N° F.17.0025.F
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences du conseiller-receveur du team Recouvrement personnes morales, dont les bureaux sont établis à Charleroi, rue Jean Monnet, 14 (bte 22),
demandeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,
contre
PANTOCHIM, société anonyme en liquidation, dont le siège social est établi à Charleroi, rue de Dampremy, 67 (bte 32),
représentée par ses liquidateurs,
1. T. L., réviseur d'entreprises,
2. D. L., expert-comptable,
3. X.-É. B., avocat,
4. L. K., avocat,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 27 juin 2016 par la cour d'appel de Mons.
Le 16 octobre 2018, le premier avocat général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et le premier avocat général André Henkes a été entendu en ses conclusions.
II. Les faits de la cause et les antécédents de la procédure
Tels qu'ils ressortent de l'arrêt attaqué et des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, les faits de la cause peuvent être résumés comme suit :
La défenderesse, qui a été mise en liquidation par un jugement rendu le 26 juin 2001 par le tribunal de commerce de Charleroi, a entièrement apuré la créance privilégiée du demandeur en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
Celui-ci a par ailleurs déclaré à la liquidation de la défenderesse une créance de l'État allemand d'un montant total de 634.257,50 euros incluant de la taxe sur la valeur ajoutée et des intérêts et cette créance a été admise au passif à titre chirographaire. Aucune contestation n'est soulevée quant à l'existence de la demande d'assistance au recouvrement par l'État allemand et quant au respect des formes requises.
La défenderesse dispose à l'égard du demandeur d'une importante créance dans le cadre de l'application des dispositions en matière fiscale.
Le demandeur entend compenser cette créance avec la dette précitée de la défenderesse envers l'État allemand sur la base de l'article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004.
Le premier juge a décidé que le demandeur n'était pas autorisé à opposer la compensation entre ces créances et dettes.
L'arrêt attaqué confirme cette décision et condamne le demandeur à payer à la défenderesse la somme de 502.991,47 euros augmentée des intérêts.
III. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004, avant sa modification par la loi-programme du 22 décembre 2008, tel qu'il est applicable aux faits jusqu'au 7 janvier 2009 ;
- article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004, modifié par l'article 194 de la loi-programme du 22 décembre 2008 et avant sa modification par la loi du 25 décembre 2016, tel qu'il est applicable aux faits à partir du 8 janvier 2009 ;
- articles 6 et 10 de la directive n° 76/308/CEE du Conseil du 15 mars 1976 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d'opérations faisant partie du système de financement du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, ainsi que de prélèvements et de droits de douane, dont le champ d'application a été étendu au recouvrement de la taxe sur la valeur ajoutée par la directive 79/1071/CEE du Conseil du 6 décembre 1979 ;
- articles 12 et 15 de la loi du 20 juillet 1979 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, droits, taxes et autres mesures, l'article 12 après sa modification par la loi du 4 juillet 2004 et ces deux articles avant leur abrogation par la loi du 9 janvier 2012 ;
- article 149 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué, par confirmation du jugement entrepris, condamne le demandeur à payer à la défenderesse la somme de 502.991,47 euros en principal au motif qu'aucune disposition de droit interne belge ou de droit européen ne prévoit que le bénéfice de la compensation prévue par l'article 334 de la loi-programme est d'application aux créances de l'État allemand, en se fondant sur les motifs suivants :
« La cour [d'appel] partage l'opinion de la doctrine majoritaire selon laquelle l'article 334 n'exclut pas expressément les dispositions du Code civil relatives à la compensation ; dès lors, s'il est établi que ces règles ne sont exclues de la matière fiscale que si la loi le prévoit dans cette mesure seulement, l'article 334 de la loi-programme ne déroge au droit commun de la compensation qu'en ce qui concerne la nécessité pour l'État d'intervenir en des qualités similaires, le droit pour le contribuable d'opposer la compensation et, dans une certaine mesure, les articles 1295 et 1298 du Code civil ; pour le surplus, les conditions de la compensation légale sont maintenues (F. Georges, ‘La compensation fiscale : regard sur une jurisprudence particulièrement trouble', J.T., 2015, p. 605, n° 23).
La compensation légale requiert la réunion de cinq conditions :
- l'existence de deux dettes réciproques,
- ces dettes réciproques doivent exister entre les mêmes personnes agissant en la même qualité,
- elles doivent être fongibles, liquides et exigibles (P. Van Ommeslaghe, ‘Droit des obligations', tome III, p. 2149, n° 1562).
En l'espèce, même si la créance de l'État allemand peut être recouvrée comme une créance propre de l'État belge et de la même manière, elle demeure une créance de cet État.
Une compensation légale n'est dès lors pas possible puisque les dettes réciproques n'existent pas entre les mêmes personnes, [le demandeur] voulant compenser sa dette envers [la défenderesse] avec la dette de [celle-ci] envers l'État allemand.
[...] Il s'agit [...] de deux créanciers différents.
Même si l'on devait considérer la compensation fiscale comme une compensation sui generis qui exclut l'application des dispositions du Code civil relatives à la compensation, il n'en demeure pas moins que les lois fiscales s'interprètent de manière stricte.
