Cour de cassation de Belgique
Arret
35
NDEG C.12.0340.F
1. R. B. et
2. L. B.,
demandeurs en cassation,
representes par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,
contre
1. J.-F. S.,
2. AG INSURANCE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,
defendeurs en casssation,
representes par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 25 octobre 2011par la cour d'appel de Liege.
Le conseiller Didier Batsele a fait rapport.
L'avocat general Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- articles 544, 1382 et 1383 du Code civil ;
- article 17 du Code judiciaire ;
- articles 155 et 157 du Code wallon de l'Amenagement du territoire, del'Urbanisme, du Patrimoine et de l'Energie (CWATUPE) du 14 mai 1984.
Decisions et motifs critiques
L'arret dit non fonde l'appel des demandeurs en considerant que leurdemande originaire est irrecevable, par tous ses motifs reputes iciintegralement reproduits et, specialement, par les motifs que :
« En vertu de l'article 17 du Code judiciaire, l'action ne peut etreadmise si le demandeur n'a pas interet à la former.
En matiere de responsabilite extracontractuelle, la lesion d'un interet nepeut donner lieu à une action en reparation qu'à la condition qu'ils'agisse d'un interet legitime.
La legitimite s'apprecie au moment de la survenance du fait dommageable.
Celui qui ne poursuit que le maintien d'une situation contraire à l'ordrepublic ou d'un avantage illicite n'a pas un interet legitime.
C'est par de judicieux motifs que la cour [d'appel] fait siens que lepremier juge a considere que les [demandeurs] se trouvaient dans unesituation illegale.
Il suffit de preciser les elements qui suivent :
- le plan d'eau est une piscine naturelle, ce que [les demandeurs] necontestent pas ;
- l'expert, lors de la visite des lieux, a chiffre sa surface à `plus oumoins' 44 m^2, alors que le cahier des prescriptions urbanistiques duprojet de lotissement duquel fait partie l'immeuble des [demandeurs]admet, pour autant que cela n'implique aucune modification du relief dusol, la construction d'une piscine à l'air libre dont la surface maximumest egale à 35 m^2 ; meme si l'expert a utilise les termes `plus oumoins', il est certain que la surface de la piscine naturelle des[demandeurs] est ainsi superieure à 35 m^2 ; si l'expert s'etait trompe,il eut ete facile de le demontrer en deposant un mesurage plus precis ;
- l'expert a retenu pour le lagunage `plus ou moins' 20,80 m^2 ; si onenvisage le lagunage comme une partie de la piscine, il augmente encore de20,80 m^2 la piscine ; si on l'envisage comme une piece d'eau, il est toutaussi irregulier au regard du cahier des prescriptions urbanistiques duprojet de lotissement, lequel prevoit que chaque lot comprend une zone decour et jardin et admet, pour autant que cela n'implique aucunemodification du relief du sol, la construction de terrasses, bacs àplantations et pieces d'eau ou pieces ornementales d'une surface totaleinferieure à 25 m^2 ; il faut donc ajouter la surface du lagunage àcelle de la terrasse, ce qui aboutit à un depassement de la surfacemaximale autorisee ;
- la piscine naturelle et le lagunage tels qu'ils ont ete realises sontdonc contraires au permis de lotissement ; il importe aussi de relever quel'expert, lors de la visite des lieux, a constate que le relief du solavait ete modifie au niveau de la piscine naturelle et de la terrasse ; ensus, l'article 7 du cahier des prescriptions urbanistiques du projet delotissement enonce que les murs de soutenement sont interdits en dehors dela zone de batisse et que l'amenagement du terrain doit etre conc,u parpaliers ou talutages d'aspect naturel engazonnes ou plantes ; or,l'amenagement de la piscine naturelle et du lagunage a necessited'importants murs de soutenement vu la modification du relief du sol ; ilne peut etre considere et il n'est pas etabli que les [demandeurs]auraient beneficie `d'une tolerance administrative en relation avecl'interet paysager et ecologique de la situation' ;
- le [demandeur] a confirme, lors de la visite des lieux, que la terrasseet la piscine naturelle ne figuraient pas dans le permis d'urbanismedelivre pour la construction de la maison et qu'il n'y a pas eu de demandede permis posterieure ; s'agissant de travaux tombant dans le champd'application de l'article 84 du CWATUP, legislation d'ordre public, les[demandeurs] devaient disposer d'un permis d'urbanisme avant de lesentreprendre - le fait que le cahier des prescriptions urbanistiques duprojet de lotissement autorise, moyennant des surfaces maximales àrespecter, la construction d'une piscine et terrasse ne suffit evidemmentpas ;
- il faut donc en conclure que la piscine naturelle et le lagunagerelativement auxquels les [demandeurs] ont introduit leur demanded'indemnisation ne sont pas reguliers d'un point de vue urbanistique.
