Cour de cassation de Belgique
Arret
497
*401
NDEG P.07.1627.F
J. T., M., A., G,
prevenue,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,et ayant pour conseil Maitre Simone Nudelholc, avocat au barreau deBruxelles,
contre
G. C.,
partie civile,
defenderesse en cassation.
I. la procedure devant la cour
Le pourvoi est dirige contre un arret rendu le 10 octobre 2007 par la courd'appel de Mons, chambre correctionnelle, statuant comme juridiction derenvoi ensuite d'un arret de la Cour du 29 juin 2005.
Le president de section Jean de Codt a fait rapport.
L'avocat general Damien Vandermeersch a conclu.
II. le moyen de cassation
La demanderesse invoque un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- article 1138, specialement 2DEG, du Code judiciaire ;
- principe general du droit dit principe dispositif en vertu duquel lejuge ne peut modifier l'objet d'une demande soit en l'amplifiant, soit ensubstituant une pretention à une autre.
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate
1. qu'« il est definitivement etabli (par l'arret du 15 novembre 2004de la cour d'appel de Bruxelles) que les prevenus P. G. et (lademanderesse) ont :
* commis un faux en ecriture (tel que requalifie par la cour d'appel)pour avoir etabli des faux comptes au 31 decembre 1991 de la SPRLGoffin Fils en prenant en consideration une dette inexistante de4.521.000 francs (prevention B3) ;
- frauduleusement detourne `une somme de 4.521.000 francs payee notammenten 1991 par la societe SPRL Goffin Fils à la SA GF Holding au prejudicede la SPRL Goffin Fils et de la partie civile' (prevention C1) ;
* frauduleusement detourne `une somme de 5.003.220 francs et 465.954francs' consideree comme des loyers dus par la SPRL Goffin Fils à laSA GF Holding en majeure partie fictifs au prejudice de la SPRL GoffinFils et la partie civile (prevention C3) ;
- que la condamnation penale des prevenus implique la constatation ergaomnes d'une faute dans leur chef respectif ainsi qu'une relation de causeà effet entre cette faute et le dommage de la [defenderesse] au prejudicede laquelle les preventions C1 et C3 ont ete definitivement declareesetablies ; qu'il importe des lors uniquement de verifier la nature dudommage de la [defenderesse] ainsi que de determiner l'importance de cedommage en relation causale avec les fautes infractionnelles etablies dansle chef des prevenus» ;
2) que la [defenderesse] « postule la condamnation in solidum desprevenus à lui payer la somme de 247.893,52 euros en reparation de sondommage» ; que la [defenderesse] « soutient que son dommage consistedans le fait de n'avoir pas pu conserver sa quote-part dans la successionde son pere en raison des comportements infractionnels etablis desprevenus »;
et apres avoir decide que « le dommage de la [defenderesse] ne sauraitconsister en la perte d'un droit acquis à savoir la valeur de sa partd'heritage dans la succession de H. G. ainsi que la partie civile lesoutient » ;
l'arret attaque condamne la demanderesse et P. G. solidairement à payerà la defenderesse la somme de 100.000 euros majoree des interetscompensatoires au taux de 5% à dater du 1er juillet 1992 et des interetsmoratoires ainsi que la somme de 5.000 euros pour couvrir ses frais dedefense.
L'arret attaque fonde cette decision sur les motifs suivants :
« La [defenderesse] invoque (...) l'impossibilite de conserver ses partsou de les revendre à un tiers dans des conditions normales à la suitedes agissements frauduleux des prevenus.
Meme si elle s'en defend formellement, ce dommage tel que defini par la[defenderesse], consiste en realite en une perte de chance.
Le comportement infractionnel des prevenus consistant à mettre au pointun mecanisme destine à financer le rachat par la SA GF Holding des partsde T. J. et J. G. dans la SPRL Goffin Fils au moyen d'importants fondspropres de cette SPRL a necessairement affecte la situation financiere decette societe et a occasionne un dommage tant à cette derniere qu'à la[defenderesse] ainsi qu'il est definitivement etabli.
Les difficultes financieres de la SPRL Goffin Fils, qui ont entraine safaillite, resultent des detournements operes par les prevenus meme siceux-ci sont largement anterieurs à la date de la faillite.
En effet meme si les detournements ont cesse au debut 1994 ainsi quel'affirment les prevenus, leurs effets ont pese lourdement etprogressivement sur la situation financiere de la SPRL.
L'expert judiciaire A. L. a d'ailleurs releve que tant les loyersanticipes qu'excessifs constituent une des causes ayant vide la societe desa substance et mis, fin 1994, la societe Goffin Fils au bord de lafaillite.
Le prejudice de la [defenderesse] ne trouve des lors pas sa cause dans lafaillite prononcee en mars 1996 laquelle n'est que la consequenceineluctable des detournements operes par les prevenus.
En ayant egard au tableau repris en page 11 des conclusions de la[defenderesse] et auquel se refere indirectement la (demanderesse) pourfaire etat de benefices importants enregistres par la SPRL Goffin Fils de1990 à 1992, il y a de surcroit lieu de relever une chute de cesbenefices des 1992, soit à l'epoque ou il est etabli que les loyers payesetaient en majeure partie fictifs puis l'apparition de pertes survenuesdes l'exercice 1993 et en constante aggravation ensuite.
Le prejudice de la [defenderesse] consiste des lors bien à avoir eteprivee de la possibilite, soit de conserver des parts sociales dans unesociete à l'activite commerciale normale durant un temps indetermine,soit de les ceder à un tiers pour une valeur indeterminee ainsi qu'elleen avait d'ailleurs exprime la volonte precedemment lors de negociationsqui n'avaient cependant pas abouti.
