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05/03/2015 | BELGIQUE | N°C.14.0197.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 05 mars 2015, C.14.0197.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0197.F

COMMUNAUTE FRANC,AISE, representee par son gouvernement, en la personne duministre-president et du ministre de l'Enseignement obligatoire et depromotion sociale, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, place Surletde Chokier, 15-17,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

AG INSURANCE, societe anonyme dont le siege social est etab

li àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,

defenderesse en cassation,

representee par Ma...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0197.F

COMMUNAUTE FRANC,AISE, representee par son gouvernement, en la personne duministre-president et du ministre de l'Enseignement obligatoire et depromotion sociale, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, place Surletde Chokier, 15-17,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

AG INSURANCE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le

27 novembre 2012 par le tribunal de premiere instance de Bruxelles,statuant en degre d'appel.

Le president de section Albert Fettweis a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 25, alinea 2, 29, alinea 1er, et 36, S: 1er, alinea 2, de laloi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la legislation del'enseignement ;

- articles 1382 et 1383 du Code civil.

Decisions et motifs critiques

Le jugement attaque dit l'appel de la demanderesse non fonde en ce qu'ilporte sur l'application au litige de l'article 1382 du Code civil, apresavoir decide que la demanderesse n'est pas en droit de fonder son actionsur l'article 1382 du Code civil des lors qu'elle n'est pas l'employeur dela victime mais qu'elle intervient uniquement en qualite de pouvoirsubsidiant et qu'en cette qualite, elle ne subit pas les inconvenients del'absence de prestations de travail et ne subit donc pas de dommage par lepaiement des subventions-traitements.

Le jugement attaque fonde sa decision sur les motifs suivants :

« 1. Quant à l'application de l'article 1382 du Code civil.

La loi du 3 juillet 1967 sur la [prevention ou la] reparation des dommagesresultant des accidents du travail, [des accidents sur le chemin dutravail et des maladies professionnelles] dans le secteur public prevoit,en son article 14, S: 3, que `les personnes morales ou les etablissementssusvises qui supportent la charge de la remuneration sont subroges deplein droit dans tous les droits, actions et moyens generalementquelconques que la victime serait en droit de faire valoir conformement auparagraphe 1er contre la personne responsable de l'accident du travail oude la maladie professionnelle jusqu'à concurrence de la remunerationpayee pendant la periode d'incapacite temporaire'.

En l'espece, toutefois, la [demanderesse] ne fonde pas son action contrel'assureur de la personne responsable de l'accident sur cette disposition,qui instaure un systeme de subrogation, mais sur l'article 1382 du Codecivil, sollicitant ainsi la reparation d'un prejudice propre.

Elle se base sur la jurisprudence que la Cour de cassation a developpeedepuis ses arrets du 19 fevrier 2001 et reiteree depuis lors à denombreuses reprises. Selon cette jurisprudence, `une personne de droitpublic qui, à la suite de la faute d'un tiers, doit, en vertud'obligations contractuelles, legales ou reglementaires, continuer àpayer à l'un de ses agents la remuneration et les charges grevantcelle-ci sans beneficier des prestations de travail de cet agent, a droità une indemnite dans la mesure ou elle subit ainsi un dommage ;l'existence d'une telle obligation n'exclut pas qu'il y ait un dommage, ausens de l'article 1382 du Code civil, sauf s'il resulte de la convention,de la loi ou du reglement que le paiement doit definitivement rester à lacharge de celui qui y est oblige sur cette base'. (...)

[La defenderesse], qui critique par ailleurs cette jurisprudence, àl'instar d'une partie de la doctrine et de certains tribunaux, estimequ'elle ne peut en tout etat de cause trouver à s'appliquer en l'espece,la [demanderesse] n'etant pas l'employeur de la victime, mais intervenantuniquement en qualite de pouvoir subsidiant.

Elle precise que `l'une des conditions d'application de cet enseignementtient donc en ce que le paiement des remunerations se poursuit, à chargede l'autorite, sans la contrepartie des prestations de la victime.

Lorsque l'autorite publique est l'employeur de la victime, cette conditionne pose pas difficulte.

Il n'en est pas de meme, en revanche, lorsque l'autorite publique n'estpas l'employeur, et qu'elle prend en charge la remuneration de la victimedans le cadre du regime des subventions-traitements. Dans cette dernierehypothese, une relation triangulaire se forme entre l'agent, son employeuret le pouvoir subsidiant :

- l'agent effectue des prestations au profit de son employeur ;

- le pouvoir subsidiant verse des subventions à l'employeur sous la formedu traitement paye à l'agent'.

Elle en deduit que, des lors que les prestations de travail del'enseignant ne beneficient pas à la [demanderesse] mais uniquement àl'employeur, etant le pouvoir subsidie, la [demanderesse] ne subit pas dedommage suite à l'incapacite de travail encourue par la victime.

