N° C.17.0297.F
B. B., représenté par M. F. B., sa mandataire générale,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Joseph Stevens, 7, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre de la Justice, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de Waterloo, 115,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 29 septembre 2016 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par le défendeur et déduite de ce qu'il a été introduit pour le demandeur par une personne n'ayant pas le pouvoir de le représenter :
Par un acte passé devant notaire le 7 décembre 2016, le demandeur a, « usant de la faculté prévue à l'article 490 du Code civil [...], déclaré constituer pour mandataire générale » madame M. F. B., qui a accepté.
Dès lors que le demandeur critique les décisions de l'arrêt déclarant irrecevables son appel incident et les demandes qu'il a formées devant la cour d'appel, et disant qu'il devra, pour les suites de la procédure, être représenté par un administrateur provisoire, les motifs relatifs à sa capacité d'exercer ses droits qui fondent ces décisions ne peuvent lui être opposés dans l'instance en cassation.
Pour le surplus, s'agissant des actes relatifs aux biens, les articles 489 à 490/2 du Code civil organisent la protection extrajudiciaire de la personne majeure qui est, comme l'expriment les articles 488/1, alinéa 1er, et 488/2, soit totalement ou partiellement hors d'état d'assumer elle-même, comme il se doit, sans assistance ou autre mesure de protection, fût-ce temporairement, la gestion de ses intérêts patrimoniaux, soit en état de prodigalité.
Conformément à l'article 490, alinéa 1er, de ce code, un mandat spécial ou général peut être accordé par une personne majeure capable d'exprimer sa volonté dans le but spécifique d'organiser à son égard cette protection extrajudiciaire.
Ce mandat est, en vertu de l'article 490/2, § 1er, alinéa 1er, soumis, sauf disposition légale contraire, aux articles 1984 à 2010.
L'article 490/1, § 1er, alinéa 1er, dispose qu'il n'expire pas de plein droit lorsque le mandant se trouve dans la situation visée aux articles 488/1 et 488/2.
Il ne suit pas de ces dispositions que le mandat général ou spécial ne sortit ses effets qu'au moment où le mandant se trouve dans la situation visée aux articles 488/1 et 488/2.
Ce mandat produit ses effets dès le moment déterminé par les parties dans leur convention.
Le mandat donné par le demandeur prévoyant son entrée en vigueur le jour de l'acte, la mandataire a valablement représenté le mandant lorsqu'elle a ultérieurement introduit le pourvoi.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Le défendeur sera dès lors condamné aux dépens du mémoire en réponse.
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
Sur le deuxième rameau :
Sur la fin de non-recevoir opposée par le défendeur au moyen, en ce rameau de cette branche, et déduite de son imprécision :
En ce rameau de cette branche, le moyen fait grief à l'arrêt de méconnaître la capacité d'exercice du demandeur.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen, en ce rameau de cette branche :
L'article 488 du Code civil dispose que la majorité est fixée à dix-huit ans accomplis et qu'à cet âge, on est capable de tous les actes de la vie civile.
Il suit de cette disposition que, la capacité étant la règle, les personnes qui sont inaptes en raison de leur état mental et qui n'ont fait l'objet d'aucune mesure légale de nature à réduire ou à supprimer leur capacité juridique la conservent entière.
L'arrêt, qui, sur la base de rapports de médecins, considère que « [le demandeur] n'est plus apte à suivre le cours de la procédure depuis avril 2008 » et qui en déduit, sans constater qu'il a fait l'objet d'une mesure légale réduisant ou supprimant sa capacité juridique, qu'« il n'avait [...] pas la capacité [juridique] de former appel incident », viole la disposition légale précitée.
Le moyen, en ce rameau de cette branche, est fondé.
Sur l'étendue de la cassation :
La cassation de la décision de l'arrêt de dire irrecevables l'appel incident du demandeur et les demandes qu'il a formées devant la cour d'appel s'étend à celle que le demandeur doit, pour les suites de la procédure, être représenté par un administrateur provisoire, qui est fondée sur la même illégalité.
Sur la demande incidente du demandeur :
Il ne ressort pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que la fin de non-recevoir ait été opposée au pourvoi par le défendeur dans l'intention de nuire au demandeur ou avec légèreté.
La demande n'est pas fondée.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué ;
Rejette la demande incidente du demandeur ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Condamne le défendeur aux dépens de la signification du mémoire en réponse ; réserve les autres dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.
Les dépens de la signification du mémoire en réponse taxés à la somme de trois cent septante-deux euros cinquante-sept centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du dix-huit octobre deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont S. Geubel M.-Cl. Ernotte
M. Delange D. Batselé Chr. Storck
Requête
REQUÊTE EN CASSATION
Pour : Monsieur B. B., (ci-après : « demandeur »), représenté par madame M. F. B., en sa qualité de mandataire général de monsieur B. B. en vertu du mandat extra-judiciaire par acte notarié du 7 décembre 2016, dressé par le notaire M. H., notaire associé à la résidence de ..., lequel acte a été enregistré au registre central des contrats de mandat le 19 décembre 2016 (voy. pièces 4 et 5 jointes au pourvoi),
Demandeur en cassation
Assisté et représenté par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de Cassation, dont les bureaux sont établis à 1000 Bruxelles, rue de la Montagne 11, où il est fait élection de domicile ;
Contre : L'ETAT BELGE, représenté par le Ministre de la Justice, dont le cabinet est établi à 1000 Bruxelles, Boulevard de Waterloo 115;
Défendeur en cassation
* *
*
A Messieurs les Premier Président et Présidents, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation,
Mesdames,
Messieurs,
Le demandeur en cassation a l'honneur de soumettre à votre censure l'arrêt rendu contradictoirement entre parties et prononcé le 29 septembre 2016, par la 18ième chambre F affaires civiles de la cour d'appel de Bruxelles (R.G. n° 2012/AR/2062).
ANTÉCÉDENTS
1. La cour d'appel expose le cadre factuel et les antécédents de procédure aux pages 2 à 8 n° I. et II de l'arrêt entrepris. Le demandeur s'en réfère à cet exposé, qui est considéré ici comme reproduit, et dont les éléments pertinents peuvent être résumés comme suit.
Par le jugement dont appel, prononcé le 20 avril 2012, le tribunal de première instance de Bruxelles déclare la demande du demandeur contre le défendeur partiellement fondée et condamne le défendeur à payer au demandeur une indemnité de 100.000EUR à titre de dommage moral, à augmenter des intérêts et des dépens.
Le défendeur a formé appel principal et le demandeur a formé appel incident de ce jugement.
Dans l'arrêt entrepris la cour d'appel déclare l'appel incident du demandeur irrecevable et, en ce qui concerne l'appel principal, ordonne la réouverture des débats et dit que pour les suites de la procédure, le demandeur devra être représenté par un administrateur provisoire régulièrement désigné ayant reçu le pouvoir de le représenter et d'assurer la défense des intérêts du demandeur dans le cadre de la présente procédure.
Le demandeur invoque le moyen de cassation suivant contre cette décision.
2. Le demandeur, né le ..., a usé de la faculté prévue à l'article 490 du Code civil et a constitué sa sœur cadette, madame M. F. B., pour mandataire général en vertu d'un mandat extra-judiciaire par acte notarié du 7 décembre 2016, dressé par le notaire M. H., notaire associé à la résidence de ..., lequel acte a été enregistré au registre central des contrats de mandat le 19 décembre 2016 (voy. pièces 4 et 5 jointes au pourvoi). Ce mandat stipule entre autres que le demandeur a déclaré donner pouvoir à madame M. F. B. de se pourvoir en cassation pour le demandeur et en son nom (voy. pièce 4, p. 1, au milieu, p. 3, 5e tiret).
Ledit mandat extra-judiciaire ne rend pas le demandeur incapable pour ester en justice .
Sous réserve expresse de se pourvoir en cassation contre l'arrêt entrepris, le demandeur et sa sœur madame B. ont déposé le 3 novembre 2016 une requête, datée du 31 octobre 2016, devant monsieur le Juge de Paix d'Uccle, soit le juge du lieu de la résidence du demandeur, sur pied de l'article 492/1, § 2, du Code civil. Par ordonnance du 14 décembre 2016 (16B1872) (pièce 6 jointe au pourvoi) le Juge de Paix a déclaré cette demande non fondée aux motifs suivants :
Attendu que [le demandeur] a passé en date du 7 décembre 2016 devant le notaire M. H., de résidence à ... un acte instituant Madame M.-F. B. en qualité de mandataire général, acte précisant qu'elle peut représenter le demandeur dans les litiges pendants devant la Cour d'Appel de Bruxelles (RG 2012/AR/2062 - 2014/AR/1105) ;
Que Nous estimons que les conditions de la loi du 17 mars 2013 ne sont nullement remplies, l'incapacité [du demandeur] de parler n'affectant en rien ses capacités intellectuelles et qu'une mesure tendant à déclarer [le demandeur] incapable de gérer ses biens et / ou sa personne ne peut donc être prononcée ».
