N° P.17.1151.F
I. A.-B. F. Q.,
prévenu, détenu,
ayant pour conseil Maître Damien Holzapfel, avocat au barreau de Bruxelles,
II. M. H., M., M.,
prévenu, détenu,
ayant pour conseil Maître Jonathan De Taye, avocat au barreau de Bruxelles,
III. K. H. H.,
prévenu,
ayant pour conseil Maître Sven De Kerpel, avocat au barreau de Bruxelles,
demandeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 20 octobre 2017 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le premier demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de F. A.-B. :
Sur le premier moyen :
Quant aux deux branches réunies :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 77bis, 77quater, alinéa 1er, 2° et 6°, et 77quinquies, alinéa 1er, 2°, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.
L'arrêt condamne le demandeur du chef de trafic des êtres humains commis au préjudice de neuf victimes. Concernant cinq de ces victimes, le demandeur soutenait devant la cour d'appel avoir agi gratuitement ou sans rechercher un avantage patrimonial parce qu'il s'agissait de membres de sa famille. Le moyen reproche à l'arrêt de rejeter cette défense en considérant que d'autres victimes ont payé d'importantes sommes d'argent et qu'il résulte de cette circonstance que les cinq victimes précitées ont également payé de telles sommes. Le moyen allègue que cette déduction portant sur la finalité d'obtention d'un avantage patrimonial, qui est un élément constitutif de l'infraction de trafic des êtres humains, n'est susceptible d'aucune justification : de la circonstance que cette finalité a existé à l'égard de certaines victimes, il ne se déduit pas qu'elle a existé à l'égard de toutes les victimes. Le demandeur précise que sa critique est d'autant plus justifiée que le nommé R.A., que l'arrêt cite à titre exemplatif comme un membre de sa famille qui a payé une importante somme d'argent, n'est pas visé parmi les victimes des préventions de trafic des êtres humains.
Dans la mesure où il est fondé sur l'article 149 de la Constitution sans indiquer en quoi l'arrêt aurait manqué à son devoir de motivation, le moyen est irrecevable à défaut de précision.
Les conséquences que le juge tire, à titre de présomptions, des faits qu'il déclare constants sont abandonnées à sa prudence et relèvent de son appréciation souveraine, pour autant qu'il ne déduise pas de ces faits des conséquences qui seraient sans lien avec eux ou qui ne seraient susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification.
Pour refuser toute crédibilité à la défense du demandeur fondée sur ses liens familiaux avec cinq victimes, les juges d'appel ont considéré qu'il apparaissait que l'organisation se faisait, à chaque fois, payer d'importantes sommes d'argent pour acheminer les victimes du trafic, que celles-ci soient éventuellement des membres de la famille des prévenus ou des amis ou relations de ceux-ci. A cet égard, les juges d'appel ont considéré, à titre exemplatif, que le nommé R.A., dont l'arrêt relève qu'il est un neveu du demandeur, a déclaré avoir dû payer huit mille dollars pour venir en Belgique.
En ayant dénié, sur le fondement de la déclaration de ce membre de la famille du demandeur, toute crédibilité à la défense selon laquelle il agissait gratuitement quand la personne acheminée en Belgique faisait partie de sa famille, la cour d'appel n'a pas déduit de ses constatations des conséquences sans lien avec elles ou qui ne seraient susceptibles d'aucune justification.
En outre, la circonstance que les préventions de trafic des êtres humains ne mentionnent pas cette personne parmi les victimes est indifférente, le juge pouvant librement apprécier la valeur probante de tous les éléments régulièrement produits devant lui.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation de l'article 211bis du Code d'instruction criminelle.
Quant à la première branche :
Le moyen fait grief à la cour d'appel d'avoir aggravé la peine d'emprisonnement que le premier juge a prononcée à charge du demandeur, sans constater que la décision est rendue à l'unanimité de ses membres : alors que le premier juge a condamné le demandeur à une peine de neuf ans d'emprisonnement du chef de l'infraction de trafic des êtres humains commise envers vingt-sept victimes, les juges d'appel, sans constater qu'ils statuaient à l'unanimité, ont prononcé la même peine d'emprisonnement de neuf ans du chef de cette infraction commise envers neuf victimes, en indiquant expressément qu'ils auraient aggravé cette peine s'ils n'avaient pas limité le nombre de victimes.
