Cour de cassation de Belgique
Arret
* NDEG P.13.1663.N
* E. V.,
* prevenu,
* demandeur en cassation,
* Me Frank Judo, avocat au barreau de Bruxelles.
* I. la procedure devant la cour
VII. VIII. Le pourvoi est dirige contre un arret rendu le 25septembre 2013 par la cour d'appel d'Anvers, chambrecorrectionnelle.
IX. Le demandeur invoque trois moyens dans un memoire annexe aupresent arret.
X. Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
XI. L'avocat general Luc Decreus a conclu.
II. la decision de la cour
Sur le premier moyen :
1. Le moyen invoque la violation des articles 128, S: 1er, de laConstitution, 5, S: 1er, I, 2DEG (lire actuellement : article 5, S:1er, I, alinea 1er, 8DEG, et alinea 2, 2DEG), de la loi speciale du 8aout 1980 de reformes institutionnelles et 26, S: 2, alinea 3, de laloi speciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle : l'arretqui condamne le demandeur du chef d'infraction à l'article 3 de laloi du 22 decembre 2009 instaurant une reglementation generalerelative à l'interdiction de fumer dans les lieux fermes accessiblesau public et à la protection des travailleurs contre la fumee dutabac, rejette, à tort, la demande du demandeur visant à poser à laCour constitutionnelle la question prejudicielle suivante :« L'interdiction de fumer, telle qu'elle figure à l'article 3 de laloi du 22 decembre 2009 instaurant une reglementation generalerelative à l'interdiction de fumer dans les lieux fermes accessiblesau public et à la protection des travailleurs contre la fumee dutabac viole-t-elle les articles 128 de la Constitution et 5, S: 1er,I, alinea 1er, 2DEG, de la loi speciale du 8 aout 1980 de reformesinstitutionnelles, en tant que la loi, en instaurant une interdictiongenerale de fumer dans les lieux accessibles au public, prevoit desmesures en matiere de medecine preventive ? » parce qu'il n'est pasclairement question d'une quelconque violation ; l'arret se fonde, àcet egard, sur la decision qu'en adoptant la loi du 22 decembre 2009,le legislateur federal n'a attribue aucune competence relative à unematiere personnalisable qui, en vertu de l'article 128, S: 1er, de laConstitution, est reservee aux Communautes, compte tenu de sacompetence en matiere de sante publique, et d'adoption de mesuresprophylactiques nationales, ce qui releve de la prevention nationaledes maladies en general ; cependant, l'exception en matiere deprophylaxie prevue à l'article 5, S: 1er, I, 2DEG (lireactuellement : article 5, S: 1er, I, alinea 2, 2DEG), de la loispeciale du 8 aout 1980 concerne uniquement les vaccinationsobligatoires, mais pas des mesures visant notamment la prevention ducancer, comme c'est le cas pour la loi du 22 decembre 2009 ;l'interdiction de fumer ne peut egalement se fonder sur la competencefederale en matiere de sante publique, des lors qu'il n'existe aucuneexception generale à la competence des Communautes en matiere desante publique ; cette interdiction ne peut davantage se fonder sur lacompetence federale en matiere de protection du travail, des lorsqu'elle ne saurait justifier une interdiction generale de fumer ; aucontraire, les competences attribuees doivent etre interpretees ausens large et leurs exceptions etre limitativement exposees, de sortequ'elles ne vident pas la competence attribuee de son sens ; ledemandeur demande que soit posee à la Cour constitutionnelle laquestion prejudicielle susmentionnee.
2. Il y a lieu de poser à la Cour constitutionnelle la questionprejudicielle, etant entendu que cette question est adaptee dans ledispositif par le remplacement de l'article 5, S: 1er, I, de la loispeciale du 8 aout 1980 par l'article 6 de la loi speciale du 6janvier 2014 relative à la Sixieme Reforme de l'Etat, publiee auMoniteur belge du 31 janvier 2014 et entree en vigueur le 1er juillet2014.
