Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.14.0479.F
M. B.,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,
contre
KIDENT, societe privee à responsabilite limitee dont le siege social estetabli à Wanze (Antheit), rue des Chasseurs ardennais, 54,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 18 fevrier 2014par la cour d'appel de Liege.
Le 12 mai 2015, le premier avocat general Andre Henkes a depose desconclusions au greffe.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et le premier avocat generalAndre Henkes a ete entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Le demandeur presente deux moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions legales violees
- article 1315 du Code civil ;
- article 870 du Code judiciaire.
Decisions et motifs critiques
L'arret decide que le demandeur est redevable envers la defenderesse de lasomme de 10.499,18 euros, somme correspondant à des recettes dekinesitherapie perc,ues par le demandeur en 1998, par tous ses motifsreputes ici integralement reproduits et, specialement, aux motifs que :
« La cour [d'appel] ne peut admettre l'ecartement de la reclamationrelative à la difference entre les recettes perc,ues par [le demandeur]en 1998 pour ses activites de kinesitherapie et les versements effectuespar lui pour le compte de la [defenderesse]. Des le 9 aout 2000, la[defenderesse] a articule de maniere tres claire qu'il existait unediscordance de 423.536 francs entre les recettes encaissees par [ledemandeur] et reconnues par lui qui totalisent 1.279.483 francs et lesversements effectues sur le compte de la societe pour un montant de855.947 francs. Certes, les premiers juges stigmatisent à bon droit lalongueur de la procedure et la deperdition des preuves mais il n'endemeure pas moins que les parties doivent collaborer loyalement à lacharge de la preuve. Confronte à la reclamation de la [defenderesse], ilappartenait [au demandeur] de rapporter la preuve, ce qu'il aurait pufaire aisement à l'epoque, qu'il avait rembourse à la societe desmontants superieurs au montant des versements admis, ce qu'il ne fait pas.
Ce poste doit des lors etre maintenu au debit de son compte courant ».
Griefs
La defenderesse affirmait qu'il y avait lieu de condamner le demandeur aupaiement de sommes correspondant à des recettes de kinesitherapieperc,ues en 1998, sommes que le demandeur n'aurait plus versees sur lecompte de la societe mais sur un compte bis à partir du mois d'octobre dela meme annee. Elle soutenait qu'en deduisant du total des recettes dekinesitherapie (1.279.[4]83 francs) les versements effectues sur le comptede la societe (855.947 francs), il subsistait un solde de 423.536 francs,soit 10.499,18 euros, et que la preuve de ses allegations resultait d'undocument qu'elle deposait en piece 12 de son dossier.
Le demandeur sollicitait la confirmation du jugement entrepris, faisantvaloir que c'etait à bon droit « que le premier juge a[vait] dit [...]que la [defenderesse] ne produisait qu'un document manuscrit dont elle neprecisait ni la nature ni la preuve de l'origine, en sorte que le premierjuge ne pouvait lui accorder aucune fiabilite ».
Il appartenait, en vertu des articles 1315 du Code civil et 870 du Codejudiciaire, à la defenderesse d'apporter la preuve de l'obligation deremboursement du demandeur.
S'il est certain que les parties doivent collaborer loyalement à lacharge de la preuve, il est tout aussi certain que ce devoir ne peutaboutir à renverser la charge de cette preuve.
L'arret, qui ne decide pas que le document unique produit par ladefenderesse - document que le premier juge avait ecarte - etablit larealite de la creance alleguee par la defenderesse et de son montant maisfait grief au demandeur de ne pas avoir apporte la preuve du contraire,« ce qu'il aurait pu faire aisement », viole, partant, les dispositionslegales relatives à la charge de la preuve, à savoir les articles 1315du Code civil et 870 du Code judiciaire.
Second moyen
Dispositions legales violees
* article 577-2, S:S: 5 et 6, du Code civil ;
* article 807 du Code judiciaire.
Decisions et motifs critiques
L'arret decide que la demande reconventionnelle introduite par ledemandeur à l'encontre de la defenderesse est irrecevable, par tous sesmotifs reputes ici integralement reproduits et, specialement, aux motifsque :
« C'est à tort que la demande reconventionnelle [du demandeur] relativeà des loyers impayes et arrieres d'indexation a ete accueillie. En effet,`l'indivision post-communautaire est soumise aux regles de la copropriete(article 577-2 du Code civil). Les actes pouvant etre qualifies d'actes degestion, comme le recouvrement d'une creance à l'encontre d'un tiers, nepeuvent etre [accomplis] par un des coproprietaires seul. L'indivisionpost-communautaire ne peut en principe prendre fin qu'apres un partagecomplementaire. La demande dirigee par un copartageant visant à obtenirdu debiteur le recouvrement de la moitie d'une creance restee indivise,tend en realite au partage de la creance en l'absence de l'autrecopartageant et sans que cette creance ait fait l'objet d'un partagecomplementaire. Cette demande ne peut etre poursuivie par le copartageantseul' ».
Griefs
Aux termes de l'article 577-2, S: 5, du Code civil, le coproprietaire« peut user et jouir de la chose commune conformement à sa destinationet dans la mesure compatible avec le droit de ses consorts. Il faitvalablement les actes purement conservatoires et les actesd'administration provisoire ».
En vertu de l'article 577-2, S: 6, du meme code, « ne sont valables quemoyennant le concours de tous les coproprietaires les autres actesd'administration et les actes de disposition. Neanmoins, l'un descoproprietaires peut contraindre les autres à participer aux actesd'administration reconnus necessaires par le juge ».
L'article 17 du Code judiciaire dispose que « l'action ne peut etreadmise si le demandeur n'a pas qualite et interet pour la former ».
