Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG P.14.0990.N
I. ASSOCIATION MUTUELLE D'ASSURANCES MEDICALES (AMMA),
partie intervenue volontairement,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
II. J. K.,
prevenue,
Me Eline Tritsmans, avocat au barreau de Gand,
demandeurs en cassation,
contre
1. R. D.,
(...)
10. LANDSBOND DER CHRISTELIJKE MUTUALITEITEN,
parties civiles,
defendeurs en cassation.
I. la procedure devant la cour
Les pourvois sont diriges contre un arret rendu le 9 mai 2014 par la courd'appel de Gand, chambre correctionnelle.
La demanderesse I se desiste sans acquiescement du pourvoi en tant qu'ilest dirige contre la decision par laquelle il est constate au civil que,dans l'etat actuel de la procedure, les juges d'appel n'ont pas à statuersur l'action formee par feue L.F. et par laquelle, en ce qui concerne lesactions des autres defendeurs, les debats sont rouverts au civil, la causeetant remise à cette fin.
Le demandeur II demande que la Cour lui accorde le desistement de sonpourvoi en cassation dans la mesure ou il serait premature.
Le demandeur I invoque un moyen dans un memoire annexe au present arret,en copie certifiee conforme.
Le demandeur II invoque trois moyens dans un memoire annexe au presentarret, en copie certifiee conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L'avocat general delegue Alain Winants a conclu.
II. la decision de la cour
Sur la violation alleguee de l'article 6 CEDH et des droits de ladefense :
1. Le demandeur II soutient que ses droits ont ete meconnus par le refusdu ministere public pres la Cour de consentir à lui fournir une copie dutexte ecrit de ses conclusions afin de prendre connaissance de la teneurexacte de ses arguments et de pouvoir ensuite formuler une repliqueappropriee. Selon le demandeur II, il est impossible de prendreconnaissance de la teneur et de la formulation precises de l'argumentationjuridique, lue de fac,on condensee et acceleree, de l'avocat general dansune affaire aussi complexe que la presente cause, de la scruter et de larefuter de maniere adequate.
2. Le ministere public pres la Cour n'est pas oblige de prendre desconclusions ecrites. Aucune disposition legale ni aucun principe generaldu droit ne conferent aux parties le droit à une copie de la preparationecrite du ministere public qui conclut oralement.
3. Il ne peut etre deduit de violation des droits de la defense, y comprisdu droit au contradictoire, de la circonstance que le ministere publicpres la Cour aurait, lors des conclusions orales, lu de fac,on condenseeet acceleree un texte ecrit comportant des arguments juridiques. Cettecirconstance, si elle s'etait produite, s'applique en effet à toutes lesparties et egalement à la Cour, tout en n'empechant pas en outre lesparties de prendre connaissance de la position du ministere public et deformuler des remarques à ce sujet.
* (...)
* Sur le premier moyen du demandeur II :
(...)
Quant à la deuxieme branche :
12. Le moyen invoque la violation des articles 6.1 et 6.3.a de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, ainsi que la meconnaissance des principes generaux du droitrelatifs au droit à un proces equitable et au respect des droits de ladefense : l'arret considere à tort que les poursuites du chef d'homicideinvolontaire sont fondees sur le dossier repressif et que le demandeurII est tenu d'exercer sa defense sur l'ensemble des fautes telles qu'ellesressortent des elements du dossier repressif et des debats aux audienceset que les juges d'appel ne peuvent davantage prendre en consideration leselements mentionnes dans l'ordonnance de renvoi comme contenu eventuel del'element de l'infraction de defaut de prevoyance ou de precaution ; lesdroits de la defense du demandeur ont ainsi ete foules aux pieds ; ledemandeur II ne peut etre cense se defendre en ce qui concerne toutelement quel qu'il soit du dossier repressif qui n'a pas ete mis en avantpar le ministere public, d'autant plus que ledit dossier est considerableet complexe ; il resulte en effet de la jurisprudence de la Coureuropeenne des droits de l'homme que l'acte de saisine doit mentionner defac,on detaillee, complete et comprehensible non seulement le fondementjuridique, à savoir la nature des poursuites, mais egalement les faitsmateriels, à savoir le motif des poursuites, et les concretiser enfonction de la date, du lieu, de l'acte et de la connaissance ou del'intention.