De meme, le caractere fautif du comportement du [defendeur] auquel il estreproche d'avoir empiete sur le domaine public, obstrue un fosse, provoquedes coulees de boue, ne poursuivant que son interet personnel dans le butselon les [demandeurs] de modifier lui-meme sa parcelle, est sansincidence.
La demande demeure irrecevable si l'on envisage le fondement des troublesde voisinage que les [demandeurs] ne developpent pas, l'indemnisationreclamee telle qu'elle est precisee ci-dessus etant alors demandee autitre de compensation de l'exces de troubles de voisinage subi par rapportaux inconvenients normaux du voisinage ».
Griefs
Premiere branche
Aux termes de l'article 17 du Code judiciaire, l'action ne peut etreadmise si le demandeur n'a pas qualite et interet pour la former ; au sensde cette disposition, celui qui se pretend titulaire d'un droit subjectifa, ce droit fut-il conteste, l'interet requis pour que sa demande puisseetre rec,ue.
Les articles 1382 et 1383 du Code civil obligent l'auteur d'un acte fautifà reparer le dommage cause par cet acte des lors que ce dommage estcertain et qu'il ne consiste pas en la privation d'un avantage illegitime.
Le seul fait pour le demandeur à une action en responsabilite de setrouver dans une situation illicite n'implique pas necessairement qu'il nepuisse se prevaloir de la lesion d'un interet ou de la privation d'unavantage legitime.
De meme, en vertu de l'article 544 du Code civil, celui qui par son fait,fut-il non fautif, provoque un trouble excessif de voisinage est tenu dele compenser et la circonstance que le bien endommage soit en situationirreguliere n'implique pas plus necessairement que le demandeur ne puissese prevaloir de la lesion d'un droit et d'un interet à voir cesser letrouble.
Aux termes de l'article 155 du Code wallon de l'Amenagement du territoire,de l'Urbanisme, du Patrimoine et de l'Energie, le fonctionnaire delegue oule college communal peuvent poursuivre, devant le tribunal correctionnel,la remise en etat des lieux lorsque des travaux ont ete effectues enviolation des dispositions d'urbanisme. Les droits d'un tiers lese - quijustifie d'un dommage en raison de cette violation - sont limites pour lareparation directe à celle choisie par l'autorite competente, sansprejudice du droit de ce tiers à l'indemnisation à charge du condamne.
En vertu de l'article 157 du meme code, le fonctionnaire delegue ou lecollege communal peut poursuivre, devant le tribunal civil, la remise enetat des lieux lorsque les travaux ont ete effectues en violation desdispositions d'urbanisme. Les droits du tiers lese agissant soitconcurremment avec les autorites publiques, soit separement d'elles, sontlimites pour la reparation directe à celle qui est choisie par l'autoritecompetente, sans prejudice du droit à l'indemnisation à charge ducondamne.
Il s'en deduit que, lorsque ni le fonctionnaire delegue, ni le collegecommunal, ni aucun tiers justifiant etre lese par une situation contraireaux prescriptions urbanistiques n'en ont demande et obtenu la demolition,le proprietaire du bien dispose d'un interet legitime à ce que ledit bienne soit pas detruit ou endommage par le fait fautif ou non d'un voisin.
Dans leurs conclusions de synthese d'appel, les demandeurs faisaientvaloir que « le projet de lotissement autorisait expressement, enprincipe, la construction de terrasse, de piece d'eau, de pieceornementale et de piscine à l'air libre ; [que], si meme [...] leur[installation] depasse de quelques metres carres les surfaces prevues, ilfaut en conclure qu'ils ont beneficie d'une tolerance administrative ».Ils contestaient que le demandeur puisse « se prevaloir d'une questionadministrative d'ordre mineur ». Ils faisaient valoir qu'ils « n'ontjamais fait l'objet de la moindre observation des services competents surle plan urbanistique : c'est une evidence que la commune d'Aywaille, lesautorites administratives de l'urbanisme, l'autorite verbalisante, leparquet n'ont jamais vu le moindre inconvenient à [leur] installation ;[...] que, manifestement, les autorites competentes ont estime que leschoses etaient parfaitement en ordre sur le plan administratif [...] ; [qu']aucune poursuite n'a jamais ete intentee à [leur] encontre [etqu'ils] ne peuvent se voir prives des recours et garanties du droitadministratif ; [...] [qu'une] regularisation est en tout cas possible »et qu' « à la supposer etablie, une irregularite administrative n'enleverien à la liceite de la cause et de l'objet d'une obligation civile ».