Sur le deuxieme moyen :
3. Le moyen invoque la violation des articles 10, 11 de laConstitution, 9, S: 2, et 26, S: 2, alinea 2, 2DEG, et alinea 3, de laloi speciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle : l'arretrejette, à tort, la demande du demandeur visant à poser à la Courconstitutionnelle la question prejudicielle suivante : « les articles2, 3DEG, et 11, S: 2, 1DEG, de la loi du 22 decembre 2009 instaurantune reglementation generale relative à l'interdiction de fumer dansles lieux fermes accessibles au public et à la protection destravailleurs contre la fumee du tabac, violent-il les articles 10 et11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 12 de cettememe loi du 22 decembre 2009, en ce que ces dispositions prevoient uneexception à l'interdiction generale de fumer pour les lieux fermesdes institutions de services sociaux et des prisons, qui sont àconsiderer, pour l'application de la loi, comme `des espaces prives',l'interdiction generale de fumer n'y etant donc pas applicable, et noncomme `des lieux fermes accessibles au public', ou l'interdictiongenerale de fumer est bien applicable ? », d'une part, parce que laquestion proposee n'est pas indispensable pour se prononcer en lapresente cause en raison du fait que, eu egard à l'arret nDEG 37/2011du 15 mars 2011 de la Cour constitutionnelle, l'inconstitutionnaliteeventuelle de l'exception invoquee n'exempte pas les faits poursuivisde leur caractere punissable, d'autre part, parce que la formulationde la question n'est pas claire ; l'article 11, S: 2, 1DEG, de la loidu 22 decembre 2009 prevoit une exception à l'interdiction de fumerpour les lieux fermes des institutions de services sociaux et desprisons, qui sont à considerer comme des espaces prives ; parailleurs, l'interdiction de fumer vaut pour les cafes qui, en vertu del'article 2, 3DEG, de cette loi, sont à considerer comme des lieuxaccessibles au public ; cette distinction artificielle implique untraitement inequitable que rien ne justifie raisonnablement ; les deuxlieux sont, en effet, librement accessibles au public et ne selimitent donc pas à la sphere familiale ; la distinction n'est, enoutre, pas pertinente parce que les travailleurs des institutions deservices sociaux et des prisons peuvent encore toujours etre exposesà la fumee de tabac ; la question prejudicielle ne manque pas declarte et est bien pertinente pour se prononcer en la presente cause ;de plus, l'arret donne à l'arret susmentionne nDEG 37/2011 uneinterpretation analogique non autorisee parce que la Courconstitutionnelle ne s'est pas encore prononcee sur la questionproposee en l'espece ; le demandeur demande que soit posee à la Courconstitutionnelle la question prejudicielle precitee.
4. L'article 2 de la loi du 22 decembre 2009 dispose :
« Pour l'application de la presente loi et de ses arretesd'execution, il faut entendre par :
(...)
3DEG lieu accessible au public :
a) lieu dont l'acces n'est pas limite à la sphere familiale ;
b) notamment les etablissements ou batiments suivants :
i. lieux administratifs ;
ii. gares ;
iii. aeroports ;
iv. commerces ;
v. lieux dans lesquels des services sont fournis au public à titregratuit ou moyennant paiement, y compris les lieux dans lesquels desaliments et/ou des boissons sont offerts à la consommation ;
vi. lieux dans lesquels des malades ou des personnes agees sontaccueillis ou soignes ;
vii. lieux dans lesquels des soins de sante preventifs ou curatifssont prodigues ;
viii. lieux dans lesquels des enfants ou des jeunes en age scolairesont accueillis, loges ou soignes ;
ix. lieux dans lesquels un enseignement et/ou des formationsprofessionnelles sont dispenses ;
x. lieux dans lesquels des representations sont donnees ;
xi. lieux dans lesquels des expositions sont organisees ;
xii. lieux dans lesquels des activites sportives sont exercees ;
L'article 11 de cette meme loi dispose :
« S: 2. Le present chapitre ne s'applique pas :1DEG dans les lieux fermes de toutes les institutions de servicessociaux et des prisons qui sont à considerer comme des espacesprives, et ou les residents et non-residents peuvent fumer sous lesconditions qui leur sont fixees ; (...) »
5. Il resulte de la connexite reciproque de ces dispositions que leslieux vises à l'article 11, S: 2, 1DEG, de cette loi du 22 decembre2009 se limitent aux espaces prives dans les institutions et prisonsvisees qui sont destines au sejour en fait de personnes qui y sontaccueillies, soignees ou detenues. Ainsi, ces espaces ne s'etendentpas aux lieux dans ces institutions ou prisons qui sont accessibles aupublic. Par consequent, ces espaces ne sont nullement comparables àdes cafes qui, par leur nature, sont accessibles au public. Lacirconstance que du personnel dans les institutions et prisonsprecitees puisse entrer en contact avec de la fumee de tabac enpenetrant dans les espaces prives vises, n'implique pas que cesespaces soient accessibles au public et, par consequent, ne fait pasobstacle à ce qui precede.