MOYEN DE CASSATION
Dispositions légales violées:
les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée ;
les articles 488, 488bis a) à 488bis k), 490 à 501/2, 1108, al. 1 et 2, 1123, 1124, 1125, 1319, 1320, 1322, 1349 et 1353 du Code civil, les articles 488bis a) à 488bis k), tels que d'application avant leur abrogation par la loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d'incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine (art. 27) entrée en vigueur le 1er septembre 2014 ;
les articles 17, 440, al. 2, 594, 16°, 742, al. 1, 1054, al. 1, 1056, 4°, et 1238 à 1253/1 du Code judiciaire, l'article 594, 16°, dans ses deux versions, soit telle que d'application avant sa modification et telle que d'application après sa modification par la loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d'incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine (art. 155) entrée en vigueur le 1er septembre 2014.
Décision attaquée:
L'arrêt entrepris :
- dit irrecevables l'appel incident et toutes les demandes formés pour le demandeur par les conclusions déposées le 27 mars 2014 ;
- ordonne la réouverture des débats aux fins précisées sous le point 19 du présent arrêt ;
- dit que pour les suites de la procédure, le demandeur devra être représenté par un administrateur provisoire régulièrement désigné ayant reçu le pouvoir de représenter et d'assurer la défense des intérêts du demandeur dans le cadre de la présente procédure ;
- réserve à statuer pour le surplus des questions non tranchées ;
- fixe la cause à l'audience du 19 janvier 2017 à 9 heures pour 10' en date relais afin de déterminer le cas échéant un nouveau calendrier d'échange de conclusions avec le ou les conseils désignés par l'administrateur provisoire et celui du défendeur sur la recevabilité et le bien-fondé de l'appel principal.
Cette décision est fondée sur les motifs suivants de l'arrêt entrepris (p. 6 à 12):
« II. Antécédents de procédure
8.
Le 8 mars 1983, le [demandeur] cite [le défendeur] devant le tribunal de première instance de Bruxelles.
Il invoque deux fautes [...]
Il réclame en citation la condamnation [du défendeur] à lui payer une indemnité de 100.000.000Bef [ou 2.478.935,25EUR] augmentée des intérêts judiciaires et des dépens. Il demande également au premier juge d'ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois journaux belges et dans un journal français, au choix [du demandeur] et aux frais [de défendeur].
9.
Un premier jugement contradictoire du 15 septembre 1995 déclare cette demande recevable et sursoit à statuer [...].
10.
Le 9 septembre 2011, après son acquittement définitif par la cour d'appel de Mons par un arrêt du 12 mai 2000, [le demandeur] dépose de nouvelles conclusions qui invoquent des nouveaux faits et forment des demandes additionnelles. Il demande, outre la réparation d'un préjudice moral par une indemnité de 1.000.000.000 d'euros [sic ; lire : 1.000.000EUR], l'indemnisation de préjudices matériels consistant dans une perte de revenus professionnels pour privation d'activités normales pendant 24 années (4.800.000 euros), une perte de droits à la pension (845.345 euros) et des frais de défense (250.000 euros)[...]
[...]
11.
Le jugement entrepris du 20 avril 2012 décide que (i) la perte de revenus professionnels n'est étayée par aucune pièce de nature à conforter les dires [du demandeur], (ii) la perte de pension repose sur un calcul purement hypothétique et que (iii) [le demandeur] ne détaille et ne démontre ni la réalité, ni le montant des frais de défense invoqués.
[...]
Le premier juge alloue [au défendeur] une indemnité de 100.000 euros à titre de dommage moral, avec les intérêts judiciaires et les dépens, l'indemnité de procédure étant liquidée à 6.600 euros dans le chef [du demandeur].
La publication du jugement n'est pas ordonnée.
III. Demandes formées devant la cour [d'appel]
12
[Le défendeur], appelant au principal, demande de ‘dire son appel principal et fondé' et l'appel incident [du défendeur] irrecevable ou à tout le moins non fondé et de condamner [le demandeur] aux dépens des deux instances en liquidant l'indemnité de procédure de chaque instance à 33.000 euros.
Selon la requête d'appel, il précise qu'il y a lieu de dire la demande originaire [du défendeur] recevable mais non fondée.
13.
Les conclusions déposées pour [le demandeur] invoquent l'absence de fondement de l'appel principal et forment appel incident demandant à la cour [d'appel] de :
‘Dire pour droit qu'il résulte de l'ensemble des éléments de fait et de droit exposés en termes de présentes conclusions qui doivent être examinées et réparées toutes les conséquences de la note totalement fausse et diffamatoire de le Sûreté de l'Etat telle que publiée en mai 1981 par De Morgen qui apparaissent en lien étroit avec elle ;
Dire pour droit qu'il résulte de la somme considérable des dysfonctionnements répétés survenus dans les poursuites répressives entreprises contre [le demandeur] qu'est établi un lien étroit entre cette note et la manière dont ont souvent été menées ces poursuites ;
Condamner [le défendeur], intimé sur incident, à payer au [demandeur] :
- La somme de 4.800.000 euros avec les intérêts judiciaires ou compensatoires au taux légal (selon le détail mentionné dans le dispositif de ses conclusions) ;
- La somme de 845.345 euros avec les intérêts judiciaires depuis la date de dépôt des conclusions du 31 décembre 2004 pour perte de pension ;
- La somme de 250.000 euros pour frais de défense avec les intérêts judiciaires depuis la citation ;
- La somme de 1.000.000 euros à titre de dommage moral, avec les intérêts judiciaires depuis la citation ;
- Subsidiairement, condamner [le défendeur] à payer au [demandeur] la somme de 2.000.000 euros à titre de dommage matériel et moral confondus avec les intérêts au taux légal depuis la citation'
La capitalisation des intérêts et la condamnation [du défendeur] aux dépens sont également demandées, en liquidant l'indemnité de procédure pour la première instance à 30.000 euros et l'indemnité d'appel à 33.000 euros.
IV. Discussion
IV.1. Sur la recevabilité de l'appel incident
14.
A titre liminaire [le défendeur] excipe de l'irrecevabilité de l'appel incident et subsidiairement il demande la désignation d'un représentant pour [le demandeur] sur pied de l'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire.
Il soutient en effet que [le demandeur] a été victime d'un grave accident cardio-vasculaire et souffre d'une limitation de ses possibilités de s'exprimer en s'interrogeant sur l'aptitude [du défendeur] à exercer son droit d'ester en justice en formant appel incident contre le jugement entrepris.
15.
Il n'est pas contesté que [le demandeur] a subi un accident vasculaire cérébral sévère le 10 octobre 2008 ayant entraîné une hémiplégie droite et une aphasie sévère.
Le 28 avril 2009, le docteur P. rapporte que ‘A l'heure actuelle [le demandeur] présente un handicap sévère de la communication, expression orale et écrites absentes, compréhension limitée.
Devant l'ensemble de ces informations, nous pouvons admettre que [le demandeur] n'est pas apte à suivre et comprendre le déroulement d'une procédure pénale. Les différents symptômes présentés devraient s'atténuer, au moins en partie, dans les mois et les années à venir dans le cadre d'un processus de rééducation. Néanmoins, il conservera de lourdes séquelles, tant sur le plan moteur que sur le plan mental'.
Deux ans plus tard, en mars 2011, [le demandeur] reçoit la visite du docteur L. selon qui :
‘Je me suis présenté et ai fait part de l'objet de ma mission d'expertise.
L'intéressé a fait mine de comprendre. Aux différentes questions que nous lui avons posées, il n'a, dans un premier temps, pas répondu et ensuite a uniquement répondu par ‘ah oui' et ‘non'.
Dans la mesure où l'intéressé a pu bien comprendre nos questions, il appert qu'il serait capable de suivre un film à la télévision, de suivre les actualités, de lire, de rencontrer les membres de sa famille. Nous avons tenu notre bic à l'intéressé en lui demandant d'écrire son nom. Il n'a pas réagi. Nous lui avons demandé s'il présentait des difficultés pour se faire comprendre, il a finalement répondu ‘ah oui'. (...) Il est resté mutique tout au long de notre examen médical. A la fin de notre examen médical, nous avons demandé à l'intéressé s'il désirait nous dire quelque chose. Après plusieurs secondes, l'intéressé a répondu ‘oui' sans plus'.
Dans son rapport médico-légal de mars 2011 destiné au Parquet général, le docteur S. conclut :
‘Les données de notre examen médical [du demandeur] le 07/03/2011 rendent compte d'une hémiplégie droite avec immobilisation du membre supérieur droit et du membre inférieur droit. L'intéressé se déplace en chaise roulante. Il présente en outre un handicap sévère de la communication avec expression écrite absente et expression orale très limitée.
Les limitations de ses expressions orale et écrite rendent l'estimation de sa compréhension difficile.