L'arret, qui, apres avoir constate que la « demande tend à obtenir uneindemnisation pour le `nettoyage et l'assainissement du site' », ecartece moyen et decide que les demandeurs n'ont pas d'interet legitime à agiraux motifs que « la piscine naturelle et le lagunage [...] ne sont pasreguliers d'un point de vue urbanistique ; [que] leur situation etaitirreguliere lors de leur construction et lors de la survenance dessinistres ; [qu']il n'est pas soutenu que la situation aurait fait depuislors l'objet d'une regularisation (il n'est d'ailleurs pas etabli qu'elleserait regularisable) » ; que « la demande [...] n'a pour seul but quel'obtention d'une indemnisation en vue de mettre en etat et de maintenirune situation contraire à l'ordre public, un avantage illicite »,« meme s'il est exact que [le bien des demandeurs] n'est pas horscommerce » et que sont indifferents « l'absence de remarque ou critiquede la part des autorites competentes » ou le fait « qu'aucune proceduren'ait ete engagee par [ces] autorites [...] et qu'aucune decision dejustice n'ait ete rendue dans ce cadre », n'est pas legalement justifie(violation de toutes les dispositions visees au moyen).
Seconde branche
Dans leurs conclusions, les demandeurs demandaient l'indemnisation desfrais de nettoyage et d'assainissement de la piscine et du lagunage, maisegalement l'indemnisation des travaux necessaires à « la remise en placede terres sur le talus, le nettoyage des murets, l'evacuation del'empierrement » et son remplacement par un empierrement neuf et untrouble de jouissance resultant des demarches qu'il a fallu entreprendreaupres du defendeur, des voisins, des temoins, de la police, de la communed'Aywaille, des compagnies d'assurance et des differents conseils.
L'arret, qui se borne à considerer que la piscine naturelle et lelagunage ne sont pas reguliers d'un point de vue urbanistique, ne justifiepas legalement la decision disant la demande irrecevable pour le tout etnotamment en ce qu'elle portait sur l'indemnisation des dommages autresque ceux qui ont ete causes à la piscine et au lagunage (violation detoutes les dispositions visees au moyen).
III. La decision de la Cour
Quant aux deux branches reunies :
En vertu de l'article 17 du Code judiciaire, l'action ne peut etre admisesi le demandeur n'a pas interet pour la former.
En matiere de responsabilite extracontractuelle, la lesion d'un interet nepeut donner ouverture à une action en reparation qu'à la condition qu'ils'agisse d'un interet legitime.
La legitimite de l'interet s'apprecie au moment de la survenance du faitdommageable.
L'arret constate que les demandeurs « soutiennent qu'à deux reprises en2005 et en 2006, [le defendeur] a obstrue le fosse situe devant sapropriete [...] de fac,on telle que des eaux pluviales ont ete deviees[...] vers leur propriete, plus particulierement vers leur piscinenaturelle », et qu'ils « declarent que leur demande tend à obtenir uneindemnisation pour le `nettoyage et l'assainissement' du site ».
Il releve que « la piscine naturelle et le lagunage relativement auxquels[les demandeurs] ont introduit leur demande d'indemnisation [n'etaient]pas reguliers d'un point de vue urbanistique [...] lors de leurconstruction et lors de la survenance des sinistres », qu' « il n'estpas soutenu que la situation aurait fait depuis lors l'objet d'uneregularisation » et que « peu importe l'absence de plainte d'un voisinou du [defendeur], ou de critique ou remarque de la part des autoritescompetentes ».
Il considere que « les frais que [les demandeurs] ont dejà supportes[pour notamment] la remise en place des terres sur le talus, le nettoyagedes murets, l'evacuation de l'empierrement [...] ont servi à retablir lasituation contraire à l'ordre public et illicite », et que« [l'indemnisation reclamee] n'a pour seul but que le maintien d'unesituation contraire à l'ordre public, un avantage illicite ».
L'arret justifie, des lors, legalement sa decision que « la demande des[demandeurs] [est] irrecevable à defaut d'interet legitime ».
Le moyen, en aucune de ses branches, ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux depens.
Les depens taxes à la somme de sept cent vingt et un euroscinquante-quatre centimes envers les parties demanderesses et à la sommede trois cent nonante euros soixante-neuf centimes envers les partiesdefenderesses.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononce enaudience publique du vingt-sept juin deux mille treize par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general Thierry Werquin, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Lemal | D. Batsele | Chr. Storck |
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27 JUIN 2013 C.12.0340.F/9