Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.08.0337.N
1. UNIVERSAL MUSIC HOLDINGS Z.B.V., societe de droit neerlandais,
2. K. R.,
Me Ludovic De Gryse, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. V. P. E.,
2. V. P. D.
Mes Simont et Foriers, avocats à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi est dirige contre l'arret rendu le 4 septembre 2007 par la courd'appel de bruxelles.
Le conseiller Eric Dirix a fait rapport.
L'avocat general Christian Vandewal a conclu.
II. Les faits
Le litige entre les parties concerne une infraction aux droits d'auteurmise à charge des demandeur par les defendeurs, ceux-ci soutenant qu'ilssont titulaires de ces droits sur l'oeuvre musicale « If we can start allover » (traduction : « Si nous pouvions tout recommencer ») qui auraitete plagiee par les demandeurs dans leur oeuvre « You are not alone »(traduction : « Tu n'es pas seul »).
Apres avoir designe successivement deux colleges d'experts, le premierjuge, statuant comme en refere, a considere dans un jugement du 20 janvier2003 que « la ressemblance » entre les deux oeuvres au sens de lalegislation sur les droits d'auteur « n'etait pas suffisammentetablie ». Le premier juge a declare non fondee l'action en cessation desdefendeurs du chef d'infraction aux droits d'auteur.
III. Le moyen de cassation
Les demandeurs presentent trois moyens libelles dans les termes suivants :
(...)
Troisieme moyen
Dispositions legales violees
- article 149 de la Constitution ;
- articles 1er, S: 1er et 87, S: 1er, de la loi du 30 juin 1994 relativeau droit d'auteur et aux droits voisins ;
- articles 1315, alinea 1er, 1349, 1350 et 1353 du Code civil ;
- article 870 du Code judiciaire.
Decisions et motifs critiques
1. Lors de l'appreciation de l'action en cessation qui a donne lieu à lacondamnation des demandeurs du chef d'infraction aux droits d'auteur desdefendeurs, l'arret attaque admet (...) que
« En principe, (...) la concordance constatee entre les deux oeuvresmusicales n'exclut pas que la composition la plus recente de K. (seconddemandeur) constituerait malgre tout une oeuvre independante et ne seraitdonc pas basee sur une atteinte par copie ou reproduction de l'oeuvre desappelants (les defendeurs).
2. L'arret decide toutefois que (...)
« la partie K. (le second demandeur) ne prouve pas et ne rend pasdavantage plausible le fait qu'il aurait ecrit une oeuvre independante encreant la melodie `You are not alone' (traduction : `Tu n'es passeul') ».
3.L'arret deduit cette conclusion des considerations suivantes (...) :
« Toutefois, la charge de la preuve de l'auteur qui porte plainte doit,dans ce domaine, etre maintenue dans des limites raisonnables.
En general, il ne peut etre exige qu'il apporte la preuve definitive quel'auteur de l'oeuvre incriminee connaissait la composition plus ancienne.
Se fondant sur cet element, ce dernier est tenu de demontrer que sonoeuvre constitue neanmoins une oeuvre independante pour pouvoir echapperà l'accusation de reproduction infractionnelle.
La partie K. (second demandeur) ne fournit que tres peu d'elements àpropos de la creation de son oeuvre.
Il est uniquement etabli que la partition a ete deposee en aout 1995 chezBroadcast Music Inc. à New York, qui l'a enregistree en septembre 1995.
Le formulaire mentionne que l'enregistrement de la chanson par MichaelJackson a ete divulgue publiquement en juin 1995.
L'enregistrement a ete fait le 12 juin 1995 au Royaume-Uni.
K. (le second demandeur) soutient lui-meme que l'enregistrement a etecompose en juin 1995 mais ne fait part d'aucun element quant à la genesede l'oeuvre.
On peut difficilement admettre que la partition, telle qu'elle a eteenregistree a ete ecrite en une seule fois de maniere parfaite, et avectous ses elements harmoniques et rythmiques.
Il doit, des lors, normalement disposer « de documents de travail »,fut-ce sous forme d'ecrits ou de fichiers digitaux.