Les données de notre examen médical correspondent à celles décrites par le docteur P. dans son rapport du 30/04/2009 et confirment les informations médicales recueillies après du Docteur L. Y., médecin traitant actuel de l'intéressé qui nous a signalé que la situation médicale n'évoluait pas.
De l'ensemble des informations médicales recueillies, il y a lieu de considérer que [le demandeur] n'est pas apte à suivre le déroulement d'une procédure pénale et ce de façon définitive.
L'intéressé ne présente pas un état de démence ou un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale au sens médical du terme mais bien les séquelles médicales d'un accident vasculaire cérébral ayant entraîné une hémiplégie droite et une aphasie sévère' (farde XXXVII du dossier [du demandeur].
16.
Il est ainsi avéré que, déjà pendant le cours de la première instance, [le demandeur] a perdu la capacité de suivre le déroulement de la procédure et que, nonobstant cette circonstance, des conclusions ont été déposées en son nom devant le premier juge en septembre 2011.
C'est dans les mêmes conditions qu'un appel incident a été formé en son nom devant la cour d'appel par des conclusions déposées le 27 mars 2014.
17.
Les actes émanant d'une personne qui n'est pas incapable sont présumés jusqu'à preuve du contraire émaner d'une personne saine d'esprit et maintiennent leurs effets tant que le vice dont ils sont affectés au moment de leur accomplissement n'a pas été prouvé (voir P. Marchal, Les incapables majeurs, Répertoire notarial, t. I, I.VIII, éd. 1998, n° S 3, 4 et 15 ; Cass., 5 février 1998, et conclusions M.P., G. de Leval, Eléments de procédure civile, Larcier, 2005, 2ème édition, p. 33).
En l'espèce, il est démontré que [le demandeur] n'est plus apte à suivre le cours de la procédure depuis avril 2008 et qu'il n'avait dès lors pas la capacité de former appel incident du jugement.
18.
Le Code judiciaire ne précise pas la sanction qui s'attache à ce vice lorsqu'il est démontré. Ainsi que l'indique [le défendeur], la doctrine est divisée entre l'irrecevabilité de l'action et la désignation d'un représentant.
Il n'est cependant pas douteux que l'introduction d'une action en justice constitue un acte juridique qui, comme tout acte juridique requiert pour sa validité la volonté d'obtenir des effets juridiques.
Compte tenu de son état physique tel que décrit par trois médecins, il y a lieu de constater que [le défendeur] ne pouvait valablement former appel incident du jugement entrepris.
Son appel incident est dès lors irrecevable (en ce sens, Cass., 5 février 1998, Pas., I, 1998, p. 180 ; voir également Closset-Marchal, ‘Exceptions de nullité, fins de non-recevoir et violation des règles touchant à l'organisation judiciaire' note sous Cass., 27 mai 1994, R.C.J.B., 1995, p. 648, et les références citées ; contra : H. Boularbah, ‘La double dimension de la qualité, condition de l'action et condition de la demande en justice », R.G.D.C. 1997, p. 58 selon qui seule une exception dilatoire peut être soulevée jusqu'à ce que l'incapable soit représenté par un mandataire disposant de la capacité requise).
IV.2. Sur les suites de la procédure
19.
[Le demandeur] n'invoque pas l'irrecevabilité de l'appel principal dirigé à son encontre.
Cependant, compte tenu du défaut de capacité dans son chef au moment où l'appel principal a été interjeté, la cour [d'appel] ordonne la réouverture des débats afin que les parties en débattent.
Tant pour cette discussion que pour celle sur le bien-fondé de l'appel principal, il est requis que [le demandeur] soit représenté par un administrateur provisoire régulièrement désigné et ayant reçu le pouvoir de représenter et d'assurer la défense des intérêts [du demandeur] dans le cadre de la présente procédure ».
Griefs
1. Il ressort en l'occurrence du dossier de la procédure de la cour d'appel, auquel votre Cour peut avoir égard, et de l'arrêt entrepris :
- que le 8 mars 1983 le demandeur a cité le défendeur devant le tribunal de première instance de Bruxelles ;
- que par le jugement prononcé le 20 avril 2012, le tribunal déclare la demande du demandeur partiellement fondée et condamne le défendeur à payer au demandeur une indemnité de 100.000EUR à titre de dommage moral, à augmenter des intérêts et des dépens ;
- que le défendeur a formé appel principal par requête d'appel déposée le 24 juillet 2012 (arrêt entrepris, p. 2, au milieu, p. 8, n° 12);
- que le demandeur a formé appel incident par des conclusions déposées au greffe de la cour d'appel le 29 janvier 2013 (dossier de la procédure de la cour d'appel, n° 8), qu'il a confirmé son appel incident dans ses conclusions additionnelles et de synthèse déposées le 25 septembre 2013 (ibid., n° 10) et dans ses secondes conclusions additionnelles et de synthèse déposées le 27 mars 2014 (ibid., n° 12) (arrêt entrepris, p. 8, n° 13);
- que le défendeur, s'interrogeant sur l'aptitude du demandeur à exercer son droit d'ester en justice en formant appel incident contre le jugement entrepris, excipe de l'irrecevabilité de l'appel incident et demande subsidiairement la désignation d'un représentant pour le demandeur sur pied de l'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire (arrêt entrepris, p. 9, n° 14) ;
- que dans ses dernières conclusions déposées devant la cour d'appel le demandeur conteste ce moyen du défendeur, soulève qu'il n'est nullement incapable, qu'une prétendue incapacité n'est pas une cause d'irrecevabilité de l'action mais n'est sanctionnée que par une exception dilatoire et le demandeur conclut que son appel incident est recevable (secondes conclusions additionnelles et de synthèse, déposées le 27 mars 2014, p. 99 - 100, n° 9, p. 125 ; dossier de la procédure de la cour d'appel, n° 12) ;
- que maître J. M. et maître J. P. étaient les avocats du demandeur dans la procédure devant la cour d'appel (dossier de la procédure de la cour d'appel, n° 8, 10 et 12).
Première branche
2. Les dispositions légales suivantes sont d'application en l'espèce.
L'article 488 du Code civil dispose : « La majorité est fixée à dix-huit ans accomplis; à cet âge, on est capable de tous les actes de la vie civile ». En vertu de l'article 1123 du Code civil toute personne peut contracter, si elle n'en est pas déclarée incapable par la loi.
La procédure d'appel couvre la période du 24 juillet 2012, date de l'appel principal, au 29 septembre 2016, date de l'arrêt entrepris (voy. ci-dessus n°1). Il y a dès lors lieu de tenir compte en l'espèce de la loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d'incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine, entrée en vigueur le 1er septembre 2014 (ci-après : la loi du 17 mars 2013).
Pour la période avant le 1er septembre 2014, les articles 488bis a) à 488bis k) du Code civil, dans leur version telle que d'application avant leur abrogation par la loi du 17 mars 2013, sont d'application pour le majeur qui, en raison de son état de santé, est totalement ou partiellement hors d'état de gérer ses biens. Il suit de ces articles ainsi que de l'article 594, 16°, du Code judiciaire, dans sa version telle que d'application avant sa modification par ladite loi du 17 mars 2013, que toute demande en application des articles 488bis a) à 488bis k) du Code civil ressort de la compétence spéciale du juge de paix. Il suit en outre desdits articles 488bis a) à 488bis k) que la procédure spéciale prescrite par ces articles est à respecter et qu'entre autres, sous peine d'irrecevabilité, est à joindre à la requête, sauf urgence, un certificat médical circonstancié, ne datant pas de plus de quinze jours, décrivant l'état de santé de la personne à protéger et, si le motif d'urgence est avéré, le juge de paix demande, dans les huit jours à dater de la réception de la requête, que le requérant lui fournisse un certificat circonstancié qui entre autres ne date pas de plus de quinze jours (art. 488bis b), §6). Le juge de paix désigne un administrateur provisoire par ordonnance motivée (art. 488bis c), §1er) et définit l'étendue des pouvoirs de l'administrateur provisoire (art. 488bis f), §2).
Pour la période à partir du 1er septembre 2014 la protection du majeur qui, en raison de son état de santé, est totalement ou partiellement hors d'état d'assumer lui-même, comme il se doit, sans assistance ou autre mesure de protection, la gestion de ses intérêts patrimoniaux, est réglée par les articles 488/1 et 489 à 502 du Code civil. Soit cette personne accorde un mandat dans le cadre de la protection extrajudiciaire (art. 489 à 490/2 C.c), soit le juge de paix ordonne une mesure de protection dans le cadre de la protection judiciaire (art. 491 à 492/5 C.c.). Il suit de l'article 594, 16°, du Code judiciaire, que toute demande en application des articles 490 à 501/2 du Code civil ressort de la compétence spéciale du juge de paix. La procédure est prescrite par les articles 1238 à 1253/1 du Code judiciaire. L'article 1241 du Code judiciaire prescrit entre autres, dans le cadre de la protection judiciaire, que sous peine d'irrecevabilité est à joindre à la requête, sauf urgence, un certificat médical circonstancié, ne datant pas de plus de quinze jours, décrivant l'état de santé de la personne à protéger et, si le motif d'urgence est avéré, le juge de paix demande, dans les huit jours à dater de la réception de la requête, que le requérant lui fournisse un certificat circonstancié qui entre autres ne date pas de plus de quinze jours. Dans le cadre de la protection judiciaire (art. 492/1, §2, al. 3, et 7°) le juge de paix se prononce dans son ordonnance expressément sur la capacité de la personne protégée d'ester en justice en demandant ou en défendant.
