Cour de cassation de Belgique
Arret
7417
NDEG C.12.0345.F
S. S.,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Patricia Vanlersberghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras,6, ou il est fait election de domicile,
contre
1. FORTIS BANQUE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, Montagne du Parc, 3,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,
2. AG INSURANCE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,
defenderesse en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 23 avril 2012par la cour d'appel de Mons, statuant comme juridiction de renvoi ensuitede l'arret de la Cour du 11 octobre 2010.
Par ordonnance du 16 aout 2013, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport.
L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.
II. Les faits
Tels qu'ils ressortent de l'arret attaque et des pieces auxquelles la Courpeut avoir egard, les faits de la cause et les antecedents de la procedurepeuvent etre resumes comme suit :
Les parties aux droits desquelles viennent les defenderesses ont cite lademanderesse en remboursement de credits devant le tribunal de premiereinstance de Bruxelles.
Par arret du 30 juin 2009, la cour d'appel de Bruxelles a rec,u l'appelprincipal des defenderesses et l'appel incident de la demanderesse,declare fonde l'appel principal, rejete l'appel incident et condamne lademanderesse à payer aux defenderesses la somme de 215.491,75 euros àmajorer des interets et les depens.
Par arret du 11 octobre 2010, la Cour a casse ce dernier dispositif, enraison du defaut de reponse aux conclusions de la demanderesse contestantl'imputation d'un paiement de 2.433,37 euros.
Rendu par la juridiction de renvoi, l'arret attaque condamne lademanderesse à payer aux defenderesses la somme de 215.491,75 euros avecdes interets et les depens.
III. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
Articles 1082,1095 et 1110 du Code judiciaire
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque, statuant contradictoirement, dans les limites de sasaisine, met à neant le jugement du premier juge en tant qu'il statuaitsur la demande dirigee contre la demanderesse, reformant, la condamne àpayer aux defenderesses la somme de 215.491,75 euros avec les interetsjudiciaires au taux de 8,45 p.c. l'an sur la somme de 197.395,71 euros,à dater du 3 janvier 2009, jusqu'au parfait paiement, et la condamne auxdepens des deux instances des defenderesses.
Cette decision est notamment fondee sur les motifs suivants :
« [La demanderesse] a introduit un pourvoi en cassation, invoquant pourmotif unique de cassation un defaut de motivation, l'arret [alorsattaque] ne repondant pas à ses conclusions en ce qu'elle critiquaitl'imputation sur le credit d'impot d'un paiement de 2.433,37 eurosqu'elle avait elle-meme effectue, l'arret ne parlant que de l'imputationdes paiements de monsieur T.
Aux termes de l'arret de renvoi, la Cour a casse l'arret [alors attaque] `en tant qu'il condamne la demanderesse à payer aux defenderesses lasomme de 215.491,75 euros, à majorer des interets et des depens', declarel'arret commun et opposable à monsieur T., reserve les depens pour qu'ilsoit statue sur ceux-ci par le juge du fond et renvoye la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.
L'etendue de la cassation
Il appartient au juge de renvoi apres cassation de determiner l'etendue desa saisine, par rapport au dispositif casse.
La Cour de cassation, aux termes de son arret de renvoi, a casse l'arretde la cour d'appel de Bruxelles du 30 juin 2009 `en tant qu'il condamne[la demanderesse] à payer [aux defenderesses] la somme de 215.491,75euros à majorer des interets et les depens'.
La cassation prononcee est donc partielle puisque les dispositifs del'arret de la cour d'appel de Bruxelles du 30 juin 2009 relatifs à larecevabilite de l'appel principal et à la recevabilite et au fondement del'appel incident qui n'etaient d'ailleurs pas attaques par la requete encassation n'ont pas ete casses.
Lorsque la Cour renvoie la cause dans une mesure limitee, elle entend parlà que le(s) dispositif(s) non attaque(s) ou non annule(s) de ladecision attaquee, contre le(s)quel(s) un pourvoi en cassation n'est plusadmissible, ne peu(ven)t plus etre remis en discussion devant le juge derenvoi.
Des lors, les seuls dispositifs casses en l'espece sont ceux relatifs àla condamnation de [la demanderesse] à payer la somme de 215.491,75euros à majorer des interets et à la condamnation aux depens.
Il s'impose de verifier si la cour [d'appel de renvoi] peut reexaminer lefondement de l'argumentation de [la demanderesse] concernant troisimputations de paiement qui auraient ete pratiquees erronement par [lesdefenderesses].
S'il ne fait aucun doute, ce n'est pas conteste, que la cour [d'appel]doit determiner si l'imputation par [les defenderesses] d'un paiement de
2.433,37 euros effectue le 28 octobre 1997 par [la demanderesse] sur lecredit 'provision impot' etait correct ou non, est-elle aussi saisie desdeux autres imputations de paiement par l'arret de renvoi ?
En cas de doute sur l'etendue exacte de la cassation, le juge de renvoidoit se referer au moyen accueilli par la Cour car la cassation esttoujours limitee à la portee des moyens en vertu desquels elle estprononcee.