[La demanderesse] conteste cet argument au motif que la loi (articles 25et 36 de la loi du 29 mai 1959, dite `du pacte scolaire') met à chargedes pouvoirs publics (à l'epoque l'Etat et desormais les communautes) laremuneration des enseignants, quel que soit le reseau dont ils dependentet ce, par le biais de subventions-traitements payees directement par lescommunautes aux enseignants. Il en est de meme pour le paiement de laremuneration en cas d'accident du travail, la loi du 3 juillet 1967 nedistinguant pas selon que l'enseignant depend du reseau organise par lescommunautes ou par un pouvoir subsidie.

Elle estime que c'est la communaute qui, dans tous les cas, subit ledommage et non pas le pouvoir organisateur subsidie qui, lui, ne doitdebourser aucun montant en cas d'accident du travail.

Elle s'appuie sur les arrets precites de la Cour de cassation, quis'exprime, selon elle, en termes generaux en parlant de `pouvoirs publics'et non pas `d'employeurs publics', ainsi que sur quelques decisions defond.

Le tribunal ne suivra pas cette these et fera droit au raisonnement [de ladefenderesse].

Le tribunal releve tout d'abord que la Cour de cassation, si ellementionne dans certains de ses arrets les `pouvoirs publics' sans autreprecision, ne s'est jamais prononcee specifiquement sur la question dupouvoir subsidiant ; elle se refere en revanche systematiquement audommage que constitue l'obligation de payer le traitement sans beneficierd'aucune contrepartie.

Ce n'est pas le paiement de la remuneration qui constitue le dommagepropre mais l'absence de contrepartie à ce paiement.

La formulation de l'arret de la Cour de cassation du 21 septembre 2009est, à cet egard, precise : `l'employeur du secteur public qui, en raisonde la faute d'un tiers, est contraint, en vertu de ses obligations legalesou reglementaires, de continuer à payer le traitement et les cotisationsy afferentes sans la contrepartie des prestations de travail, est en droitd'etre indemnise pour autant qu'il subisse un dommage de ce fait' (...).

Or, s'agissant en l'espece d'un enseignant du reseau subsidie, ce n'estpas la [demanderesse] qui subit les inconvenients lies à l'absence deprestations mais bien l'employeur.

La Cour constitutionnelle, amenee à se prononcer sur une eventuelleviolation de la Constitution par la jurisprudence de la Cour de cassation,qui induit une difference de traitement entre les employeurs publics etles employeurs prives (et qui y a repondu negativement), lie egalementclairement le dommage à l'absence de prestations de travail encontrepartie du paiement de la remuneration : `B.3.1. Les questionsprejudicielles portent sur la difference de traitement que l'article 1382du Code civil creerait entre les tiers responsables d'un accident suivantque la victime serait un agent des services publics ou un travailleur dusecteur prive, en ce que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation,l'autorite publique pourrait, à l'encontre du tiers responsable ou de sonassureur, exercer non seulement un recours subrogatoire mais aussi uneaction fondee sur l'article 1382 du Code civil, alors que cette dernierepossibilite ne serait pas ouverte à un employeur prive. B.3.2.Contrairement à ce que soutient Ethias Assurances, il s'agit là desituations comparables puisqu'elles visent l'une et l'autre la mesure danslaquelle l'employeur peut se retourner contre le tiers responsable d'unaccident dont la victime accomplissait des prestations de travail auprofit du premier. B.8. Il peut etre admis que le dommage auquel estconfronte l'employeur public qui, en raison de l'incapacite de travailfrappant son agent victime d'un accident cause par un tiers, doit garantirà cet agent, sans contrepartie, des prestations financieres etreorganiser ses services, presente des points communs avec celui auquelserait confronte, dans des circonstances analogues, un employeur dusecteur prive' (...).

Le tribunal estime, en consequence, que [la demanderesse] n'est pas endroit, en l'espece, de fonder son action sur l'article 1382 du Code civilet qu'elle ne peut invoquer que le mecanisme prevu par l'article 14 de laloi du

3 juillet 1967 ».

Griefs

1. En vertu de l'article 1382 du Code civil, celui qui, par sa faute,cause un dommage à autrui est tenu de reparer integralement ce dommage.

2. La personne de droit public qui, pendant la periode d'incapacitetemporaire d'un de ses agents suite à la faute d'un tiers, doit continuerà lui payer sa remuneration en vertu d'obligations legales oureglementaires (en l'espece l'article 32 de l'arrete royal du 24 janvier1969 relatif à la reparation, en faveur de membres du personnel dusecteur public, des dommages resultant des accidents du travail et desaccidents survenus sur le chemin du travail), a droit à une indemnite surla base des articles 1382 et 1383 du Code civil dans la mesure ou ellesubit ainsi un dommage.

La personne de droit public subit un dommage lorsqu'elle paie laremuneration sans beneficier de prestations de travail en contrepartie.

3. Le fait que la personne de droit public qui prend en charge laremuneration de la victime agit dans le cadre du regime dessubventions-traitements, et donc pas comme employeur de la victime maiscomme pouvoir subsidiant, n'empeche pas qu'elle puisse subir un dommage.