Premier rameau de la première branche
3. Il suit de ce qui précède (n° 1 et 2) qu'en l'occurrence la cour d'appel n'était pas compétente pour décider :
(1) que le demandeur n'avait pas la capacité de former un appel incident du jugement par des conclusions déposées le 27 mars 2014 (arrêt entrepris, p. 11, n° 17);
(2) qu'il y avait un défaut de capacité dans le chef du demandeur au moment où l'appel principal a été interjeté le 24 juillet 2012 (arrêt entrepris, p. 12, n° 19) ;
(3) que pour les suites de la procédure, le demandeur devra être représenté par un administrateur provisoire régulièrement désigné ayant reçu le pouvoir de représenter et d'assurer la défense des intérêts du demandeur dans le cadre de la présente procédure (ibid. et p. 13, dispositif).
En décidant de la sorte, alors qu'elle n'était pas compétente pour ce faire, la cour d'appel viole les dispositions précitées (n° 2) des articles 594, 16°, du Code judiciaire, dans sa version telle que d'application avant sa modification par ladite loi du 17 mars 2013, et des articles 488bis a) à 488bis k), notamment 488bis b) à 488bis h) du Code civil, dans la version telle que d'application avant leur abrogation par ladite loi du 17 mars 2013, d'où il suit que seul le juge de paix est compétent pour décider (1) si une personne a ou n'a pas la capacité d'ester en justice en demandant ou en défendant et (2) si une personne doit être représentée par un administrateur provisoire régulièrement désigné ayant reçu le pouvoir de représenter et d'assurer la défense des intérêts de la personne dans le cadre d'une procédure judiciaire.
En décidant de la sorte dans l'arrêt entrepris du 29 septembre 2016 alors qu'elle n'était pas compétente pour ce faire, la cour d'appel, viole les dispositions précitées (n° 2) des articles:
- 594, 16°, du Code judiciaire, 488/1 et 489 à 502 notamment 492/1, §2, al. 3, 7°, du Code civil, tels qu'en vigueur à partir du 1er septembre 2014, d'où il suit que seul le juge de paix est compétent pour décider (1) si une personne a ou n'a pas la capacité d'ester en justice en demandant ou en défendant et (2) si la personne doit être représentée par un administrateur provisoire régulièrement désigné ayant reçu le pouvoir de représenter et d'assurer la défense des intérêts du demandeur dans le cadre de la présente procédure ;
- et l'article 490 du Code civil d'où il suit que la personne elle-même peut décider d'accorder un mandat spécial ou général dans le cadre d'une protection extrajudiciaire.
Conclusion : Les décisions attaquées au moyen, soit :
(1) que l'appel incident et toutes les demandes formées pour le demandeur par les conclusions déposées le 27 mars 2014 sont irrecevables ;
et :
(2) que pour les suites de la procédure, le demandeur devra être représenté par un administrateur provisoire régulièrement désigné ayant reçu le pouvoir de représenter et d'assurer la défense des intérêts du demandeur dans le cadre de la présente procédure ;
ne sont pas légalement justifiées (violation, comme précisée ci-dessus aux n° 2 et 3, des articles 594, 16°, C.jud. et 488bis a) à 488bis k), notamment 488bis b) à 488bis h) C.c, dans les versions susmentionnées en vigueur avant le 1er septembre 2014, et des articles 594, 16°, C.jud., 488/1 et 489 à 502, notamment 492/1, §2, al. 3, 7°, C.c., tels qu'en vigueur à partir du 1er septembre).
Deuxième rameau de la première branche
4. Il suit des dispositions légales citées ci-dessus (n° 2) que la capacité est la règle, que les personnes qui sont inaptes en raison de leur état de santé et qui n'ont fait l'objet d'aucune mesure légale de nature à réduire ou à supprimer leur capacité juridique conservent leur entière capacité.
En l'occurrence il ne ressort pas des actes de la procédure auxquels votre Cour peut avoir égard et notamment de l'arrêt entrepris que le demandeur aurait fait l'objet d'une mesure légale de nature à réduire ou à supprimer sa capacité.
La cour d'appel ne fonde pas sa décision sur une mesure légale de nature à réduire ou à supprimer la capacité du demandeur. Elle fonde sa décision que le demandeur n'avait pas la capacité de former appel incident du jugement (arrêt entrepris, p. 11, n° 17) et qu'il y avait un défaut de capacité dans le chef du demandeur au moment où l'appel principal a été interjeté le 24 juillet 2012 (arrêt entrepris, p. 12, n° 19), sur les circonstances suivantes:
- le demandeur a subi un accident vasculaire cérébral sévère le 10 octobre 2008 ayant entraîné une hémiplégie droite et une aphasie sévère (p. 9, n° 15);
- il est avéré que déjà pendant le cours de la première instance, le demandeur a perdu la capacité de suivre le déroulement de la procédure et que c'est dans les mêmes circonstances qu'un appel incident a été formé en son nom devant la cour d'appel par des conclusions déposées le 27 mars 2014 (p. 11, n° 16) ;
- en l'espèce, il est démontré que le demandeur n'est plus apte à suivre le cours de la procédure depuis avril 2008 (p. 11, n° 17, al. 2);
- compte tenu de son état physique tel que décrit par trois médecins, [respectivement le 28 avril 2009 et en mars 2011] il y a lieu de constater que le demandeur ne pouvait valablement former appel incident du jugement entrepris (p. 10 - 11, n° 15, p. 12, al. 1).
Ces circonstances ne constituent pas une mesure légale de nature à réduire ou à supprimer la capacité du demandeur. Elles ne justifient pas légalement les décisions attaquées au moyen que le demandeur n'avait pas la capacité de former appel incident du jugement (arrêt entrepris, p. 11, n° 17), que l'appel incident et toutes les demandes formées pour le demandeur par les conclusions déposées le 27 mars 2014 sont irrecevables (ibid., p. 12, dispositif), qu'il y avait un défaut de capacité dans le chef du demandeur au moment où l'appel principal a été interjeté (ibid., p. 12, n° 19) et que pour les suites de la procédure, le demandeur devra être représenté par un administrateur provisoire régulièrement désigné ayant reçu le pouvoir de représenter et d'assurer la défense des intérêts du demandeur dans le cadre de la présente procédure (ibid. et p. 13, dispositif).
En décidant ainsi la cour d'appel viole dès lors les articles 488 et 1123 du Code civil précités (n° 2).
Troisième rameau de la première branche
5. Il suit des articles 492/3 jo 492/1, §2, al. 3, 7°, du Code civil que l'ordonnance qui déclare la personne incapable d'ester en justice en demandant ou en défendant ne produit ses effets, suivant le cas, qu'à compter du dépôt de la requête visant à désigner un administrateur ou à compter de la publication de l'ordonnance au Moniteur Belge.
En décidant dans l'arrêt entrepris du 29 septembre 2016, avec effet rétroactif illégal, que le demandeur n'avait pas la capacité de former appel incident du jugement par des conclusions déposées le 27 mars 2014 (arrêt entrepris, p. 11, n° 16 et 17), que l'appel incident et toutes les demandes formées pour le demandeur par les conclusions déposées le 27 mars 2014 sont irrecevables (ibid., p. 12, dispositif) et qu'il y avait un défaut de capacité dans le chef du demandeur au moment où l'appel principal a été interjeté le 24 juillet 2012 (arrêt entrepris, p. 12, n° 19), la cour d'appel viole les articles 492/3 jo 492/1, §2, al. 3, 7°, du Code civil.
En décidant ainsi la cour d'appel viole, pour autant que de besoin, les articles 488bis i) jo 488bis e), du Code civil tel que d'application avant l'abrogation par la loi du 17 mars 2013, d'où il suit que l'ordonnance qui déclare la personne incapable d'ester en justice en demandant ou en défendant ne produit ses effets qu'à compter de la publication de l'ordonnance au Moniteur Belge ou de la notification de la décision par les soins du greffier aux personnes déterminées par le juge de paix.
Conclusion : Les décisions attaquées au moyen, soit :
(1) que l'appel incident et toutes les demandes formées pour le demandeur par les conclusions déposées le 27 mars 2014 sont irrecevables ;
et :
(2) que pour les suites de la procédure, le demandeur devra être représenté par un administrateur provisoire régulièrement désigné ayant reçu le pouvoir de représenter et d'assurer la défense des intérêts du demandeur dans le cadre de la présente procédure ;
ne sont pas légalement justifiées (violation, comme précisée ci-dessus au n° 5, des articles 492/3 jo 492/1, §2, al. 3, 7°, du Code civil et des articles 488bis i) jo 488bis e), du Code civil tels que d'application avant leur abrogation par la loi du 17 mars 2013).
