N° C.17.0610.F
C. D.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
P&V ASSURANCES, société coopérative à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Saint-Josse-ten-Noode, rue Royale, 151,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 7 juin 2017 par la cour d'appel de Liège.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 36, 861, tel qu'il était applicable au moment de la prononciation de l'arrêt, après sa modification par la loi du 19 octobre 2015, 867, tel qu'il était applicable au moment du dépôt de la requête d'appel du demandeur, avant son abrogation par la loi du 19 octobre 2015, et 1057 du Code judiciaire ;
- article 1er de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d'identité, aux cartes d'étranger et aux documents de séjour, et modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un registre national des personnes physiques ;
- article 149 de la Constitution ;
- articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;
- principe général du droit, dit principe dispositif, en vertu duquel seules les parties ont la maîtrise des limites du litige ;
- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué « dit que l'acte d'appel est nul et condamne [le demandeur] aux dépens d'appel liquidés par [la défenderesse] à la somme de 5.500 euros », aux motifs que
« [Le demandeur] reconnaît que c'est par erreur que sa requête mentionne qu'il est domicilié place ... numéro ... à ..., qui est l'adresse du centre public d'action sociale de ..., et qu'il s'agit d'une adresse de référence, ce que confirme le certificat de domicile déposé ;
[Le demandeur] s'empare des articles 1017 [lire : 1057] et 867 du Code judiciaire pour dire que la requête d'appel a atteint son but puisque la notification de cette requête a pu se faire à la [défenderesse], de sorte que l'indication de son domicile dans la requête d'appel comme étant à l'adresse du centre public d'action sociale est une erreur qui ne porte pas préjudice ;
Toutefois l'indication du domicile de l'appelant n'a pas pour but de permettre la notification de la requête d'appel mais de donner à la partie intimée toutes les informations utiles relatives à son adversaire pour le cas échéant exercer son droit à l'exécution de la décision de justice ([le demandeur] a été débouté de sa demande devant le premier juge et a été condamné aux dépens ; en appel, la [défenderesse], qui sollicite la confirmation du jugement entrepris, la condamnation aux dépens d'appel et une indemnité pour appel téméraire et vexatoire, a donc un intérêt à connaître le lieu du principal établissement de son adversaire) ;
Voir son droit à l'exécution réduit à une peau de chagrin parce que l'adversaire d'une partie n'indique qu'une adresse de référence, en l'occurrence celle du centre public d'action sociale, porte préjudice à cette partie dans l'hypothèse où elle serait amenée à exécuter un arrêt qui ferait d'elle un créancier de son adversaire ;
[Le demandeur] a eu l'occasion de réparer l'erreur commise puisqu'une réouverture des débats avait été ordonnée mentionnant la position de la [défenderesse] quant à l'irrecevabilité de l'appel ; il se borne toutefois à indiquer qu'il n'est pas domicilié au centre public d'action sociale mais qu'il s'agit d'une adresse de référence ;
L'article 36 du Code judiciaire précise que le domicile est le lieu où la personne est inscrite à titre principal sur les registres de la population ; or, il faut constater qu'en ne fournissant qu'une adresse de référence, [le demandeur] place son adversaire dans l'impossibilité d'exécuter une condamnation qui serait éventuellement prononcée à son encontre. Il ne dit rien de l'endroit où il vit, de ses ressources ; il convient juste de constater qu'il ne bénéficie pas de l'aide juridique ;
Or, le droit à l'exécution d'une décision de justice, revendiqué par la [défenderesse], fait partie intégrante des composantes du procès équitable ;
En effet, un droit européen de l'exécution des décisions judiciaires définitives obligatoires a été reconnu dans l'arrêt Hornsby contre la Grèce sur la base de l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; dans l'arrêt Lunari contre l'Italie du 11 janvier 2001, la Cour européenne des droits de l'homme affirme de façon expresse l'existence d'un ‘droit à l'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit' ;
La commission du Conseil de l'Europe pour l'efficacité de la justice a constaté lors du premier forum mondial sur l'exécution qui s'est tenu au mois de décembre 2014 que le droit à l'exécution des décisions de justice est consacré quelle que soit la nature de la créance et que cette consécration ne se limite pas aux situations dans lesquelles la partie condamnée à exécuter la décision de justice litigieuse est un État ;
Certes, le droit à l'exécution doit être concilié dans une certaine mesure avec les droits et intérêts légitimes du débiteur, tels que le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit au respect de la dignité humaine, mais en l'espèce il faut constater que [le demandeur] se place en deçà de ses droits personnels en se cachant derrière une adresse de référence alors que son adversaire invoque son droit à l'exécution de manière expresse ».