De plus, il faut tenir compte à cet egard, non seulement du dispositif del'arret de cassation, mais aussi des motifs qui en sont le soutiennecessaire.
Or, l'on doit constater que la Cour de cassation a clairement dit que lemoyen etait fonde dans la mesure ou l'arret alors attaque n'a pasrepondu aux conclusions de [la demanderesse] contestant l'imputation parles [defenderesses] d'un paiement de 2.433,37 euros effectue le 28 octobre1997.
De surcroit, il convient de relever que la requete en cassation invoquaitpour seul grief, à l'egard de l'arret alors attaque, de n'avoir pasrepondu aux conclusions de [la demanderesse] relatives à l'imputationpar [les defenderesses] du paiement de [la demanderesse] d'un montant de
2.433,37 euros au `credit provision impots' souscrit par monsieur T. seulet auquel cette derniere etait demeuree etrangere.
La requete en cassation ajoute par ailleurs, en guise d'observation, que`Dans ses conclusions d'appel, [la demanderesse] a invoque divers moyens concernant l'imputation des paiements effectues par elle-meme en 1997 et 1998 ou par son conjoint depuis mai 2006. L'arret alors attaque rencontrela plupart de ces considerations. Toutefois, aucun des motifs de cetarret ne repond au moyen par lequel [la demanderesse] invoquait qu'unpaiement de 2.433,37 euros effectue par elle le 28 octobre 1997 enremboursement partiel du credit hypothecaire avait à tort ete impute surle credit provision impot [...], souscrit par son mari seul et dont ellen'etait pas tenue'.
Il ressort de ces considerations que la portee de la cassation est limiteeaux dispositions de l'arret casse qui statuent sur l'imputation dupaiement de 2.433,37 euros et partant, eu egard au sort reserve à cettequestion, à la condamnation prononcee contre [la demanderesse] ».
Griefs
L'article 1110 du Code judiciaire dispose que, lorsque la cassation estprononcee avec renvoi, celui-ci a lieu devant une juridiction souverainedu meme rang que celle qui a rendu la decision attaquee. Celle-ci estsaisie comme en matiere ordinaire.
Le juge de renvoi prendra connaissance de la cause dans les limites dela cassation.
Si la Cour ne prend connaissance que des chefs de la decision indiquesdans la requete introductive, ainsi qu'il ressort des articles 1082 et1095 du Code judiciaire, et qu'en regle l'etendue de la cassation estlimitee à la portee du moyen qui en est le fondement, la cassation quiatteint un chef du dispositif n'en laisse toutefois rien subsister, quel que soit le motif qui a determine cette annulation.
Il s'ensuit que le juge de renvoi ne peut pretendre se borner à reparerl'erreur commise par le juge dont la decision a ete cassee, mais,substitue à celui-ci, doit prendre, dans les limites de sa saisine, unedecision complete.
Partant, lorsqu'une decision a ete cassee au motif qu'il n'a pas ete repondu aux conclusions du demandeur, les parties sont replacees dans lameme situation qui a ete celle dans laquelle elles se trouvaientlorsqu'elles etaient devant le juge qui a rendu la decisionulterieurement cassee ; la juridiction de renvoi ne saurait, des lors, seborner à repondre aux conclusions auxquelles cette decision n'avait paseu egard et à infirmer ou à confirmer celle-ci.
En l'occurrence, par l'arret du 11 octobre 2010, la Cour a cassel'arret, rendu le 30 juin 2009 par la cour d'appel de Bruxelles, en tant qu'il avait condamne la demanderesse à payer aux defenderesses la somme de
215.491,75 euros, à majorer des interets, et les depens, et a renvoye la cause ainsi limitee devant la cour d'appel de Mons.
Par cet arret, la Cour statuait sur le moyen unique, qui critiquait ladecision de la cour d'appel de Bruxelles de l'avoir condamnee à payer lasomme precitee de 215.491,75 euros, à majorer des interets, et qui etaitdeduit d'un defaut de motivation.
Le moyen critiquait plus particulierement les considerations reprises sous l'intitule « l'affectation des paiements effectues par monsieur T.».
La demanderesse exposait notamment en son pourvoi avoir critique en sesconclusions l'imputation realisee par les defenderesses de trois paiements effectues par elle en 1997 et 1998 et, s'agissant plusparticulierement du paiement de 2.433,37 euros qu'elle avait effectue en1997, reprochait à la cour d'appel de Bruxelles de n'avoir repondu paraucun motif à ses conclusions relatives à l'imputation par lesdefenderesses de cette somme au « credit provision impots » souscritpar monsieur T.
La Cour a accueilli ledit moyen, deduit du defaut de motivation.
La motivation etant une condition de forme, il s'ensuit que la cassationde l'arret s'etendait necessairement à l'entier dispositif auquel se rapportait ledit defaut de motivation, à savoir la condamnation de lademanderesse à payer la somme de 215.491,75 euros en principal, comme ilfut par ailleurs precise explicitement par la Cour dans le dispositif del'arret du 11 octobre 2010, de sorte que, devant le juge de renvoi, lesparties etaient replacees dans la situation qui etait celle dans laquelleelles se trouvaient avant que la cour d'appel de Bruxelles ne condamne lademanderesse au paiement de la somme precitee en principal, la cassationn'ayant rien laisse subsister du dispositif casse.