Quatrième rameau de la première branche
6. L'article 1125 du Code civil dispose ce qui suit :
« Le mineur et la personne protégée en vertu de l'article 492/1 ne peuvent attaquer, pour cause d'incapacité, leurs engagements que dans les cas prévus par la loi.
Les personnes capables de s'engager ne peuvent opposer l'incapacité du mineur ou de la personne protégée en vertu de l'article 492/1 avec qui elles ont contracté ».
Dans sa version telle que d'application avant sa modification par la loi du 17 mars 2013 l'article 1125 du Code civil disposait ce qui suit :
« Le mineur et l'interdit ne peuvent attaquer, pour cause d'incapacité, leurs engagements que dans les cas prévus par la loi.
Les personnes capables de s'engager ne peuvent opposer l'incapacité du mineur ou de l'interdit avec qui elles ont contracté».
7. Aux termes de l'article 488bis i) du Code civil, telle que d'application avant son abrogation par ladite loi du 17 mars 2013, la nullité de tous les actes accomplis par la personne protégée en violation des dispositions prévues à l'article 488bis f), ne peut être demandée que par la personne protégée ou son administrateur provisoire.
Aux termes de l'article 493, §2, al. 2 et §3, du Code civil, tel que d'application depuis le 1er septembre 2014, la nullité des actes accomplis par la personne protégée en violation de son incapacité à l'égard de ses biens, établie conformément à l'article 492/1, §2, ne peut être invoquée que par la personne protégée et son administrateur et la nullité peut être couverte par l'administrateur dans les conditions prévues.
Il suit des dispositions précitées (ci-dessus au n° 6) que la nullité est relative.
8. L'article 17 du Code judiciaire dispose que l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former.
Le défaut de capacité est à distinguer du défaut de qualité. L'incapacité n'entraîne pas le défaut de qualité et n'est pas une cause d'irrecevabilité d'une action.
9. Il suit de ce qui précède (ci-dessus au n° 6) que l'incapacité n'est pas sanctionnée par l'irrecevabilité mais par une nullité relative ou tout au plus par une exception dilatoire afin de régulariser l'instance en faisant intervenir le représentant légal de l'incapable ou l'administrateur de la personne protégée.
La cour d'appel considère en l'occurrence que le défendeur excipe de l'irrecevabilité de l'appel incident du demandeur (arrêt entrepris, p. 9, n° 14) et que le demandeur n'invoque pas l'irrecevabilité de l'appel principal dirigé à son encontre (ibid, p. 12, n° 19). Il ressort des dernières conclusions du demandeur, auxquelles votre Cour peut avoir égard, que celui-ci conteste ce moyen du défendeur, soulève qu'il n'est nullement incapable, qu'il comprend tout ce qu'on lui dit et s'entretient particulièrement avec les membres de sa famille et avec ses avocats concernant le litige en cours et conclut que son appel incident est recevable (secondes conclusions additionnelles et de synthèse, déposées le 27 mars 2014, p. 99 - 100, n° 9, p. 125 ; dossier de la procédure de la cour d'appel, n° 12).
En décidant que l'appel incident et toutes les demandes formées pour le demandeur par les conclusions déposées le 27 mars 2014 sont irrecevables (arrêt entrepris, p. 12, dispositif), l'arrêt viole l'article 17 du Code judiciaire, d'où il suit que l'incapacité n'est pas une cause d'irrecevabilité d'une action, en l'occurrence de l'appel incident du demandeur, ainsi que les articles 488bis i) du Code civil, telle que d'application avant son abrogation par ladite loi du 17 mars 2013, l'article 493, §2, al. 2 et §3, du même code, entré en vigueur le 1er septembre 2014, et l'article 1125 du Code civil, dans ses deux versions précitées, d'où il suit que la nullité est relative, que l'incapacité n'est sanctionnée que par une exception dilatoire et non pas par l'irrecevabilité de l'action.
Deuxième branche
10. L'article 17 du Code judiciaire dispose que l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former.
En vertu de l'article 1108, al. 1 et 2, du Code civil le consentement de la partie qui s'oblige est une condition essentielle pour la validité d'une convention. Par analogie le consentement de la partie est une condition essentielle pour la validité d'un acte juridique et par extension pour former appel incident. Un acte juridique valable requiert donc la volonté d'obtenir des effets juridiques.
11. La cour d'appel considère d'abord que le demandeur a subi un accident vasculaire cérébral sévère le 10 octobre 2008 ayant entraîné une hémiplégie droite et une aphasie sévère (p. 9, n° 15);
La cour d'appel considère ensuite :
« Le 28 avril 2009, le docteur P. rapporte que ‘A l'heure actuelle [le demandeur] présente un handicap sévère de la communication, expression orale et écrites absentes, compréhension limitée.
Devant l'ensemble de ces informations, nous pouvons admettre que [le demandeur] n'est pas apte à suivre et comprendre le déroulement d'une procédure pénale. Les différents symptômes présentés devraient s'atténuer, au moins en partie, dans les mois et les années à venir dans le cadre d'un processus de rééducation. Néanmoins, il conservera de lourdes séquelles, tant sur le plan moteur que sur le plan mental'.
Deux ans plus tard, en mars 2011, [le demandeur] reçoit la visite du docteur L. selon qui :
‘Je me suis présenté et ai fait part de l'objet de ma mission d'expertise.
L'intéressé a fait mine de comprendre. Aux différentes questions que nous lui avons posées, il n'a, dans un premier temps, pas répondu et ensuite a uniquement répondu par ‘ah oui' et ‘non'.
Dans la mesure où l'intéressé a pu bien comprendre nos questions, il appert qu'il serait capable de suivre un film à la télévision, de suivre les actualités, de lire, de rencontrer les membres de sa famille. Nous avons tenu notre bic à l'intéressé en lui demandant d'écrire son nom. Il n'a pas réagi. Nous lui avons demandé s'il présentait des difficultés pour se faire comprendre, il a finalement répondu ‘ah oui'. (...) Il est resté mutique tout au long de notre examen médical. A la fin de notre examen médical, nous avons demandé à l'intéressé s'il désirait nous dire quelque chose. Après plusieurs secondes, l'intéressé a répondu ‘oui' sans plus'.
Dans son rapport médico-légal de mars 2011 destiné au Parquet général, le docteur S. conclut :
‘Les données de notre examen médical [du demandeur] le 07/03/2011 rendent compte d'une hémiplégie droite avec immobilisation du membre supérieur droit et du membre inférieur droit. L'intéressé se déplace en chaise roulante. Il présente en outre un handicap sévère de la communication avec expression écrite absente et expression orale très limitée.
Les limitations de ses expressions orale et écrite rendent l'estimation de sa compréhension difficile.
Les données de notre examen médical correspondent à celles décrites par le docteur P. dans son rapport du 30/04/2009 et confirment les informations médicales recueillies après du Docteur L. Y., médecin traitant actuel de l'intéressé qui nous a signalé que la situation médicale n'évoluait pas.
De l'ensemble des informations médicales recueillies, il y a lieu de considérer que [le demandeur] n'est pas apte à suivre le déroulement d'une procédure pénale et ce de façon définitive.
L'intéressé ne présente pas un état de démence ou un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale au sens médical du terme mais bien les séquelles médicales d'un accident vasculaire cérébral ayant entraîné une hémiplégie droite et une aphasie sévère' (farde XXXVII du dossier [du demandeur].
Premier rameau de la deuxième branche
12. Les articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil obligent le juge à respecter la foi due aux actes. Le juge qui donne d'un acte une interprétation inconciliable avec ses termes viole la foi qui lui est due. En d'autres termes : viole la foi due à un acte le juge qui décide que l'acte contient une affirmation qui ne s'y trouve pas ou qu'elle ne contient pas une affirmation qui y figure.
Il ressort du rapport du docteur S. du 10 mars 2011 (pièce 2 jointe au pourvoi) que le docteur S. expose dans ce rapport « Je soussigné, M.A. S., docteur en médecine » (p. 1, al. 1) et déclare ensuite:
« Je me suis présenté et ai fait part de l'objet de ma mission d'expertise.
L'intéressé a fait mine de comprendre.
Aux différentes questions que nous lui avons posées, il n'a, dans un premier temps, pas répondu et ensuite a uniquement répondu par ‘ah oui' et ‘non'.
Dans la mesure où l'intéressé a pu bien comprendre nos questions, il appert qu'il serait capable de suivre un film à la télévision, de suivre les actualités, de lire, de rencontrer les membres de sa famille.
Nous avons tenu notre bic à l'intéressé en lui demandant d'écrire son nom. Il n'a pas réagi.
