Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.06.0344.F
AXA BELGIUM, societe anonyme dont le siege social est etabli àWatermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,
contre
G. M.,
defenderesse en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 6 decembre 2005par la cour d'appel de Bruxelles.
Le conseiller Daniel Plas a fait rapport.
L'avocat general Andre Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- articles 418 et 419 du Code penal ;
- article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre preliminaire duCode de procedure penale ;
- principe general du droit relatif à l'autorite de la chose jugee enmatiere penale.
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate, dans l'arret avant dire droit du 19 fevrier 1996 etdans l'arret attaque, que feu Mathias Gans fut victime d'un accident de lacirculation le 13 mars 1985, qu'il deceda le 21 mai 1985 et que ladefenderesse et ses enfants sollicitaient la condamnation de lademanderesse au paiement de 1.060.000 francs en principal en vertu d'uncontrat d'assurance « comptes especes », souscrit aupres de L'AssuranceLiegeoise, à laquelle a succede la demanderesse, par la Banque BruxellesLambert pour le cas de deces accidentel du mari de la defenderesse en vuede garantir soit le comblement de son passif bancaire à la date du deces,soit le paiement d'une indemnite en cas de compte(s) crediteur(s),
et saisie de conclusions par lesquelles la demanderesse opposait à lademande qu'en vertu de l'article 2 du contrat d'assurance, etait seulcouvert « le deces resultant d'une maniere directe et exclusive del'accident pour autant que celui-ci soit survenu moins de 24 mois avant ledeces » et soutenait qu'en l'espece, il ressortait des motifs de l'arretdu 16 juin 1988 de la cour d'appel de Bruxelles, qui avait condamnepenalement l'auteur de l'accident pour homicide involontaire, que cetaccident n'etait pas la cause directe et exclusive du deces,
la cour d'appel, par l'arret attaque, declare fondee la demande de ladefenderesse et condamne la demanderesse à payer à celle-ci la somme de26.276,71 euros en principal.
L'arret fonde cette decision sur les motifs suivants :
« (La demanderesse) conteste le droit à une indemnite de (ladefenderesse), (la demanderesse) persistant à affirmer qu'il n'est pasetabli que le deces de [l']epoux [de la defenderesse] resulte d'unemaniere directe et exclusive de l'accident, etant entendu que le deces (du21 mai 1985) est survenu moins de 24 mois apres l'accident (du 13 mai[lire :mars] 1985). Selon (la demanderesse), la condition de l'article 2de la convention n'est donc pas remplie et sa couverture n'est des lorspas acquise à (la defenderesse).
Ce raisonnement meconnait l'autorite de la chose jugee (erga omnes) del'arret de la cour d'appel de Bruxelles siegeant en matierecorrectionnelle du 16 juin 1988 qui a decide que la preventiond'infraction à l'article 419 du Code penal etait etablie dans le chef del'automobiliste responsable de l'accident mortel de M. G., en ces termes :'qu'en d'autres mots, la serieuse atteinte des coronaires de la victime aconnu une evolution fatale à la suite de l'accident, sans pouvoirconsiderer cet etat pathologique preexistant comme une cause de deces,puisque ni la victime elle-meme, ni les medecins qui etaient en contactavec elle ne constaterent jamais quoi que ce soit de suspect et puisquecet homme avait une vie et une activite professionnelle dekinesitherapeute et de professeur tres actives normales ; que le prevenudoit encourir les risques de la sensibilite personnelle de la victime(...)'.
Il se deduit clairement de l'arret, contrairement aux affirmations de (lademanderesse), que le deces de M. G. a eu pour cause directe et exclusive,l'accident de la circulation dont il a ete victime, le 13 mai [lire :mars]1985, et ce, independamment de l'etat pathologique dont il souffrait, etatqui au demeurant ne fut decouvert qu'apres l'accident.
(La defenderesse) est en droit des lors de revendiquer le benefice de lacouverture de l'assurance litigieuse ».
Griefs
En vertu du principe general du droit relatif à l'autorite de la chosejugee en matiere penale, dont l'article 4 de la loi du 17 avril 1878contenant le titre preliminaire du Code de procedure penale faitapplication, cette autorite de chose jugee ne s'attache qu'à ce qui a etecertainement et necessairement juge par le juge penal concernantl'existence des faits mis à charge du prevenu et aux motifs qui sont lesoutien necessaire de la decision repressive.