13. L'article 6.3.a de la Convention prevoit que tout accuse a droit àetre informe, dans le plus court delai, dans une langue qu'il comprend etd'une maniere detaillee, de la nature et de la cause de l'accusationportee contre lui.
Cette disposition entend par "cause" les faits punissables mis à chargeet par "nature" la qualification juridique de ces faits.
Aucune disposition ne prescrit que les informations relatives au fait misà charge qui constituent les motifs de l'inculpation peuvent uniquementressortir de l'ordonnance de renvoi ou de la citation. Elles peuventegalement etre donnees au moyen des pieces du dossier repressif surlesquelles se fonde l'inculpation, dont le demandeur a pu prendreconnaissance et au sujet desquelles il a pu librement exercer ses droitsde defense.
14. Le defaut de prevoyance ou de precaution de l'infraction d'homicideinvolontaire visee aux articles 418 et 419 du Code penal implique toutesles fautes, aussi legeres soient-elles, qui ont pu causer l'homicideinvolontaire de la victime.
Le juge peut prendre en consideration toutes les fautes susceptibles deconstituer ce defaut et le prevenu est tenu d'exercer sa defense surl'ensemble de ces fautes, telles qu'elles ressortent des elements dudossier repressif et des debats aux audiences.
Il n'est pas necessaire que la qualification de la prevention dansl'ordonnance de renvoi ou dans la citation mentionne les elementssusceptibles de constituer le defaut de prevoyance ou de precautionreproche au prevenu ou que le ministere public ou le juge indique ceselements.
* 15. Il n'y a ni violation des articles 6.1 et 6.3.a de la Convention,ni du droit à un proces equitable et des droits de la defense.
* Le moyen qui, en cette branche, repose sur une autre conceptionjuridique, manque en droit.
Quant à la troisieme branche :
16. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 6.1 et6.3.a de la Convention et 182 et 211 du Code d'instruction criminelle,ainsi que la meconnaissance des principes generaux du droit relatifs audroit à un proces equitable et au respect des droits de la defense : lorsde la requalification des faits, l'arret a repris des faitscomplementaires dont la juridiction n'avait pas ete saisie parl'ordonnance de renvoi ; l'ordonnance de renvoi a uniquement mis à chargedu demandeur II le fait d'une intubation forcee avec perforation del'oesophage, alors que le fait requalifie consiste en un fait non precisequi, selon l'arret, consiste en un ensemble de fautes telles qu'ellesressortent des elements du dossier repressif et des debats aux audiences ;du reste, le demandeur II n'a pas eu la possibilite de se defendre à cesujet; il ressort seulement du proces-verbal de l'audience du 13 juin 2013l'eventuelle adaptation de la qualification par la suppression du mot"manifestement" ainsi que des mots "pour la tres" jusques et y compris"des difficultes d'intubation" a ete notifiee aux parties ; la caducite del'arret par defaut ensuite de la recevabilite de l'opposition du demandeurII ne peut pallier ce defaut.
17. En tant qu'il est deduit de la violation de la loi vainement allegueedans la deuxieme branche, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
18. Il resulte de la reponse à la deuxieme branche du moyen que le jugequi adapte la qualification de la prevention d'homicide involontaire ensupprimant les elements mentionnes à l'origine qui concretisaient ledefaut de prevoyance ou de precaution ne se saisit pas d'un fait autre quecelui dont il a ete saisi par l'ordonnance de renvoi.
Dans la mesure ou il est deduit d'une autre premisse juridique, le moyen,en cette branche, manque en droit.
19. Le prevenu qui fait opposition à une decision rendue par defaut parlaquelle le juge a adapte la qualification d'une prevention peut ainsiprendre connaissance de cette adaptation et se defendre à ce propos, etce nonobstant la question de savoir si la decision rendue par defautdevient caduque ensuite de la recevabilite de son opposition.
Dans la mesure ou il est deduit d'une autre premisse juridique, le moyen,en cette branche, manque en droit.
Sur le deuxieme moyen :
(...)