Nous lui avons demandé s'il présentait des difficultés pour se faire comprendre, il a finalement répondu ‘ah oui' » (p. 3, rubrique « III. ANAMNESE ») ;
et :
« Il est resté mutique tout au long de notre examen médical. A la fin de notre examen médical, nous avons demandé à l'intéressé s'il désirait nous dire quelque chose. Après plusieurs secondes, l'intéressé a répondu ‘oui' sans plus' » (p. 3, in fine, p. 4, al. 1, rubrique « IV. EXAMEN CLINIQUE »).
En décidant que c'est le docteur L. qui a fait cette déclaration (arrêt entrepris, p. 10, al. 2) alors qu'elle est faite par le docteur S. dans son rapport, la cour d'appel viole la foi due à ce rapport du docteur S. ainsi que les articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil.
Il ressort du rapport du docteur L. (pièce 3 jointe au pourvoi) qu'il n'a pas fait cette déclaration. En décidant que c'est le docteur L. qui a fait cette déclaration alors qu'elle n'est pas faite par le docteur L., la cour d'appel viole la foi due à ce rapport ainsi que les articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil.
Deuxième rameau de la deuxième branche
13. Le rapport d'expertise médico-légale d'avril 2009 du docteur P. (pièce 1 jointe au pourvoi) contient entre autres les mentions suivantes :
« Je soussignée, M. P., docteur en médecine, médecin légiste à Bruxelles, requise le 04/03/2009 par Monsieur J.-M. M., Substitut du Procureur du Roi à Bruxelles, aux fins,
- De procéder à l'examen médical [du demandeur] [...]
- De décrire au mieux les lésions encourues par [le demandeur] et les perspectives d'évolution de son état médical à court, moyen et long terme, en particulier concernant conséquences sur les capacités cognitives et mentales de l'intéressé et sur son aptitude à suivre et à comprendre le déroulement d'une procédure pénale » (p. 1)
[...]
« Le 28/04/2009, je me suis rendue à la Clinque [...] aux fins d'y procéder à l'examen [du demandeur] » (p. 3, al. 1)
[...]
« Devant l'ensemble de ces informations, nous pouvons admettre que [le demandeur] n'est pas apte à suivre et comprendre le déroulement d'une procédure pénale » (p. 3, « Conclusion », al. 3).
Le rapport médico-légal de mars 2011 du docteur S. (pièce 2 jointe au pourvoi) contient entre autres les mentions suivantes :
«Je soussigné, M.A. S., docteur en médecine, médecin légiste à Bruxelles, requis le 4/02/2011 par Monsieur N.d.B., procureur général près de la cour d'appel de Bruxelles
[..]
- de procéder à l'examen [du demandeur] [...] ;
- de décrire les blessures et/ou lésions dont il est atteint et les perspectives d'évolution de son état médical à court, moyen et long termes, en particulier concernant ses conséquences sur les capacités cognitives et mentales [du demandeur] et sur son aptitude à suivre et comprendre le déroulement d'une procédure pénale » (p. 1)
[...]
«De l'ensemble des informations médicales recueillies, il y a lieu de considérer que [le demandeur] n'est pas apte à suivre et comprendre le déroulement d'une procédure pénale » (p. 5).
Ces rapports mentionnent donc qu'ils ont été rédigés sur réquisition du Ministère Public, soit le Substitut du Procureur du Roi et le Procureur Général, et qu'ils décrivent l'aptitude du demandeur à suivre et à comprendre le déroulement d'une procédure pénale. Ils ne décrivent pas l'aptitude du demandeur à suivre le déroulement de la procédure civile. La procédure pénale n'est en effet pas la procédure civile. Elle diffère de la procédure civile en ce sens que la procédure pénale est orale, avec instruction d'audience et la présence du prévenu à l'audience peut être ordonnée par le juge. En décidant sur la base desdits rapports qu'il est ainsi avéré que déjà pendant le cours de la première instance le demandeur a perdu la capacité de suivre le déroulement de la procédure (arrêt entrepris, p. 11, n° 16), soit de la présente procédure, qui est une procédure civile, la cour d'appel viole la foi due auxdits rapports et les articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil précités (ci-dessus, n° 12).
Troisième rameau de la deuxième branche
14. Aux termes de l'article 1349 du Code civil les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu.
L'article 1353 du même code dispose que les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol.
Il suit de ces articles que les présomptions constituent un mode de preuve d'un fait inconnu et que le juge ne peut admettre des présomptions qui ne sont point établies par la loi que lorsqu'elles lui apportent la certitude de l'existence du fait recherché qu'il déduit d'un fait connu.
Si le juge du fond constate souverainement l'existence des faits sur lesquels il fonde sa décision et que les conséquences qu'il déduit de ces éléments sont laissées aux lumières et à la prudence de ce juge, celui-ci ne peut méconnaître ni dénaturer la notion légale de présomption de l'homme, qui est soumise au contrôle de votre Cour. Votre Cour vérifie si le juge du fond n'a pas déduit des faits constatés par lui des conséquences sans aucun lien avec ces faits ou qui ne seraient susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification.
15. Une procédure pénale n'est pas une procédure civile. Elle diffère de la procédure civile en ce sens que la procédure pénale est orale, avec instruction d'audience et la présence du prévenu à l'audience peut être ordonnée par le juge.
Ni de la constatation que le demandeur a subi un accident vasculaire cérébral sévère le 10 octobre 2008 (arrêt entrepris p. 9, n° 15), ni des rapports des médecins de 2009 et de 2011 susmentionnés (ci-dessus aux n° 12 et 13) et cités par la cour d'appel dans l'arrêt entrepris (p. 10 - 11, n° 15), qui mentionnent que le demandeur n'est pas apte à suivre et comprendre le déroulement d'une procédure pénale, ni de l'ensemble de ces éléments, la cour d'appel n'a pu déduire, sans méconnaître la notion légale de présomption de l'homme :
- qu'il est ainsi avéré que déjà pendant le cours de la première instance, le demandeur a perdu la capacité de suivre le déroulement de la procédure, soit la présente procédure, qui est une procédure civile (arrêt entrepris, p. 11, n° 16) ;
- qu'en l'espèce il est démontré que le demandeur n'est plus apte à suivre le cours de la procédure depuis avril 2008 et qu'il n'avait dès lors pas la capacité de former appel incident du jugement par des conclusions déposées le 27 mars 2014 (ibid., n° 16 et 17) ;
- que compte tenu de son état physique tel que décrit par trois médecins, il y a lieu de constater que le demandeur ne pouvait valablement former appel incident du jugement entrepris (ibid, p. 12, al. 1) ;
- qu'il y avait un défaut de capacité dans le chef du demandeur au moment où l'appel principal a été interjeté, soit le 24 juillet 2012 (ibid., n° 19 et p. 2).
En décidant de la sorte la cour d'appel viole la notion légale de présomption de l'homme et les articles 1349 et 1353 du Code civil.
Conclusion 1er, 2e et 3e rameau de la deuxième branche: Les décisions attaquées au moyen, soit :
(1) que l'appel incident et toutes les demandes formées pour le demandeur par les conclusions déposées le 27 mars 2014 sont irrecevables ;
et :
(2) que pour les suites de la procédure, le demandeur devra être représenté par un administrateur provisoire régulièrement désigné ayant reçu le pouvoir de représenter et d'assurer la défense des intérêts du demandeur dans le cadre de la présente procédure ;
ne sont pas légalement justifiées (violation, comme précisée ci-dessus aux n° 10 à 15, des articles 1319, 1320, 1322, 1349 et 1353 du Code civil et de la notion légale de présomption de l'homme).
Quatrième rameau de la deuxième branche
16. Il ne ressort pas des considérations de la cour d'appel dans l'arrêt entrepris qu'il y avait un manque de consentement dans le chef du demandeur au sens de l'article 1108, al. 1 et 2 du Code civil susmentionné (ci-dessus au n° 10), c'est-à-dire que celui-ci ne disposait pas de la volonté d'obtenir des effets juridiques. Des éléments que la cour d'appel prend en considération dans l'arrêt entrepris il ne ressort pas que le demandeur ne disposait pas de la volonté d'obtenir des effets juridiques dans la présente procédure.
La cour d'appel décide sur la base de la circonstance que le demandeur a subi un accident vasculaire cérébral sévère le 10 octobre 2008 ayant entraîné une hémiplégie droite et une aphasie sévère (arrêt entrepris, p. 9, n° 15), et de l'état physique tel que décrit par trois médecins (ibid., p. 12, al. 1), que le demandeur ne pouvait valablement former appel incident du jugement entrepris, qu'il y avait un défaut de capacité dans le chef du demandeur au moment où l'appel principal a été interjeté (ibid., p. 12, n° 19) et que son appel incident et toutes les demandes formés pour le demandeur dans les conclusions déposées la 27 mars 2014 sont irrecevables (ibid. al. 2. et dispositif).
En décidant de la sorte la cour d'appel viole les articles 1108, al. 1 et 2, du Code civil et 17 du Code judiciaire susmentionnés (ci-dessus au n° 10).