Elle subit un dommage des lors que les subventions-traitements que la loilui impose de payer constituent la contrepartie des prestations de travaildes enseignants.

4. L'article 25, alinea 2, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certainesdispositions de la legislation de l'enseignement prevoit que l'Etat(substitue ensuite par les communautes) accorde dessubventions-traitements aux etablissements et sections d'etablissementsd'enseignement vises à l'article 24 dans certaines conditions.

Aux termes de l'article 29, alinea 1er, de cette loi, lasubvention-traitement est egale au traitement majore des allocationsdiverses, auquel l'interesse aurait droit, compte tenu de ses titres decapacite, s'il etait membre du personnel de l'enseignement de l'Etat.

L'article 36, S: 1er, alinea 2, de cette loi, dispose que l'Etat(substitue ensuite par les communautes) paie directement et mensuellementles subventions-traitements aux membres du personnel des etablissementssubventionnes. A cette obligation de l'Etat envers ces membres dupersonnel correspond, dans le chef de ceux-ci, un droit subjectif àl'egard de ces autorites.

Il en resulte que ces subventions-traitements sont une contrepartie desprestations de travail de ces membres du personnel et constituent uneremuneration (notamment au sens de l'article 23 de la loi du 12 avril 1965concernant la protection de la remuneration des travailleurs).

5. Il s'ensuit que, lorsque la [demanderesse] est tenue, en vertu del'article 32 de l'arrete royal du 24 janvier 1969, de continuer à payerla remuneration de l'agent pendant toute la duree de l'incapacitetemporaire resultant d'un accident du travail ou sur le chemin du travail,le paiement de cette remuneration, qui constitue la contrepartie desprestations de travail de la victime, est un dommage reparable au sens desarticles 1382 et 1383 du Code civil.

La [demanderesse] n'est pas tenue d'etablir qu'elle subit un dommagedistinct en payant egalement la remuneration d'un autre enseignant venu enremplacement de l'enseignant en incapacite.

6. Des lors, le jugement attaque, qui decide que la demanderesse n'est pasen droit de fonder son action en recuperation des subventions-traitementssur l'article 1382 du Code civil pour le motif qu'elle ne subit pas dedommage par le paiement de ces subventions-traitements en l'absence deprestations de travail de l'enseignante-victime des lors qu'elle n'est pasl'employeur de la victime mais qu'elle intervient uniquement en qualite depouvoir subsidiant, ne justifie pas legalement sa decision.

Partant, le jugement attaque viole les articles 25, alinea 2, 29, alinea1er, et 36, S: 1er, alinea 2, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certainesdispositions de la legislation de l'enseignement, desquels se deduit lanature des subventions-traitements, ainsi que les articles 1382 et 1383 duCode civil contenant le principe du droit à la reparation integrale dudommage resultant d'une faute quasi-delictuelle.

III. La decision de la Cour

L'employeur public qui, en vertu de ses obligations legales oureglementaires, est tenu de verser une remuneration à son agent sansrecevoir de prestations en contrepartie a droit à une indemnite lorsqu'ilsubit ainsi un dommage.

Le jugement attaque constate qu'« [une] enseignante [d'] un etablissementappartenant au reseau libre subventionne par la [demanderesse] a etevictime d'un accident de la circulation survenu sur le chemin dutravail », que « l'accident est du à la faute de [l']assuree [de ladefenderesse] », que « [la demanderesse] a continue de payer letraitement de [la victime] pendant ses periodes d'incapacitetemporaire », qu'« elle en a sollicite le remboursement aupres de [ladefenderesse] » et qu'elle « ne fonde pas son action contre l'assureurde la personne responsable de l'accident sur [l'article 14, S: 3, de laloi du 3 juillet 1967], qui instaure un systeme de subrogation, mais surl'article 1382 du Code civil, sollicitant ainsi la reparation d'unprejudice propre ».

Le jugement attaque, qui considere que « ce n'est pas le paiement de laremuneration qui constitue le dommage propre mais l'absence decontrepartie à ce paiement » et que, « s'agissant [...] d'un enseignantdu reseau subsidie, ce n'est pas [la demanderesse] qui subit lesinconvenients lies à l'absence de prestations mais bien l'employeur »,justifie legalement sa decision que « [la demanderesse] n'est pas endroit [...] de fonder son action sur l'article 1382 du Code civil etqu'elle ne peut invoquer que le mecanisme prevu par l'article 14 de la loidu 3 juillet 1967 ».

Le moyen ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de six cent trente-deux euros soixantecentimes envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, le conseiller DidierBatsele, le president de section Albert Fettweis, les conseillers MichelLemal et Sabine Geubel, et prononce en audience publique du cinq mars deuxmille quinze par le president de section Christian Storck, en presence del'avocat general Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier PatriciaDe Wadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Lemal |
|-----------------+------------+-------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

5 MARS 2015 C.14.0197.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0197.F
Date de la décision : 05/03/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 25/03/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-03-05;c.14.0197.f ?
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