Nonobstant le fait qu'il connaissait l'accusation en matiere decontrefac,on dejà quelques semaines apres la divulgation au public, iln'a rien entrepris pour aneantir cette accusation par un document depreuve pertinent dans le temps.
Presque 21 mois se sont passes entre la declaration par les defendeurs etla divulgation de la musique au public americain, de sorte que du point devue chronologique, il est reellement possible qu'il ait pu avoirconnaissance de l'oeuvre.
Il peut en effet raisonnablement etre admis que les defendeurs n'ont pasecrit et n'ont pas declare l'oeuvre aupres de la Sabam pour ensuite laranger dans un tiroir et qu'ils l'ont, à tout le moins, communiquee àdes tiers.
Un seul enregistrement sur un support sonore suffisait pour permettre unedivulgation ulterieure ».
Griefs
Premiere branche
Violation de toutes les dispositions legales citees par le moyen.
1. Il n'est question d'infraction aux droits d'auteur au sens des articles1er, S: 1er et 87, S: 1er, de la loi du 30 juin 1994 que lorsque deselements originaux de l'oeuvre dont les droits d'auteur sont proteges envertu de l'article 1er, S: 1er, de la loi du 30 juin 1994, sont« repris » ou reproduits par un tiers sans l'autorisation de l'auteur.Ce n'est qu'en cas « d'emprunt fautif » des elements proteges, originauxde son oeuvre que l'auteur peut s'opposer à l'oeuvre d'un tiers qui peutalors etre consideree comme « une contrefac,on » ou « un plagiat ».« L'emprunt fautif » ainsi requis suppose « une connaissance »effective de l'oeuvre dans laquelle l'emprunt a ete fait.
2. Cette these a ete developpee de maniere circonstanciee par lesdemandeurs dans leurs conclusions d'appel (...).
3. Contrairement à l'oeuvre qui contient « un emprunt fautif » àl'oeuvre originale d'un tiers et qui peut constituer une infraction auxdroits d'auteur de ce dernier (« l'auteur ») qui peut s'y opposer sur labase des articles 1er, S: 1er et 87, S: 1er, de la loi du 30 juin 1994,« une oeuvre independante » ou « une creation independante » qui a etecreee sans « emprunt » ou copie, ne peut etre l'occasion d'uneinfraction aux droits d'auteur de ce tiers.
4. Des lors que « l'emprunt fautif » constitue une condition pour larealisation d'actes constituant des infractions aux droits d'auteur ausens des dispositions precitees de la loi du 30 juin 1994, la charge de lapreuve relative à un tel « l'emprunt fautif » incombe à celui quiaccuse un tiers d'avoir commis une infraction aux droits d'auteur, enl'espece, les defendeurs.
Cela ressort aussi de l'application de la regle de droit commun del'article 1315, alinea 1er, du Code civil et de l'article 870 du Codejudiciaire en vertu desquels celui qui invoque un fait doit le prouver.
5. Ni l'existence de concordances - fussent-elles importantes - entre lesdeux oeuvres ni le fait que l'oeuvre sur laquelle une infraction auxdroits d'auteur aurait ete commise etait anterieure, ne constituent unetelle preuve et ne peuvent pas davantage etre considerees comme « unepresomption » suffisante (au sens des articles 1349, 1350, 1353 du Codecivil).
6. L'anteriorite ou la priorite (dans le temps) de l'une des oeuvres parrapport de l'autre oeuvre incriminee constitue d'autant moins une preuveou presomption de « l'emprunt fautif » requis pour qu'il y aitinfraction que la nature de « nouveaute » ne constitue pas une conditionlegale pour qu'il y ait droit d'auteur au sens de l'article 1er de la loidu 30 juin 1994.
7. Dans la mesure ou l'arret, apres avoir reconnu que la charge de lapreuve incombe à « l'auteur qui porte plainte » en ce qui concerne« la reproduction » ou « la copie », en d'autres termes « l'empruntfautif » (...), decide neanmoins que la partie K. (second demandeur)« ne prouve pas et ne rend meme pas plausible qu'elle a ecrit une oeuvreindependante en composant la melodie `You are not alone' », il met demaniere illegale à charge des demandeurs, à savoir les parties accuseesd'infraction aux droits d'auteur, la preuve du defaut « d'empruntfautif ».