Cinquième rameau de la deuxième branche
17. Dans sa version telle qu'en vigueur avant sa modification par la loi du 17 mars 2013, l'article 1125 du Code civil dispose ce qui suit :
« Le mineur et l'interdit ne peuvent attaquer, pour cause d'incapacité, leurs engagements que dans les cas prévus par la loi.
Les personnes capables de s'engager ne peuvent opposer l'incapacité du mineur ou de l'interdit avec qui elles ont contracté».
Dans sa version telle que d'application depuis le 1er septembre 2014, l'article 1125 du Code civil dispose ce qui suit :
« Le mineur et la personne protégée en vertu de l'article 492/1 ne peuvent attaquer, pour cause d'incapacité, leurs engagements que dans les cas prévus par la loi.
Les personnes capables de s'engager ne peuvent opposer l'incapacité du mineur ou de la personne protégée en vertu de l'article 492/1 avec qui elles ont contracté ».
Il suit de cet article dans ses deux versions ainsi que de l'articles 1108, al. 1 et 2, du Code civile précitée (ci-dessus au n° 10) que la nullité en vertu de défaut de consentement est relative.
Le défaut de consentement ou de volonté d'obtenir des effets juridiques est à distinguer du défaut de qualité. L'incapacité n'entraîne pas le défaut de qualité et n'est pas une cause d'irrecevabilité d'une action (art. 17 C.jud. précité ci-dessus au n° 10).
18. Il suit de ce qui précède (ci-dessus au n° 17) que le défaut de consentement ou de volonté d'obtenir des effets juridiques dans le chef d'une des parties à la procédure civile n'est pas sanctionnée par l'irrecevabilité mais par une nullité relative ou tout au plus par une exception dilatoire.
La cour d'appel considère en l'occurrence que le défendeur excipe de l'irrecevabilité de l'appel incident du demandeur (arrêt entrepris, p. 9, n° 14) et que le demandeur n'invoque pas l'irrecevabilité de l'appel principal dirigé à son encontre (ibid, p. 12, n° 19). Il ressort des dernières conclusions du demandeur, auxquelles votre Cour peut avoir égard, que celui-ci conteste ce moyen du défendeur, soulève qu'il n'est nullement incapable, conclut que son appel incident est recevable (secondes conclusions additionnelles et de synthèse, déposées le 27 mars 2014, p. 99 - 100, n° 9, p. 125 ; dossier de la procédure de la cour d'appel, n° 12).
En décidant que l'appel incident et toutes les demandes formées pour le demandeur par les conclusions déposées le 27 mars 2014 sont irrecevables (arrêt entrepris, p. 12, dispositif) et qu'il y avait un défaut de capacité dans le chef du demandeur au moment où l'appel principal a été interjeté (ibid. p. 12, n° 19), la cour d'appel viole l'article 17 du Code judiciaire ainsi que les articles 1108, al. 1 et 2, et 1125 du Code civil, ce dernier dans les deux versions précitées (ci-dessus au n° 17), d'où il suit que la nullité est relative et que le défaut de consentement ou de volonté d'obtenir des effets juridiques n'est pas sanctionné par l'irrecevabilité de l'action.
Troisième branche
19. Il suit de ce qui précède (n° 1) que les dispositions légales suivantes sont d'application en l'espèce.
En vertu de l'article 1054, al. 1, du Code judiciaire la partie intimée, en l'occurrence le demandeur, peut former incidemment appel à tout moment, contre toutes parties en cause devant le juge d'appel, en l'occurrence le défendeur. Aux termes de l'article 1056, 4°, du même Code l'appel est formé par conclusions à l'égard de toute partie présente ou représentée à la cause.
L'article 742, al. 1, du Code judiciaire prescrit que les parties déposent au greffe leurs conclusions. L'article 746 du même Code dispose que la remise des conclusions au greffe vaut signification.
L'article 440, al. 2, Code judiciaire dispose que l'avocat comparaît comme fondé de pouvoirs sans avoir à justifier d'aucune procuration, sauf lorsque la loi exige un mandat spécial.
20. Il ressort des actes de procédure auxquels votre Cour peut avoir égard, notamment les conclusions précitées (ci-dessus au n° 1) du demandeur et les procès-verbaux d'audience de la cour d'appel que les avocats du demandeur, soit maître J. M. et maître J. P., ont comparu pour le demandeur dans la procédure devant la cour d'appel. Il suit des dispositions précitées (ci-dessus au n° 19) que les avocats du demandeur, soit maître J. M. et maître J. P., comparaissaient en l'occurrence dans la procédure d'appel comme fondé de pouvoirs du demandeur. Ainsi ils pouvaient légalement déposer des conclusions pour le demandeur, défendre le demandeur dans le cadre de l'appel principal, former appel incident pour le demandeur et former des demandes pour lui.
La cour d'appel viole dès lors les articles 440, al. 2, 742, al. 1, 746, 1054, al. 1, et 1056, 4°, du Code judiciaire en décidant sur la base de l'état physique du demandeur tel que décrit par trois médecins (arrêt entrepris, p. 12, n° 18) :
- qu'il y a lieu de constater que le demandeur ne pouvait valablement former appel incident du jugement entrepris (ibid.);
- que le demandeur n'avait pas la capacité de former appel incident du jugement (arrêt entrepris, p. 11, n° 17) ;
- que l'appel incident et toutes les demandes formées pour le demandeur par les conclusions déposées le 27 mars 2014 sont irrecevables (ibid., p. 12, dispositif) ;
- qu'il y avait un défaut de capacité dans le chef du demandeur au moment où l'appel principal a été interjeté le 24 juillet 2012 (ibid., p. 12, n° 19) ;
- que pour les suites de la procédure, le demandeur devra être représenté par un administrateur provisoire régulièrement désigné ayant reçu le pouvoir de représenter et d'assurer la défense des intérêts du demandeur dans le cadre de la présente procédure (ibid. et p. 13, dispositif).
En mentionnant dans l'arrêt entrepris (p. 2) que le demandeur est « assisté » par maître M. J. et par maître P. J. et non pas que le demandeur est représenté par ses avocats, la cour d'appel viole en outre :
- l' article 440, al. 2, Code judiciaire ;
- la foi due aux conclusions précitées (ci-dessus, n° 1) du demandeur et aux procès-verbaux d'audience de la cour d'appel du 6 et 13 septembre 2012 et du 26 mai 2016, cités ci-après, qui font partie du dossier de la procédure et auxquels votre Cour peut avoir égard et qui mentionnent que maître J. M. et maître J. P. sont les avocats du demandeur, soit les représentants du demandeur (violation des articles 1319, 1320 et 1322 C.c).
Le procès-verbal de l'audience publique du 6 septembre 2012 de la 21e chambre de la cour d'appel mentionne: "Représentation des parties à l'audience : [...] Partie(s) intimée(s) :Me M N. loco Me M. J., avocat à ..., Me P. J., avocat à ..., conseils de B. B., intimé 1". Le procès-verbal de l'audience publique avec ordonnance en application de l'article 747 C.J. du 13 septembre 2012 de la 21e chambre de la cour d'appel contient les mêmes mentions. Le procès-verbal de l'audience publique du 26 mai 2016 (matin) de la chambre 18F de la cour d'appel mentionne: "Présent(s): [...] Partie(s) intimée(s): Me M. J., avocat à ..., Me P. J., avocat à ..., conseils de B. B., intimé, [...] Les avocats plaident". Le procès verbal de l'audience publique du 26 mai 2016 (après-midi) de la chambre 18F de la cour d'appel contient les mêmes mentions.
Quatrième branche
21. Aux termes de l'article 10 de la Constitution, il n'y a dans l'État aucune distinction d'ordres. Les Belges sont égaux devant la loi. L'article 11 de la Constitution dispose que la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination.
Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination, consacrées par ces articles excluent qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes qui se trouvent dans des situations comparables, si elle ne repose pas sur un critère objectif et si elle n'est pas raisonnablement justifiée.
La cour d'appel viole ces règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination et les articles 10, 11 de la Constitution ainsi que l'article 17 du Code judiciaire (susmentionné ci-dessus au n° 10) au détriment du demandeur en décidant que le prétendu défaut de capacité dans le chef du demandeur est sanctionné :
- d'une part par l'irrecevabilité de l'appel incident et toutes les demandes formés pour le demandeur par les conclusions déposées le 27 mars 2014 et non pas par une exception dilatoire (arrêt entrepris, p. 11 - 12, n° 18 et dispositif);
- d'autre part, en ce qui concerne l'appel principal du défendeur par la décision que pour les suites de la procédure, le demandeur devra être représenté par un administrateur provisoire régulièrement désigné ayant reçu le pouvoir de représenter et d'assurer la défense des intérêts du demandeur dans le cadre de la présente procédure (ibid., p. 12 - 13, n°19 et dispositif).