Le juge de renvoi ne pouvait, des lors, pas se contenter d'examiner lebien-fonde du seul moyen relatif à l'imputation de la somme de 2.433,37euros, mais devait egalement examiner le bien-fonde des autres moyens dedefense invoques par la demanderesse relativement à la somme principale,dont le paiement lui fut reclame par les defenderesses, et notamment deceux relatifs à l'imputation des sommes de 1.082,28 euros (43.659 francs)et 6.352,54 euros (256.961 francs) sur la somme de 215.491,75 euros enprincipal.
Partant, l'arret attaque, qui considere « que la portee de la cassationest limitee aux dispositions de l'arret casse qui statuent surl'imputation du paiement de 2.433,37 euros et partant, eu egard au sortreserve à cette question, à la condamnation prononcee contre [lademanderesse] », et, partant, considere ne pas devoir rencontrer lesconclusions d'appel apres cassation de la demanderesse, notamment en tantque celle-ci y contestait l'affectation donnee par les defenderesses àdeux autres paiements qu'elle avait effectues et qui devaient etre imputesselon elle sur la somme principale reclamee par les defenderesses, alorsque, par l'arret de la Cour du 11 octobre 2010, l'arret de la courd'appel de Bruxelles du 30 juin 2009 fut casse « en tant qu'il condamnela demanderesse à payer aux defenderesses la somme de 215.491,75 eurosà majorer des interets et les depens », et ce pour un defaut demotivation, cette cassation ne laissant rien subsister dudit dispositif,statue en meconnaissance de l'etendue de la cassation prononcee par leditarret du 11 octobre 2010, et, partant, de sa saisine (violation des articles 1082,1095 et 1110 du Code judiciaire).
IV. La decision de la Cour
Si la Cour ne prend connaissance que des chefs de la decision indiquesdans la requete introductive et qu'en regle la cassation est limitee à laportee du moyen qui en est le fondement, la cassation qui atteint un chefdu dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le motif qui aitdetermine cette annulation.
Il s'ensuit que le juge de renvoi ne peut se borner à reparer l'erreurcommise par le juge dont la decision a ete cassee, mais, substitue àcelui-ci, doit prendre dans les limites de sa saisine une decisioncomplete.
Partant, lorsqu'une decision a ete cassee au motif qu'il n'a pas eterepondu aux conclusions du demandeur, les parties sont remises devant lejuge de renvoi dans la situation ou elles se trouvaient devant le jugedont la decision a ete cassee ; la juridiction de renvoi ne saurait seborner à repondre aux conclusions auxquelles cette decision n'avait paseu egard, et à infirmer ou confirmer celle-ci.
L'arret de la cour d'appel de Bruxelles du 30 juin 2009 avait condamne lademanderesse à payer aux defenderesses la somme de 215.491,75 eurosaugmentee d'interets.
Par son arret du 11 octobre 2010, la Cour a casse ce dispositif, critiquepar la requete, en raison du defaut de reponse aux conclusions de lademanderesse contestant l'imputation par les defenderesses d'un paiementde 2.433,37 euros.
L'arret casse ayant prononce une condamnation à la somme globale de215.491,75 euros avec des interets sans qu'il soit possible de determineravec plus de precision les consequences sur ce dispositif de l'illegaliteayant entraine la cassation, celle-ci s'etendait necessairement à latotalite du dispositif critique, ce que la Cour a precise dans ledispositif de son arret.
Il incombait des lors à la cour d'appel de renvoi de statuer sur lesmontants dus par la demanderesse aux defenderesses.
Dans leurs conclusions devant cette juridiction de renvoi, lesdefenderesses demandaient la condamnation de la demanderesse à payer lasomme de 215.491,75 euros augmentee d'interets et les depens ; lademanderesse contestait non seulement l'imputation du paiement de 2.433,37euros mais encore d'autres elements de la dette.
L'arret attaque considere que « la portee de la cassation est limitee auxdispositions de l'arret casse qui statuent sur l'imputation du paiement de2.433,37 euros et, partant, eu egard au sort reserve à cette question, àla condamnation prononcee contre [la demanderesse] » et, apres avoirexamine cette seule imputation et non l'ensemble des contestations de lademanderesse, condamne cette derniere à payer aux defenderesses la sommede
215.491,75 euros augmentee d'interets.
En statuant de la sorte, l'arret attaque viole l'article 1110 du Codejudiciaire.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque en tant qu'il condamne la demanderesse à payer auxdefenderesses la somme de 215.491,75 euros augmentee d'interets et qu'ilstatue sur les depens des parties à l'instance en cassation ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillersMartine Regout, Alain Simon, Mireille Delange et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du trente septembre deux mille treize par lepresident de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat generaldelegue Michel Palumbo, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
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| L. Body | M.-Cl. Ernotte | M. Delange |
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| A. Simon | M. Regout | A. Fettweis |
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30 SEPTEMBRE 2013 C.12.0345.F/1