Dans la mesure ou il est deduit d'une autre premisse juridique, lemoyen manque en droit.
6. En rejetant la question prejudicielle du demandeur, l'arret neviole pas les dispositions invoquees par le moyen.
Dans cette mesure, le moyen ne peut etre accueilli.
7. Compte tenu de ce qui precede, il n'y a pas davantage lieu pour laCour de poser la question prejudicielle.
Sur le troisieme moyen :
8. Le moyen invoque la violation des articles 1.1 du Premier Protocoleadditionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertes fondamentales, 10, 11, 16, 23 de la Constitution, 6, S:1er, VI, de la loi speciale du 6 janvier 2014 relative à la SixiemeReforme de l'Etat, 9, S: 2,, et 26, S: 2, alinea 2, 2DEG, de la loispeciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, ainsi que lameconnaissance du principe de la liberte de negoce et de l'industrie,instaure par l'article 7 du decret d'Allarde des 2-19 mars 1791portant suppression de tous les droits d'aides, de toutes lesmaitrises et jurandes, et etablissement des patentes : l'arretrejette, à tort, la demande du demandeur visant à poser à la Courconstitutionnelle la question prejudicielle suivante : « Les articles2, 7DEG, 9DEG, v, 3, 6, et 14 de la loi du 22 decembre 2009 de la loidu 22 decembre 2009 instaurant une reglementation generale relative àl'interdiction de fumer dans les lieux fermes accessibles au public età la protection des travailleurs contre la fumee du tabac,violent-ils :
- les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avecson article 23, avec l'article 6, S: 1er, VI, de la loi speciale du 8aout 1980 de reformes institutionnelles et avec le principe de laliberte de negoce et de l'industrie, instaure par l'article 7 dudecret d'Allarde des 2-19 mars 1791 portant suppression de tous lesdroits d'aides, de toutes les maitrises et jurandes, et etablissementdes patentes, en ce que ces dispositions prevoient la possibilited'installer un fumoir ferme muni d'un systeme specialise d'extractionde fumee ou d'aeration qui repond aux conditions fixees par le Roi, etdans lequel, par derogation à l'interdiction de fumer de principe, ilest autorise de fumer ?
- les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec ledroit de propriete, garanti aux articles 16 de la Constitution et 1.1du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertes fondamentales, des exploitants dedebits de boissons qui n'emploient pas de personnel et dont les debitsde boissons sont consideres par la loi comme des `lieux accessibles aupublic', l'interdiction generale de fumer y etant totalementapplicable ? »
parce que, par l'arret nDEG 37/2011 du 15 mars 2011, cette Cour adejà repondu en substance aux questions proposees ; les moyens quiont ete soumis, à l'epoque, à cette Cour ne concernaient toutefoisnullement le grief sur la constitutionnalite actuellement invoque ; lejuge n'est pas autorise à etendre les motifs d'un arret de la Courconstitutionnelle à une question juridique autre que celle surlaquelle la Cour s'est prononcee ; beaucoup, principalement des petitscafes, n'ont pas l'espace ni les moyens financiers pour installer unfumoir, ce qui donne naissance à un traitement inequitable entre lesetablissements de l'horeca qui peuvent repondre aux conditions legalespour installer un fumoir et les etablissements qui n'ont pas cettepossibilite ; par les memes motifs, le reglement legal impliqueegalement le prejudice d'une concurrence deloyale et, par consequent,une violation de la liberte de negoce et de l'industrie pour lesexploitants de cafes qui n'ont pas la possibilite d'installer unfumoir ; en ce que la loi prescrit à ces exploitants desinvestissements à apporter à leur propriete auxquels ils ne peuventrepondre, ils sont egalement incommodes dans la jouissance de leurpropriete (chiffre d'affaires) ; le demandeur demande que soit poseeà la Cour constitutionnelle la question prejudicielle precitee.