Les elements constitutifs de l'infraction d'homicide involontaire au sensdes articles 418 et 419 du Code penal sont un defaut de prevoyance ou deprecaution du prevenu, le deces de la victime et une relation causaleentre le defaut de prevoyance ou de precaution et ce deces, c'est-à-direque sans le defaut de prevoyance ou de precaution, le deces ne se seraitpas produit tel qu'il s'est produit concretement. Constater que ceselements constitutifs sont remplis n'implique pas que le defaut deprevoyance ou de precaution est la cause directe et exclusive du deces;cette constatation n'est des lors pas necessaire pour justifier legalementla condamnation du chef d'homicide involontaire.
En l'espece, la cour d'appel de Bruxelles, statuant en matierecorrectionnelle, a, par arret du 16 juin 1988, condamne le responsable del'accident au penal du chef d'homicide involontaire. Les motifs qui sontle soutien necessaire de cette condamnation sont non pas ceux releves parl'arret attaque, mais : « dat de (...) rijwijze van (M. R.)ontegensprekelijk het gebrek aan voorzichtigheid en voorzorg uitmaakt datdoor de beschikking van artikel 418 van het Strafwetboek beteugeld wordt(...) » ; « dat zonder de aanrijding van 13 maart 1985 het overlijdenvan de heer Gans zich niet zou hebben voorgedaan zoals het zich voordeeden namelijk op 21 mei 1985, nu dit ongeval de dood heeft bespoedigd naarhet advies van (de) deskundigen (...) » et « dat dit ongeval, zonder deonmiddellijke rechtstreekse oorzaak van het overlijden te zijn (...), nuvolgens Dr. Careme, de onmiddellijke doodsoorzaak zich ingesteld heeft inde periode tussen 26 en 28 maart 1985 (myocardinfarct), dus na deaanrijding, nochtans in oorzakelijk verband staat met dit overlijden »(traduction : que la maniere de conduire de M. R. constitueincontestablement le defaut de prevoyance et de precaution sanctionne parl'article 418 du Code penal ; que sans l'accident du 13 mars 1985, ledeces de M. G. ne se serait pas produit tel qu'il s'est realise et àsavoir le 21 mai 1985 puisque ledit accident a accelere le deces selonl'avis des experts et que cet accident, sans etre la cause directeimmediate du deces, puisque selon le Docteur Careme la cause immediate dudeces s'est installee entre les 26 et 28 mars 1985 (infarctus dumyocarde), donc apres l'accident, est quand meme en relation causale avecce deces).
L'arret attaque qui, pour condamner la demanderesse vis-à-vis de ladefenderesse, decide que l'autorite de la chose jugee au penal de l'arretdu 16 juin 1988, qui condamne l'automobiliste responsable de l'accidentmortel de M. G., M. R., du chef d'homicide involontaire, implique que ledeces de M. G. a pour cause « directe et exclusive » cet accident, violel'autorite de la chose jugee au penal qui s'attache à l'arret du 16 juin1988 (violation du principe general du droit relatif à l'autorite de lachose jugee en matiere penale et de l'article 4 de la loi du 17 avril 1878contenant le titre preliminaire du Code de procedure penale), ainsi queles articles 418 et 419 du Code penal qui erigent en infraction l'homicideinvolontaire.
III. La decision de la Cour
L'autorite de la chose jugee en matiere repressive ne s'attache qu'à cequi a ete certainement et necessairement juge par le juge penal,concernant l'existence des faits mis à charge du prevenu, et en prenanten consideration les motifs qui sont le soutien necessaire de la decisionrepressive.
Pour justifier legalement sa decision de condamner un prevenu du chefd'homicide involontaire, le juge doit constater que le deces de la victimeest la consequence du defaut de prevoyance ou de precaution de ce prevenu,sans qu'il soit requis que cette faute soit la seule cause du deces.
L'arret attaque se fonde sur les motifs de l'arret rendu par la chambrecorrectionnelle de la cour d'appel de Bruxelles le 16 juin 1988, que lemoyen reproduit, pour deduire que « le deces de [la victime] a eu pourcause directe et exclusive l'accident de la circulation » survenu le 13mars 1985.
Des lors que ces motifs ne constituent pas le soutien necessaire de ladecision repressive qui condamne le prevenu du chef d'homicideinvolontaire, l'arret attaque meconnait le principe general du droitrelatif à l'autorite de la chose jugee en matiere repressive.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque en tant qu'il statue sur le fondement de la demandede la defenderesse et sur les depens ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Claude Parmentier, les conseillersDidier Batsele, Albert Fettweis, Daniel Plas et Martine Regout, etprononce en audience publique du seize octobre deux mille huit par lepresident de section Claude Parmentier, en presence de l'avocat generalAndre Henkes, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
16 OCTOBRE 2008 C.06.0344.F/7