Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.06.0637.F
K. H., demanderesse en cassation,
admise au bénéfice de l'assistance judiciaire par ordonnance du premierprésident du 21 novembre 2006 (pro Deo n° G.06.0147.F),
représentée par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est faitélection de domicile,
contre
1. CITIBANK BELGIUM, société anonyme dont le siège social est établi àIxelles, boulevard Général Jacques, 263,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il estfait élection de domicile,
2. C. D., défendeur en cassation ou, à tout le moins, partie appelée endéclaration d'arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 30 juin2006 par le tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en degréd'appel.
Par ordonnance du 13 décembre 2007, le premier président a renvoyé lacause devant la troisième chambre.
Le conseiller Christine Matray a fait rapport.
L'avocat général Jean-Marie Genicot a conclu.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse présente trois moyens libellés dans les termes suivants :
Premier moyen
Disposition légale violée
Article 149 de la Constitution.
Décision et motifs critiqués
Le jugement attaqué ne répond pas aux conclusions de la demanderesserelatives à l'opposabilité à son égard de la clause de procurationcomprise dans les conditions générales de la défenderesse.
Grief
Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse faisait valoir que la clausede procuration ne lui était pas opposable dès lors que cette clause setrouvait dans les conditions générales de la défenderesse, conditionsgénérales auxquelles elle déclarait n'avoir pas souscrit.
Le jugement attaqué ne répond pas à ce grief. Il se contente de répondreau grief de la demanderesse relatif au caractère illicite de cette clause.
Par conséquent, le jugement attaqué viole l'article 149 de laConstitution.
Deuxième moyen
Disposition légale violée
Article 149 de la Constitution.
Décision et motifs critiqués
Le jugement attaqué ne répond pas aux conclusions de la demanderesserelatives à l'absence de cause, en ce qui la concerne, du contrat de prêtou, à tout le moins, au caractère illicite de cette cause.
Grief
Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse faisait grief au jugementdont appel d'avoir violé l'article 149 de la Constitution en ne répondantpas à son argument selon lequel l'obligation contractée par elle n'avaitpas de cause, une fausse cause ou une cause illicite, dès lors qu'ellen'aurait signé le contrat de prêt que sous la pression du défendeur.
Le jugement attaqué ne répond pas à ce grief de la demanderesse dès lorsqu'il ne considère ni l'argument relatif à la violation, par le jugementdont appel, de l'article 149 de la Constitution ni la question de la causede la convention. En ce qu'il ne répond pas ainsi aux conclusions d'appelde la demanderesse, le jugement attaqué viole l'article 149 de laConstitution.
Troisième moyen
Dispositions légales violées
Articles 10, 11 et 15 de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à laconsommation, les deux premiers tels qu'ils étaient en vigueur avant leurmodification par la loi du 24 mars 2003 et le troisième tel qu'il était envigueur avant sa modification par les lois du 10 août 2001 et du 24 mars2003.
Décision et motifs critiqués
Le jugement attaqué considère que le prêteur n'a pas violé l'article 11 dela loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation en prenant enconsidération, afin de déterminer les capacités de remboursement desemprunteurs tenus solidairement, les revenus cumulés de ceux-ci.
Il justifie cette décision par tous ses motifs réputés ici intégralementreproduits, en particulier par les motifs suivants :
« Les emprunteurs s'étant présentés comme cohabitants, il apparaîtlégitime pour un prêteur d'avoir égard aux revenus cumulés descodemandeurs de crédit, pour apprécier la viabilité de l'opération decrédit et il n'est pas contesté que, apprécié de la sorte, le créditpouvait être accordé par le prêteur sans commettre de fauted'appréciation ».
Griefs
L'article 10 de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation,tel qu'il était en vigueur à l'époque de la conclusion du contrat de prêt,disposait :
« Le consommateur qui sollicite un contrat de crédit doit, à la demande duprêteur ou de l'intermédiaire de crédit, lui communiquer lesrenseignements exacts et complets que le prêteur ou l'intermédiaire decrédit jugent nécessaires afin d'apprécier la situation financière et lafaculté de remboursement du consommateur ».
L'article 11 de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation,tel qu'il était en vigueur à l'époque de la conclusion du contrat de prêt,disposait :
« Le prêteur et l'intermédiaire de crédit sont tenus :
1° de donner au consommateur toute information nécessaire, de façon exacteet complète, concernant le contrat de crédit envisagé ;
2° de rechercher, dans le cadre des contrats de crédit qu'ils offrenthabituellement ou pour lesquels ils interviennent habituellement, le typeet le montant des crédits les mieux adaptés compte tenu de la situationfinancière du consommateur au moment de la conclusion du contrat ».