Quant à la deuxieme branche :
22. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 6.1 et6.3.c de la Convention, ainsi que la meconnaissance des principes generauxdu droit relatifs au respect des droits de la defense et au droit à unproces equitable : l'arret considere à tort et en violation desdispositions precitees qu'il n'appartenait pas au juge d'instruction, auprocureur du Roi ou au procureur general de mettre en cause le mandat duconseil, à l'epoque, du demandeur ou de verifier si sa designation etaitconforme à la deontologie de l'avocat et qu'ils ne pouvaient ou devaientsavoir que les avocats avaient eventuellement un conflit d'interetmanifeste ; l'article 6.3.c de la Convention, tel qu'il est interprete parla Cour europeenne des droits de l'homme, requiert en effet que lesautorites judiciaires interviennent lorsque l'avocat intervenant demeuremanifestement en defaut de preter l'assistance requise, et ce, quel'avocat soit designe par l'autorite ou qu'il soit retribue par des moyensprives.
23. Il resulte de l'article 6.3.a de la Convention, tel qu'interprete parla Cour europeenne des droits de l'homme, que les actes et les decisionsd'un avocat ne peuvent en principe pas mettre en peril la responsabilitede l'autorite et que le mode de defense est l'affaire du prevenu et de sonconseil, et ce, que l'avocat soit retribue par le prevenu lui-meme ou parl'autorite.
L'autorite a toutefois l'obligation d'intervenir en cas de manquementsmanifestes de l'avocat commis d'office ou dans des cas exceptionnels del'avocat retribue et choisi personnellement.
Dans le cas de pareil manquement manifeste, il y a lieu d'examiner si cemanque a porte atteinte dans son ensemble et irremediablement au caractereequitable du proces de l'interesse.
24. L'arret considere que
* le demandeur II ne s'est jamais trouve en positionvulnerable dans cette cause ;
* il n'a pas ete demontre que le demandeur II et leDr. Parys ou les autres medecins mentionnes dans ledossier avaient necessairement des interetscontradictoires ;
* le demandeur II s'est à l'origine fait assister parMe T. B., auquel a succede, apres que ce dernier eutquitte le barreau, Me J.-M. D. S. ;
* rien n'indique que Me D. S. ait ete designe contrele gre du demandeur II par son assureur ou que sonmandat ait ainsi ete limite d'une quelconquemaniere ;
* au cours de son audition par le juge d'instructionen tant qu'inculpe, le demandeur II a declare que MeJ.-M. D. S. etait le conseil qu'il avait choisi ;
* il ne resulte pas necessairement du fait qu'unavocat intervienne comme conseil de plusieursmedecins dans l'instruction judiciaire en matiered'homicide involontaire que ledit avocat n'est pasindependant, ni davantage lorsque ces medecins onttraite la victime d'une maniere ou d'une autre ;
* s'il estimait que son conseil n'intervenait pas defac,on independante, le demandeur II pouvait sefaire assister par un autre avocat au cours del'instruction judiciaire, ce qu'il n'a pas fait, nidavantage soutenu devant le premier juge ;
* il n'est guere plausible que, s'il avait ete assistepar un autre conseil, le demandeur II aurait faitdes declarations autres que celles qu'il a faites aucours de l'information ;
* l'article 6.1 de la Convention n'a pas ete viole etles droits de la defense n'ont pas ete meconnuspuisque le demandeur II a ete assiste par un conseilqu'il a choisi librement et en connaissance decause, et il en a ete de meme devant la courd'appel.
Par ces motifs, l'arret justifie la decision que l'autorite judiciairen'etait pas tenue d'intervenir dans la fac,on dont le demandeur II a menesa defense et que son droit à un proces equitable et ses droits dedefense n'ont pas ete violes.
Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
(...)
* Par ces motifs,
* La Cour
* * Donne acte de son desistement à la demanderesse I comme exposeci-dessus ;
* Donne acte de son desistement au demandeur II en tant que le pourvoien cassation est dirige contre les decisions rendues sur l'actioncivile formee par les defendeurs ;
* Rejette les pourvois pour le surplus ;
* Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de president,Alain Bloch, Antoine Lievens, Erwin Francis et Sidney Berneman,conseillers, et prononce en audience publique du vingt-deux septembre deuxmille quinze par le conseiller faisant fonction de president Filip VanVolsem, en presence de l'avocat general Marc Timperman, avec l'assistancedu greffier Frank Adriaensen.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Benoit Dejemeppe ettranscrite avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.
Le greffier, Le conseiller,
22 SEPTEMBRE 2015 P.14.0990.F/1