9. Il y a lieu de poser à la Cour constitutionnelle la questionprejudicielle, etant entendu toutefois que cette question est adapteedans le dispositif à l'abrogation du decret des 2-17 mars 1791portant suppression de tous les droits d'aides, de toutes lesmaitrises et jurandes, et etablissement des patentes par l'article 3de la loi du 28 fevrier 2013 introduisant le Code de droit economique,publiee au Moniteur belge du 29 mars 2013 et entree en vigueur le 12decembre 2013 en vertu de l'article 1er de l'arrete royal du 8decembre 2013 relatif à l'entree en vigueur de certains livres duCode de droit economique, publie au Moniteur belge du 11 decembre2013.
Par ces motifs,
* * La Cour
* Rejette le pourvoi, en tant qu'il concerne le refus de l'arret deposer à la Cour constitutionnelle la question prejudicielle viseedans le deuxieme moyen ;
Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle se soitprononcee sur les questions prejudicielles suivantes :
« L'interdiction de fumer, telle qu'elle figure à l'article 3 de laloi du 22 decembre 2009 instaurant une reglementation generalerelative à l'interdiction de fumer dans les lieux fermes accessiblesau public et à la protection des travailleurs contre la fumee dutabac viole-t-elle les articles 128 de la Constitution et 5, S: 1er,I, alineas 1er, 8DEG, et 2, 2DEG, de la loi speciale du 8 aout 1980 dereformes institutionnelles, en tant que la loi, en instaurant uneinterdiction generale de fumer dans les lieux accessibles au public,prevoit des mesures en matiere de medecine preventive ? »
et
« Les articles 2, 7DEG et 9DEG, v, 3, 6 et 14 de la loi du 22decembre 2009 instaurant une reglementation generale relative àl'interdiction de fumer dans les lieux fermes accessibles au public età la protection des travailleurs contre la fumee du tabac violent-ils
I.I.1.A.1.1.1 les articles 10 et 11 de la Constitution, lus encombinaison avec son article 23, avec l'article 6, S: 1er, VI, de laloi speciale du 8 aout 1980 de reformes institutionnelles et avecl'article II.3 du Code de droit economique, en vertu duquel chacun estlibre d'exercer l'activite economique de son choix, en ce que cesdispositions prevoient la possibilite d'installer un fumoir ferme munid'un systeme specialise d'extraction de fumee ou d'aeration qui repondaux conditions fixees par le Roi, et dans lequel, par derogation àl'interdiction de fumer principale, il est autorise de fumer ?
I.I.1.A.1.1.2 les articles 10 et 11 de la Constitution, lus encombinaison avec le droit de propriete, garanti aux articles 16 de laConstitution et 1.1 du Premier Protocole additionnel à la Conventionde sauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, desexploitants de debits de boissons qui n'emploient pas de personnel etdont les debits de boissons sont consideres par la loi comme des`lieux accessibles au public', l'interdiction generale de fumer yetant totalement applicable ? »
Reserve la decision sur les frais.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles,ou siegeaient Luc Van hoogenbemt, president de section, PierreCornelis, Peter Hoet, Antoine Lievens et Erwin Francis, conseillers,et prononce en audience publique du neuf decembre deux mille quatorzepar le president de section Luc Van hoogenbemt, en presence del'avocat general suppleant Marc De Swaef, avec l'assistance dugreffier Frank Adriaensen.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Gustave Steffens ettranscrite avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.
Le greffier, Le conseiller,
9 decembre 2014 P.13.1663.N/1