Il s'agit là d'une perte certaine d'une chance resultant de la faute desprevenus ».
Griefs
Premiere branche
En vertu du principe dispositif et de l'article 1138, 2DEG, du Codejudiciaire, le juge ne peut modifier d'office l'objet d'une demande soiten l'amplifiant, soit en y substituant une demande qui n'a pas eteformulee par le demandeur. Certes, le juge a le pouvoir de requalifierjuridiquement le fondement et l'objet de la demande. Toutefois, ce pouvoirde requalification ne l'autorise pas à modifier l'avantage ou le resultatpostule par le demandeur.
En l'espece, la [defenderesse] reclamait la reparation de son dommagemateriel effectivement subi en raison de « la perte de la valeur de laquote-part du patrimoine familial à laquelle elle avait droit au deces deson pere », et de la perte de valeur de sa participation dans la SPRLGoffin Fils.
La [defenderesse] n'a jamais allegue avoir subi un dommage du fait d'uneperte d'une chance, consistant « à avoir ete privee de la possibilitesoit de conserver des parts sociales dans une societe à l'activitecommerciale normale durant un temps indetermine, soit de les ceder à untiers pour une valeur indeterminee ». Tout au contraire, il ressort desconclusions de la [defenderesse] que celle-ci excluait expressement queson dommage consiste en une perte d'une chance.
L'arret attaque releve d'ailleurs lui-meme que la [defenderesse] excluaitque son dommage consiste en une perte d'une chance.
Par consequent, en condamnant la demanderesse et P. G. à payer à la[defenderesse] une indemnite de 100.000 euros en principal en compensationde la perte d'une chance, alors que la [defenderesse] ne formulait pas unetelle demande, l'arret [attaque] indemnise un dommage autre que celui dontla defenderesse reclamait reparation et partant statue sur choses nondemandees (violation de l'article 1138, 2DEG, du Code judiciaire et duprincipe general du droit dit principe dispositif).
Seconde branche
Si les motifs precites doivent etre interpretes comme signifiant que la[defenderesse] a en realite demande la reparation d'un dommage consistanten la perte d'une chance d' « avoir ete privee de la possibilite soit deconserver des parts sociales dans une societe à l'activite commercialenormale durant un temps indetermine, soit de les ceder à un tiers pourune valeur indeterminee », l'arret attaque a alors meconnu la foi due auxconclusions prises par la [defenderesse] devant la cour d'appel de Mons,en imputant à ces actes des enonciations qu'ils ne contenaient pas(violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).
III. la decision de la cour
Quant à la premiere branche :
La defenderesse a soutenu devant les juges d'appel que le dommage materielcause par les infractions declarees etablies dans le chef de lademanderesse consiste dans le fait « de n'avoir pu conserver la valeur dela quote-part du patrimoine familial à laquelle elle avait droit au decesde son pere et, le cas echeant, de n'avoir pu realiser celle-ci enrevendant sa participation dans des conditions normales soit à un tierssoit à un membre de sa famille ».
L'arret attaque enonce que la defenderesse invoque « l'impossibilite deconserver ses parts ou de les revendre dans des conditions normales à lasuite des agissements frauduleux des prevenus (page 11 de sesconclusions) ; que, meme si elle s'en defend formellement, ce dommage telque defini par [elle-meme] consiste en realite en une perte d'unechance ».
Par ces considerations, l'arret donne à la demande telle que ladefenderesse la formule une qualification differente de celle qui estproposee en conclusions.
En statuant ainsi, les juges d'appel n'ont pas modifie l'objet de lademande et ne se sont pas prononces sur une chose non demandee.
Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
Quant à la seconde branche :
L'arret enonce que la defenderesse « invoque egalement l'impossibilite deconserver ses parts ou de les revendre dans des conditions normales à lasuite des agissements frauduleux des prevenus [...] ; que, meme si elles'en defend formellement, ce dommage tel que defini par la partie civileconsiste en realite en une perte d'une chance ».
En statuant ainsi, l'arret, qui reproduit la demande telle qu'elle estformulee en conclusions et oppose à la defenderesse une qualification decette demande differente de celle qu'elle propose, ne donne pas desditesconclusions une interpretation inconciliable avec leurs termes et,partant, ne viole pas la foi due à cet acte.
Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Lesdits frais taxes en totalite à la somme de soixante-neuf eurosquatre-vingts centimes dont trente-neuf euros quatre-vingts centimes duset trente euros payes par la demanderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient Jean de Codt, president de section, Paul Mathieu, AlbertFettweis, Benoit Dejemeppe et Jocelyne Bodson, conseillers, et prononce enaudience publique du douze novembre deux mille huit par Jean de Codt,president de section, en presence de Damien Vandermeersch, avocat general,avec l'assistance de Patricia De Wadripont, greffier adjoint principal.
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| P. De Wadripont | J. Bodson | B. Dejemeppe |
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| A. Fettweis | P. Mathieu | J. de Codt |
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12 NOVEMBRE 2008 P.07.1627.F/1
La soussignee Patricia De Wadripont, greffier adjoint principal à la Courde cassation, constate que Madame le conseiller Jocelyne Bodson est dansl'impossibilite de signer l'arret.
Cette declaration est faite en vertu de l'article 785, alinea 1er, du Codejudiciaire.
Bruxelles, le 13 novembre 2008.
Le greffier adjoint principal,
(se) P. De Wadripont
J. Pigeolet