L'article 18 du meme code dispose que « l'interet doit etre ne et actuel.L'action peut etre admise lorsqu'elle a ete intentee, meme à titredeclaratoire, en vue de prevenir la violation d'un droit gravementmenace ».
Premiere branche
Les paragraphes 5 et 6 de l'article 577-2 du Code civil ne regissent queles rapports existant entre les proprietaires indivis et ne sont pasapplicables aux rapports entre les coproprietaires et les tiers.
L'arret, qui declare irrecevable, sur la base de l'article 577-2, S: 6, duCode civil, la demande introduite par le demandeur à l'encontre de ladefenderesse, tiers à la copropriete et simple locataire de l'immeubleindivis, viole, partant, l'article 577-2, S:S: 5 et 6, de ce code.
Il viole egalement, par voie de consequence, les articles 17 et 18 du Codejudiciaire, qui enoncent les conditions de recevabilite d'une action enjustice et qui regissent la recevabilite des demandes reconventionnellesdejà formulees en premiere instance.
Seconde branche
Le fait d'introduire une action en paiement d'arrieres de loyer etd'indexation au benefice de la copropriete ne constitue pas un acted'administration ou un acte de disposition qui exigerait le concours detous les coproprietaires.
L'arret, qui decide que la demande reconventionnelle du defendeurconstituerait un « acte de gestion » exigeant pareil concours, viole,partant, l'article 577-2, S:S: 5 et 6, du Code civil.
Il viole egalement, par voie de consequence, les articles 17 et 18 du Codejudiciaire, qui enoncent les conditions de recevabilite d'une action enjustice et qui regissent la recevabilite des demandes reconventionnellesdejà formulees en premiere instance.
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Aux termes de l'article 1315 du Code civil, celui qui reclame l'executiond'une obligation doit la prouver ; reciproquement, celui qui se pretendlibere, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinctionde ses obligations.
L'article 870 du Code judiciaire dispose que chacune des parties a lacharge de prouver les faits qu'elle allegue.
L'obligation des parties de collaborer à l'administration de la preuve nepeut avoir pour consequence de renverser la charge de la preuve.
Apres avoir constate qu'au debit du « compte associe du [demandeur] »,figure le poste « du 14 septembre au 28 decembre 1998 caissesconservees » pour un montant de 423.536 francs, l'arret releve que,« des le 9 aout 2000, la [defenderesse] a articule de maniere tres clairequ'il existait une discordance de 423.536 francs entre les recettesencaissees par [le demandeur] et reconnues par lui qui totalisent1.279.483 francs et les versements effectues sur le compte de la societepour un montant de 855.947 francs ». Il considere que, « certes, lespremiers juges stigmatisent à bon droit la longueur de la procedure et ladeperdition des preuves mais qu'il n'en demeure pas moins que les partiesdoivent collaborer loyalement à la charge de la preuve » et que,« confronte à la reclamation de la [defenderesse], il appartenait [audemandeur] de rapporter la preuve, ce qu'il aurait pu faire aisement àl'epoque, qu'il avait rembourse à la societe des montants superieurs aumontant des versements admis, ce qu'il ne fait pas ».
En mettant à charge du demandeur la preuve de la creance de ladefenderesse, l'arret viole les dispositions legales precitees.
Le moyen est fonde.
Sur le second moyen :
Quant à la premiere branche :
Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen par la defenderesse et deduitede son defaut d'interet :
Les considerations de l'arret que « l'indivision post-communautaire nepeut en principe prendre fin qu'apres un partage complementaire » et que« la demande dirigee par un copartageant visant à obtenir du debiteur lerecouvrement de la moitie d'une creance restee indivise tend en realite aupartage de la creance en l'absence de l'autre copartageant et sans quecette creance ait fait l'objet d'un partage complementaire » ne suffisentpas à fonder la decision critiquee par le moyen, en cette branche.
La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.
Sur le fondement du moyen, en cette branche :
L'article 577-2, S: 5, du Code civil autorise le coproprietaire à fairevalablement les actes purement conservatoires et les actesd'administration provisoire relativement à la chose commune tandis que,selon l'article 577-2,
S: 6, du meme code, les autres actes d'administration et les actes dedisposition requierent le concours de tous les coproprietaires.
Ces dispositions ne sont applicables qu'entre coproprietaires, sauf lesexceptions justifiees par la nature indivisible du bail.
Par adoption des motifs du premier juge, l'arret constate que, « parcontrat de bail signe le 1er octobre 1991, [le demandeur et son ex-epouse]ont donne en location à [la defenderesse] [...] une partie de l'immeubledependant de la communaute existant entre eux » et que, par conclusionsdeposees au greffe du tribunal de commerce le 2 avril 2012, le demandeur a« introduit une demande reconventionnelle visant à la condamnation de[la defenderesse] à lui payer la moitie des arrieres de loyers indexes,de 1998 à 2012, evalues au total à 260.577,18 euros ».
L'arret, qui declare cette demande irrecevable au motif que « les actespouvant etre qualifies d'actes de gestion, comme le recouvrement d'unecreance à l'encontre d'un tiers, ne peuvent etre [accomplis] par un descoproprietaires seul », viole l'article 577-2, S:S: 5 et 6, precite.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
Sur les autres griefs :
Il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche du second moyen, qui nesaurait entrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il rec,oit les appels et la demandeincidente et que, par confirmation du jugement entrepris, il rec,oit lademande principale de la defenderesse ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du quatre juin deux mille quinze par lepresident de section Christian Storck, en presence du premier avocatgeneral Andre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Lemal | M. Regout | Chr. Storck |
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4 JUIN 2015 C.14.0479.F/10