L'article 15 de la loi du 12 juin 1991, tel qu'il était en vigueur àl'époque de la signature du contrat de prêt, disposait :
« Le prêteur ne peut délivrer d'offre de crédit que si, compte tenu desinformations dont il dispose ou devrait disposer, notamment sur base de laconsultation organisée par l'article 71, et sur base des renseignementsvisés à l'article 10, il doit raisonnablement estimer que le consommateursera à même de respecter les obligations découlant du contrat ».
En application de ces dispositions, le prêteur a une obligation certained'information qui inclut notamment l'obligation pour le prêteur devérifier la capacité de remboursement de l'emprunteur et, le cas échéant,de refuser le crédit lorsqu'il paraît raisonnable de considérer que cetemprunteur ne sera pas à même de respecter les obligations découlant ducontrat.
Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 12 juin 1991 sur lecrédit à la consommation que cette loi a pour objet de mettre en place desmécanismes d'information et de protection du consommateur, destinés àlutter contre le surendettement, essentiellement sous l'angle de laprévention, c'est-à-dire notamment en ce qui concerne la conclusion ducontrat de crédit.
Dans cette optique, les articles 10, 11 et 15 de cette loi consacrentlégalement le devoir général de prudence du prêteur, qui impliquenotamment que le prêteur ne peut délivrer d'offre de crédit s'il estime,après s'être notamment informé sur la capacité de remboursement del'emprunteur, que celui-ci ne sera pas à même de respecter les obligationsdu contrat. Ce devoir général de prudence impose donc au prêteur de ne pasaccorder de crédit à des codébiteurs solidaires qui, au moment de laconclusion du crédit, ne sont pas chacun en mesure de rembourser, seuls,les mensualités de ce crédit. En effet, en raison du caractère solidairede l'emprunt, le prêteur peut réclamer à un seul des codébiteurs lepaiement de l'ensemble des mensualités du remboursement. Par conséquent,il doit s'être assuré, préalablement à la signature du contrat, que chacundes codébiteurs sera à même de respecter les obligations découlant ducontrat, à savoir, en l'espèce, le remboursement des mensualités du prêtlitigieux.
En ce qu'il considère « qu'il apparaît légitime pour un prêteur d'avoirégard aux revenus cumulés des codemandeurs de crédit, pour apprécier laviabilité de l'opération de crédit », le jugement attaqué viole donc ledevoir général de prudence du prêteur tel qu'il est consacré notamment parles articles 10, 11 et 15 de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à laconsommation et viole ainsi ces dispositions telles qu'elles étaient envigueur à l'époque de la conclusion du contrat de prêt.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
En excluant que le consentement donné par la demanderesse à la conventionlitigieuse ait été vicié par la violence, le jugement attaqué répond, enles contredisant, aux conclusions visées au moyen, dans lesquelles lademanderesse déduisait de ce vice du consentement l'inopposabilité à sonégard de la clause de procuration contenue dans les conditions généralesde cette convention.
Le moyen manque en fait.
Sur le deuxième moyen :
Par ses considérations écartant la violence alléguée par la demanderesse,le jugement attaqué répond aussi aux conclusions visées au moyen, danslesquelles la demanderesse déduisait l'absence de cause de la conventiondes pressions et de la violence dont elle prétendait avoir été victime.
Pour le surplus, répondant à cette défense, le jugement attaqué n'étaitpas tenu de répondre aux conclusions par lesquelles la demanderessefaisait valoir, sans en déduire aucune conséquence juridique, que lepremier juge l'avait laissée sans réponse.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
Les dispositions de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommationdont le moyen invoque la violation n'interdisent pas au prêteur, lorsqu'unprêt est demandé par deux consommateurs formant un ménage et disposés às'engager solidairement, de prendre en considération, pour apprécier sices consommateurs seront à même de respecter les obligations découlant ducontrat, leurs facultés communes de remboursement.
En considérant que, « les emprunteurs s'étant présentés comme descohabitants, il apparaît légitime pour un prêteur d'avoir égard auxrevenus cumulés des codemandeurs de crédit pour apprécier la viabilité del'opération de crédit » et qu'« il n'est pas contesté que, apprécié de lasorte, le crédit pouvait être accordé par le prêteur sans commettre defaute d'appréciation », le jugement attaqué justifie légalement sadécision.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent nonante-cinq euros septante-sixcentimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent vingt-sixeuros nonante centimes envers la deuxième partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président Christian Storck, les conseillers Daniel Plas,Christine Matray, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononcé enaudience publique du sept janvier deux mille huit par le présidentChristian Storck, en présence de l'avocat général Jean-Marie Genicot, avecl'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.
7 JANVIER 2008 C.06.0637.F/8