DÉVELOPPEMENTS
Première et deuxième branches
Le demandeur se réfère à la jurisprudence de votre Cour et à la doctrine suivantes.
Dans un arrêt du 5 février 1998 votre Cour juge comme suit :
« Attendu que l'introduction d'une action en justice constitue un acte juridique; qu'un acte juridique valable requiert la volonté d'obtenir des effets juridiques;
Attendu que, après avoir examiné toutes les pièces utiles en l'espèce ainsi que de l'instruction répressive, l'arrêt décide qu'à l'époque de la citation, A. D. C. n'était pas en état d'exprimer sa volonté, de manière libre et indépendante, ce qui constitue la condition de validité de tout acte juridique et judiciaire;
Qu'en décidant que la personne précitée ne pouvait introduire une action judiciaire valable, l'arrêt justifie légalement sa décision ».
Dans cet arrêt votre Cour ne s'exprime pas sur la recevabilité de l'action mais bien sur la validité de l'action et de la volonté de la partie, soit son état d'exprimer sa volonté, de manière libre et indépendante .
L'exception de nullité et la fin de non - recevoir doivent en effet être distinguées .
Madame VANLERSBERGHE écrit qu'il y a lieu de distinguer le défaut de qualité, qui est sanctionné par l'irrecevabilité, et le défaut de capacité civile, qui est sanctionné par la nullité .
Il y a en plus lieu de faire la distinction entre un incapable « légal » et un « incapable en fait », soit une personne qui n'est pas en état d'exprimer sa volonté, de manière libre et indépendante.
Madame CLOSSET - MARCHAL vise le cas d'un incapable « légal » étant donné qu'elle écrit que « La majorité de la doctrine et de la jurisprudence considère que le défendeur dispose d'une exception dilatoire pour contraindre le demandeur à régulariser l'instance en faisant intervenir son représentant » .
Monsieur MARCHAL enseigne entre autres ce qui suit :
« [...] l'incapacité [...] est toujours d'origine légale » (p. 79, n° 2, litt. b)) ;
« Principes. - La capacité étant la règle, les personnes qui sont inaptes en raison de leur état mental ou de leur prodigalité et qui n'ont fait l'objet d'aucune mesure légale de nature à réduire ou à supprimer leur capacité juridique conservent leur entière capacité. Elles administrent leurs biens et personne ne peut, en raison de leur état mental ou de leur dérèglement, agir en lieu et place, cet état et ce dérèglement étant, aux yeux de la loi, inexistants.
Valeur des actes accomplis par ces personnes. - Les actes des malades ou infirmes mentaux qui n'ont pas été déclarés incapables, sont valables et produisent leurs effets tant que le vice dont ils sont affectés n'a pas été prouvé. Ces actes sont présumés émaner d'une personne saine d'esprit. Ils demeurent tels, tant que leur auteur n'a pas été reconnu hors d'état de donner valablement son consentement au moment où ils ont été accomplis.
Annulations des actes. - L'annulation de ces actes ne peut être poursuivie qu'en se fondant sur le défaut de consentement, non sur le défaut de capacité. La preuve du défaut de consentement incombe au demandeur. Le défaut de consentement doit exister au moment même où l'acte est accompli. La preuve peut être faite par toutes voies de droit, témoignages et présomptions de l'homme compris » (p. 80 - 81, n° 3) ;
« La nullité dérivant de l'absence de consentement est une nullité relative, sauf en matière de mariage où elle est absolue » (p. 81, n° 4) ;
« Le malade ou l'infirme mental qui n'a fait l'objet d'aucune mesure de protection conserve, en droit, le pouvoir de gérer son patrimoine, alors que souvent son état l'empêche, en fait, de prévoir et d'accomplir les actes nécessaires à cet effet » (p. 82, n° 5) ;
« Le malade mental est capable tant qu'il n'a pas été interdit et ses actes ne peuvent être annulés que si l'on apporte la preuve, conformément au droit commun, qu'ils ont été faits alors qu'i n'était pas en état de donner un consentement valable » (p. 148, n° 102) ;
« 1° les malades ou infirmes mentaux qui ne bénéficient d'aucune mesure de protection.
Ils sont capables et soumis au droit commun. Pour obtenir l'annulation de leurs actes, il faut prouver à chaque fois, le défaut de consentement » (p. 87, n° 15) » ;
« Le jugement prononçant l'interdiction n'a pas d'effet rétroactif. Le malade mental est capable tant qu'il n'a pas été interdit et ses actes ne peuvent être annulés que si l'on apporte la preuve, conformément au droit commun, qu'ils ont été faits alors qu'il n'était pas en état de donner un consentement valable » (p. 148, n° 102).
Ces principes restent d'application après la loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d'incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine, entrée en vigueur le 1er septembre 2014.
Le demandeur se réfère encore à la doctrine suivante :
- de Monsieur FETTWEIS :
« S'il est exact qu'en principe le plaideur doit avoir la capacité d'exercice, c'est au niveau de la validité de l'instance que le problème se situe. Il peut en résulter une nullité de fond qui, en général, ne touche pas à l'ordre public. Ces problèmes sont étudiés en droit civil et en droit administratif.
Sans empiéter sur ces enseignements, on note qu'en règle, le défendeur à une procédure initiée par un incapable dispose d'une exception dilatoire pour contraindre le demandeur à régulariser l'instance en faisant intervenir son représentant légal.
L'intervention ultérieure d'un des parents régularise la procédure ; l'un des parents peut donner procuration à l'autre pour suivre celle-ci.
L'action intentée contre un mineur d'âge est nulle, mais il s'agit d'une nullité relative que seul ce dernier peut invoquer » .
- de Monsieur DE PAGE :
« Rappelons (voy. t. Ier, n° 81bis) que même en ce qui concerne les actes judiciaires (actions en justice), la nullité reste relative. Toutefois, le défendeur, assigné par un incapable agissant irrégulièrement, dispose d'une exception dilatoire, aux fins de contraindre son adversaire à régulariser la procédure. Par contre, si l'exception dilatoire n'a pas été soulevée, la nullité reste relative, et ne peut pas être invoquée ultérieurement par la personne contre laquelle l'incapable a agi » .
«L'article 1125, alinéa 2, du Code civil joue-t-il également en ce qui concerne les actes judiciaires, c'est-à-dire les actions en justice ? En d'autres termes, un tiers assigné par un incapable agissant irrégulièrement (...) doit-il, doit-il, par application du caractère relatif de cette nullité, subir sans protester une procédure manifestement irrégulière (dont la nullité peut être invoquée, par la suite, par ceux qui ont qualité pour ce faire), ou bien l'application de l'article 1125 doit-elle, d'une manière ou d'une autre, être tempérée en ce qui concerne les actes judiciaires , d'autant plus que, dans son texte, cet article parle de contrats ?[...] l'action en justice donne naissance au contrat judiciaire. [...]. Il faut donc admettre, lorsque l'action a été introduite dans de telles conditions, une exception dilatoire au profit du défendeur (2. Cass., 16 mars 1876 (première espèce), Pas., 1847, I, 58 ; 17 juin 1926, Pas., 1927, I, 20 ; 15 février 1934, Pas., 1934, I, 170 ; cass. Fr., 4 novembre 1901, Pas., 1902, IV, 111 ; LAURENT, t. III, n° 156 ...), tant que la procédure n'a pas été dûment régularisée [...] Enfin, la nullité des actes judiciaires irréguliers n'est pas immédiate. Le vice peut, s'il y a moyen de le faire, être réparé en cours d'instance. Cela résulte d'ailleurs de la notion même d'exception ‘dilatoire' » .
PAR CES CONSIDERATIONS,
L'avocat à la Cour de cassation, soussigné, conclut pour la demanderesse à ce qu'il vous plaise, Mesdames, Messieurs, casser l'arrêt attaqué, ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de l'arrêt cassé, renvoyer la cause et les parties devant une autre cour d'appel et statuer comme de droit sur les dépens.
Bruxelles, le 16 mai 2017
Pour le demandeur,
Son conseil,
Bruno Maes
Pièces jointes
1. Copie certifiée conforme à celle déposée devant la cour d'appel du rapport d'expertise médico-légale du docteur P. de [lire 30] avril 2009 ;
2. Copie certifiée conforme à celle déposée devant la cour d'appel du rapport d'expertise médico-légale du docteur S. de [lire 10] mars 2011 ;
3. Copie certifiée conforme à celle déposée devant la cour d'appel du certificat du docteur L. de [lire 13 décembre 2010];
4. Expédition conforme de l'acte notarié du 7 décembre 2016, dressé par le notaire M. H. concernant le mandat extra-judiciaire (art. 490 C.c);
5. Certificat d'enregistrement dudit acte notarié au registre des contrats de mandat en vue d'organiser une protection extrajudiciaire ;
6. Copie certifiée conforme par le greffier de l'Ordonnance rendue le 14 décembre 2016 par le Juge de Paix d'Uccle (16B1872).
7. Déclaration pro fisco