En vertu de l'article 211bis du Code d'instruction criminelle, s'il y a jugement d'acquittement, la juridiction d'appel ne peut prononcer la condamnation qu'à l'unanimité de ses membres. La même unanimité est nécessaire pour que cette juridiction puisse aggraver les peines prononcées contre l'inculpé.
La cour d'appel n'aggrave pas les peines prononcées en première instance lorsque, saisie de l'appel d'un jugement prononçant une peine unique pour plusieurs préventions, cette juridiction acquitte le prévenu pour certaines de ces préventions et maintient cette peine pour les autres préventions déclarées établies par le premier juge.
Fondé sur la prémisse inexacte que le juge d'appel aggrave la peine prononcée en première instance lorsqu'il acquitte le prévenu de certains faits et maintient cette peine pour les autres faits, le moyen, dans cette mesure, manque en droit.
En tant qu'il critique la considération selon laquelle la cour d'appel aurait aggravé cette peine si elle n'avait pas limité le nombre de victimes, alors que la cour d'appel n'a pas aggravé la peine infligée au demandeur, le moyen est dirigé contre une considération qui ne lui cause aucun grief.
A cet égard, dénué d'intérêt, le moyen est irrecevable.
Quant à la seconde branche :
Le moyen fait grief à l'arrêt de condamner le demandeur à une peine d'amende plus forte que celle prononcée par le premier juge, sans constater que la décision est prise à l'unanimité : alors que le premier juge a prononcé une amende de 6.000 euros pour l'infraction de trafic des êtres humains commise envers vingt-sept victimes, l'arrêt prononce une amende de 9.000 euros du chef de cette infraction commise envers neuf victimes.
En vertu de l'article 77quinquies, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980, l'infraction de trafic des êtres humains, dans les cas visés à cette disposition, est punie d'une peine de réclusion de quinze ans à vingt ans et d'une amende de mille à cent cinquante mille euros. En vertu de l'alinéa 2, cette amende sera appliquée autant de fois qu'il y a de victimes.
Lorsque la loi prévoit que le nombre de victimes de l'infraction intervient dans la détermination du montant de l'amende, il faut, pour comparer l'amende prononcée par le juge d'appel à celle que le premier juge a infligée, prendre en considération les montants résultant de la multiplication du montant de l'amende par le nombre de victimes envers lesquelles ces juges ont déclaré l'infraction établie.
Faisant application de la règle de détermination du montant de l'amende inscrite à l'article 77quinquies, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980, le tribunal correctionnel a déclaré les faits de trafic des êtres humains établis à l'égard de vingt-sept victimes, a fixé l'amende à un montant de 6.000 euros et, après avoir multiplié ce montant par le nombre de victimes, a condamné le demandeur à une amende de 162.000 euros. Appliquant la même disposition, la cour d'appel a déclaré les faits de trafic des êtres humains établis à l'égard de neuf victimes, a fixé l'amende à 9.000 euros et, après avoir multiplié ce montant par le nombre de victimes, a infligé au demandeur une amende de 81.000 euros.
N'ayant pas aggravé l'amende prononcée par le premier juge, les juges d'appel ne devaient pas statuer sur cette peine à l'unanimité.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. Sur les pourvois de H. M.et de H. K.H. :
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de trois cent vingt-six euros dix-neuf centimes dus dont I) sur le pourvoi de F. Q. A.-B. : cent huit euros septante-trois centimes, II) sur le pourvoi de H. M. : cent huit euros septante-trois centimes et III) sur le pourvoi de H. K. H.: cent huit euros septante-trois centimes.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-huit février deux mille dix-huit par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.
F. Gobert F. Lugentz T. Konsek
E. de Formanoir F. Roggen B. Dejemeppe