L'arrêt attaqué en conclut qu'il faut constater qu'en ne mentionnant ni dans l'acte d'appel ni de manière subséquente dans ses conclusions son domicile, celui qui est défini par le Code judiciaire, ni même une résidence, [le demandeur] compromet le droit à l'exécution de son adversaire, de sorte que la nullité de l'acte d'appel doit être prononcée, conformément à l'article 1057 du Code judiciaire.
Griefs
Première branche
1. L'article 1057, 2°, du Code judiciaire exige que l'acte d'appel contienne, sous peine de nullité, « les nom, prénom, profession et domicile de l'appelant ».
Selon l'article 36 du Code judiciaire, « au sens du présent code, il faut entendre par domicile, le lieu où la personne est inscrite à titre principal sur les registres de la population ».
En ce qui concerne l'application du Code judiciaire, seul le lieu de l'inscription sur les registres de la population peut, en principe, être pris en considération pour déterminer le domicile d'une personne physique établie en Belgique.
En vertu de l'article 1er de la loi du 19 juillet 1991, des registres de la population sont tenus dans chaque commune. Y sont inscrits les Belges et les étrangers autorisés à s'établir ou séjourner dans le royaume, à l'exception des étrangers inscrits au registre d'attente, soit au lieu où ils ont établi leur résidence principale au sens de cette loi, soit au lieu où une personne physique a établi sa résidence principale et où, avec l'accord de cette dernière, une personne sans résidence principale est inscrite.
Cette loi consacre l'existence de deux adresses : une adresse correspondant au lieu où une personne physique établit sa résidence principale et une adresse de référence réservée à une personne sans résidence principale qui fait l'objet d'une inscription au registre de la population.
L'adresse de référence de ces personnes constitue leur domicile judiciaire.
En indiquant leur adresse de référence, ces personnes respectent la notion légale de domicile exprimée par l'article 36 du Code judiciaire.
2. Après avoir constaté que le demandeur, dans sa requête d'appel, mentionne qu'il est domicilié place ... n° ... à ..., adresse du centre public d'action sociale de ..., et qu'il s'agit d'une adresse de référence, ce que confirme le certificat de domicile déposé, l'arrêt attaqué décide que « la nullité de l'acte d'appel doit être prononcée, conformément à l'article 1057 du Code judiciaire », au motif que, « en ne mentionnant ni dans l'acte d'appel ni de manière subséquente dans ses conclusions son domicile, celui qui est défini par le Code judiciaire, ni même une résidence, [le demandeur] compromet le droit à l'exécution de son adversaire ».
Or, comme il a été dit, l'adresse de référence indiquée par le demandeur dans sa requête d'appel satisfait à la prescription de l'article 36 du Code judiciaire et dès lors à celle de l'article 1057 de ce code.
3. En conséquence, l'arrêt attaqué qui, sur la base des considérations qui précèdent, décide que l'acte d'appel est nul, n'est pas légalement justifié au regard des articles 36 et 1057 du Code judiciaire, de même qu'au regard de l'article 1er de la loi du 19 juillet 1991.
Deuxième branche
1. En vertu de l'article 867 du Code judiciaire, « l'omission ou l'irrégularité de la forme d'un acte, y compris le non-respect des délais prescrits à peine de nullité, ou de la mention d'une formalité ne peut entraîner la nullité, s'il est établi par les pièces de la procédure que l'acte a réalisé le but que la loi lui assigne ou que la formalité non mentionnée a, en réalité, été remplie ».
Aux termes de l'article 861 ancien de ce code, « le juge ne peut déclarer nul un acte de procédure ou sanctionner le non-respect d'un délai prescrit à peine de nullité que si l'omission ou l'irrégularité dénoncée nuit aux intérêts de la partie qui invoque l'exception ».
Conformément à l'article 1057 du même code, « hormis les cas où il est formé par conclusions, l'acte d'appel contient, à peine de nullité : [...] 2° les nom, prénom, profession et domicile de l'appelant ».
Au sens de cette disposition légale, la mention du domicile de la partie appelante n'a pour but de favoriser le droit à l'exécution de la partie adverse que dans les cas, s'il échet, où il existe un titre à exécuter. Elle tend surtout à préciser l'identité des parties en litige.
