier, à lui seul,l'adultere (du defendeur) ».
Il se deduit de ces motifs que, pour la cour d'appel, un seul fait deviolence est prouve sans qu'il soit etabli que la demanderesse en estresponsable.
L'arret n'a donc pu, sans contradiction, justifier, par les motifscritiques, le renversement de la presomption enoncee à l'article 306 duCode civil par plusieurs scenes de violence dont la demanderesse se seraitrendue coupable. Cette contradiction de motifs equivaut à une absence demotif (violation de l'article 149 de la Constitution).
Deuxieme branche
En fondant sa decision sur des temoignages anonymes, consignes par lesverbalisants dans un proces-verbal, sans aucune possibilite pour lademanderesse d'etre confrontee à ces temoins demeures inconnus et, enconsequence, de contredire le cas echeant leurs declarations, l'arretmeconnait les droits de la defense de la demanderesse (violation duprincipe general du droit vise).
Troisieme branche
Le renversement de la presomption enoncee à l'article 306 du Code civilà l'encontre de l'epoux qui obtient le divorce sur la base de l'article232, alinea 1er, du meme code suppose que «l'epoux demandeur apporte lapreuve que la separation de fait est imputable aux fautes et manquementsde l'autre epoux ».
L'arret n'a pu legalement deduire cette preuve de faits de violencequalifies de « minimes » par les temoins anonymes dont les verbalisantsont recueilli et consigne le temoignage dans un proces-verbal.
Des faits « minimes » ne sauraient etre consideres comme des « fauteset manquements » justifiant le renversement partiel de la presomption(violation de l'article 306 du Code civil).
III. La decision de la Cour
Quant à la deuxieme branche :
Il ressort des motifs reproduits par le moyen que, pour decider que, dansle cadre de la demande en divorce pour separation de plus de deux ans, ledivorce doit etre prononce aux torts des deux parties, l'arret se fonded'une maniere determinante sur des declarations anonymes des voisins ducouple recueillies par les services de la gendarmerie.
Ainsi, l'arret meconnait les droits de defense de la demanderesse.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
Sur les autres griefs :
Il n'y a pas lieu d'examiner la premiere et la troisieme branche du moyen,qui ne sauraient entrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque en tant qu'il statue sur la demandereconventionnelle du defendeur fondee sur l'article 232 du Code civil etsur les depens ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Daniel Plas,Christine Matray, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononce enaudience publique du dix-sept decembre deux mille sept par le presidentChristian Storck, en presence du procureur general Jean-Franc,oisLeclercq, avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.
17 DECEMBRE 2007 C.06.0579.F/8