En renversant ainsi la charge de la preuve, l'arret viole les articles1er, S: 1er, et 87, S: 1er, de la loi du 30 juin 1994, 1315, 1349, 1350 et1353 du Code civil et 870 du Code judiciaire.
8. Dans la mesure ou l'arret (...) fonde le renversement de la charge dela preuve precite sur une pretendue « protection prioritaire » dont lesdefendeurs beneficieraient en raison « de la date certaine anterieure del'oeuvre originale », l'arret utilise un motif illegal de protection et« une presomption » illegale des lors que les termes precites de l'arretse referent à la condition de « nouveaute » qui ne constitue pas unecondition de la protection des droits d'auteur au sens de l'article 1er,S: 1er, de la loi du 30 juin 1994 et qui ne peut, des lors, pas etre priseen consideration en tant que « presomption ». L'arret viole ainsi lesdispositions legales citees sous le nDEG 7.
9. Dans la mesure ou la notion de « protection prioritaire » n'est pasclaire dans l'arret, de sorte que la Cour ne peut exercer son controle delegalite, l'arret n'est pas regulierement motive et viole l'article 149 dela Constitution qui oblige le juge à motiver ses decisions ce quiimplique que la motivation soit « claire ».
(...)
IV. La decision de la Cour
(...)
Sur le troisieme moyen :
Quant à la premiere branche :
10. En vertu de l'article 1er de la loi du 30 juin 1994 relative au droitd'auteur et aux droits voisins, l'auteur a seul le droit de reproduire oud'autoriser la reproduction d'une oeuvre, de quelque maniere et sousquelque forme que ce soit qu'elle soit directe ou indirecte, provisoire oupermanente, en tout ou en partie.
11. Si une oeuvre presente des ressemblances importantes avec une oeuvreexistant anterieurement, il appartient au juge du fond d'examiner si cesressemblances avec l'oeuvre plus ancienne sont fortuites ou resultentd'emprunts conscients ou inconscients à cette oeuvre et qu'une infractionest ainsi commise aux droits d'auteur. En cas de ressemblances suffisantesentre les elements originaux des deux oeuvres, l'auteur de l'oeuvre laplus recente est tenu de renverser la presomption de reproduction enrendant plausible le fait qu'il ne connaissait pas l'oeuvre anterieure ouqu'il ne pouvait raisonnablement en avoir connaissance.
12. Dans la mesure ou, en cette branche, le moyen suppose que, nonobstantdes ressemblances importantes entre les deux oeuvres et l'anteriorite del'une des oeuvres par rapport à l'autre, la preuve de l'emprunt fautifdoive etre apportee par l'auteur de l'oeuvre la plus ancienne, il manqueen droit.
13. En decidant que l'oeuvre la plus ancienne beneficie de la protection« prioritaire » du droit d'auteur, les juges d'appel ont enonce que,dans le cadre du partage de la charge de la preuve, eu egard àl'anteriorite de cette oeuvre, celle-ci beneficie de la protection desdroits d'auteur, ce qui implique qu'elle ne peut etre reproduite sansautorisation ; ils procedent ensuite à l'examen de la reproductioneventuelle de cette oeuvre plus ancienne par l'oeuvre la plus recente enexaminant si les elements de preuve fournis par l'auteur de l'oeuvre laplus recente renversent la presomption d'emprunt.
14. Dans la mesure ou, en cette branche, le moyen suppose que les jugesd'appel ont ajoute une condition de nouveaute à la protection des droitsd'auteur en faisant usage des termes `protection prioritaire', il estfonde sur une lecture erronee de l'arret attaque et il manque, des lors,en fait.
(...)
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux depens.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, les conseillers Eric Dirix,Eric Stassijns, Beatrijs Deconinck et Geert Jocque, et prononce enaudience publique du trois septembre deux mille neuf par le president IvanVerougstraete, en presence de l'avocat general Christian Vandewal, avecl'assistance du greffier Johan Pafenols.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Christine Matray ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,
3 SEPTEMBRE 2009 C.08.0337.N/1