2. Alors qu'il ressort des actes de la procédure que le jugement entrepris dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, l'arrêt attaqué décide que l'acte d'appel est nul au motif « qu'en ne mentionnant ni dans l'acte d'appel ni de manière subséquente dans ses conclusions son domicile, celui qui est défini par le Code judiciaire, ni même une résidence, [le demandeur] compromet le droit à l'exécution de son adversaire, de sorte que la nullité de l'acte d'appel doit être prononcée, conformément à l'article 1057 du Code judiciaire ».
Par ce motif, l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié au regard des articles 867, 861 ancien et 1057 du Code judiciaire.
Troisième branche
1. Dans ses « conclusions après l'arrêt du 21 septembre 2016 », le demandeur faisait valoir que « l'article 1017 (lire : 1057) [du Code judiciaire] dispose que l'acte d'appel contient, à peine de nullité, notamment les nom, prénom, profession et domicile de l'appelant ; que, lorsque la requête d'appel a été déposée, le 15 septembre 2015, le [demandeur] n'avait [...] plus de domicile et qu'il lui était impossible d'en renseigner un ».
2. Par aucun de ses motifs, l'arrêt attaqué ne répond au moyen par lequel le demandeur se prévalait de l'impossibilité de mentionner dans la requête d'appel son domicile et non une adresse de référence.
3. En conséquence, l'arrêt attaqué n'est pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).
Quatrième branche
1. Viole la foi due à un acte, y compris un acte de procédure, telles que des conclusions d'appel, le juge qui donne de cet acte une interprétation inconciliable avec ses termes en y ajoutant une mention qu'il ne comporte pas.
2. L'arrêt attaqué décide que l'acte d'appel est nul en se fondant sur les motifs précités et en particulier sur la mention que « le droit à l'exécution d'une décision de justice [est] revendiqué par la [défenderesse] » et sur la mention que celle-ci « invoque son droit à l'exécution de manière expresse ».
Or, en aucun de ses écrits de procédure régulièrement déposés devant la cour d'appel, la défenderesse n'a invoqué, d'une quelconque manière, son droit à l'exécution à l'appui de l'exception de nullité qu'elle a opposée à la requête d'appel.
3. En conséquence, l'arrêt attaqué viole la foi due aux conclusions d'appel de la défenderesse (violation des articles 1319,1320 et 1322 du Code civil).
Cinquième branche
1. Le juge peut suppléer d'office aux motifs invoqués par les parties dès lors qu'il n'élève aucune contestation dont celles-ci ont exclu l'existence, qu'il se fonde uniquement sur des faits régulièrement soumis à son appréciation et qu'il ne modifie pas l'objet de la demande.
Il doit, ce faisant, respecter les droits de la défense.
2. L'arrêt attaqué décide que l'acte d'appel est nul en se fondant sur la circonstance que la défenderesse invoquait son droit à l'exécution de manière expresse.
Ce faisant, l'arrêt attaqué se fonde sur un fait qui n'a pas été régulièrement soumis à la contradiction du demandeur et élève une contestation dont les parties ont exclu l'existence.
3. En conséquence, l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié au regard des principes généraux de droit visés au moyen.
III. La décision de la Cour
Quant à la première branche :
En vertu de l'article 1057, alinéa 1er, 2°, du Code judiciaire, hormis les cas où il est formé par conclusions, l'acte d'appel contient, à peine de nullité, les nom, prénom, profession et domicile de l'appelant.
Tel qu'il s'applique au litige, l'article 36 du Code judiciaire dispose qu'au sens de ce code, il faut entendre par domicile le lieu où la personne est inscrite à titre principal sur les registres de la population.
L'adresse de référence visée à l'article 1er, § 2, de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d'identité, aux cartes d'étranger et aux documents de séjour, et modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un registre national des personnes physiques, vaut inscription dans les registres de la population au sens dudit article 36.
L'arrêt attaqué constate que le domicile mentionné dans la requête d'appel du demandeur est « l'adresse du centre public d'action sociale de ... et qu'il s'agit d'une adresse de référence, ce que confirme le certificat de domicile déposé ».
En considérant, pour prononcer la nullité de l'acte d'appel, que le demandeur, qui ne fournit « qu'une adresse de référence », ne mentionne pas son domicile tel qu'il est « défini par le Code judiciaire », l'arrêt attaqué viole les dispositions légales précitées.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du dix-huit octobre deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont S. Geubel M.-Cl. Ernotte
M. Delange D. Batselé Chr. Storck