L'article 334 de la loi-programme n'étend pas le bénéfice de la compensation à des créances autres que celles [du demandeur].
À défaut de disposition en ce sens, elle ne peut donc s'appliquer en l'espèce.
Les dispositions du droit européen ne modifient pas ce qui précède.
Elles prévoient certes que les créances pour lesquelles l'assistance est demandée sont recouvrées comme une créance de l'État requis et de la même manière.
Mais les créances à recouvrer ne jouissent des privilèges des créances analogues nées dans l'État membre où l'autorité requise a son siège que si la législation de cet État ou une convention entre l'État requérant et l'État requis le prévoit.
À bon droit, le premier juge a considéré que, à défaut d'être défini dans la directive, le terme ‘privilège' doit s'entendre dans son sens usuel d'avantage ou de prérogative.
En l'espèce, aucune disposition, de droit interne belge ou de droit européen, ne prévoit que le bénéfice de la compensation prévue par l'article 334 de la loi-programme est d'application aux créances de l'État allemand ».
Griefs
Première branche
L'article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004, dans sa version applicable aux faits jusqu'au 7 janvier 2009, disposait que :
« Toute somme à restituer ou à payer à un redevable dans le cadre de l'application des dispositions légales en matière d'impôts sur les revenus et de taxes assimilées, de taxe sur la valeur ajoutée ou en vertu des règles de droit civil relatives à la répétition de l'indu peut être affectée sans formalités par le fonctionnaire compétent au paiement des précomptes, des impôts sur les revenus, des taxes y assimilées, de la taxe sur la valeur ajoutée, en principal, additionnels et accroissements, des amendes administratives ou fiscales, des intérêts et des frais dus par ce redevable, lorsque ces derniers ne sont pas ou plus contestés.
L'alinéa précédent reste applicable en cas de saisie, de cession, de situation de concours ou de procédure d'insolvabilité ».
Cette disposition a « pour but d'autoriser l'affectation des sommes à rembourser à un redevable par le fonctionnaire chargé de la taxe sur la valeur ajoutée ou celui qui est chargé du recouvrement des impôts directs aussi bien au paiement d'une dette d'impôt direct ou de taxes assimilées qu'au paiement d'une dette de taxe sur la valeur ajoutée » (Doc. parl., Chambre, 17 novembre 2004, 51- 1437/001, p. 212).
Pour opérer valablement une compensation sur la base de l'article 334 de la loi, il suffit donc que l'on se trouve en présence, par exemple, d'un remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée au profit d'un redevable et d'une dette de taxe sur la valeur ajoutée à charge de ce même redevable.
L'article 334, modifié par l'article 194 de la loi-programme du 22 décembre 2008 et entré en vigueur le 8 janvier 2009, est plus précis quant à la portée et au champ d'application du mécanisme de la compensation. Il dispose comme suit :
« Toute somme à restituer ou à payer à une personne, soit dans le cadre de l'application des lois d'impôts qui relèvent de la compétence du service public fédéral des Finances ou pour lesquelles la perception et le recouvrement sont assurés par ce service public fédéral, soit en vertu des dispositions du droit civil relatives à la répétition de l'indu, peut être affectée sans formalités et au choix du fonctionnaire compétent au paiement des sommes dues par cette personne en application des lois d'impôts concernées ou au règlement de créances fiscales ou non-fiscales dont la perception et le recouvrement sont assurés par le service public fédéral des Finances par ou en vertu d'une disposition ayant force de loi. Cette affectation est limitée à la partie non contestée des créances à l'égard de cette personne.
L'alinéa précédent reste applicable en cas de saisie, de cession, de situation de concours ou de procédure d'insolvabilité ».
Cette disposition confirme l'application du mécanisme de la compensation fiscale et généralise cette application à toutes les créances (fiscales et non- fiscales) dont la perception et le recouvrement sont assurés par le service public fédéral des Finances.
La compensation fiscale établie par l'article 334 doit s'analyser comme une compensation sui generis. Ainsi que le précisent les travaux préparatoires de la loi-programme du 22 décembre 2008, la volonté du législateur a été en effet d'instaurer une mesure de compensation propre au droit fiscal et donc excluant les dispositions du Code civil : « Le législateur a voulu prévoir une forme particulière de compensation de dettes, propre au droit fiscal, auquel les dispositions du Code civil ne sont pas applicables (cf. Cour constitutionnelle, arrêt 54/2006 du 19 avril 2006) » (Doc. parl., Chambre, 24 novembre 2008, 52-1607/001, p. 112).
La ratio legis de l'article 334 amène dès lors à considérer que dès l'entrée en vigueur de la loi-programme du 27 décembre 2004, les dispositions du droit commun prévues dans le Code civil et notamment l'article 1289 en ce qu'il exige que les dettes réciproques doivent exister entre les mêmes personnes, doivent être exclues de ce mécanisme spécifique de compensation fiscale.
La condition de réciprocité entre les dettes et les créances n'est pas requise pour appliquer la compensation fiscale en cause. L'article 334 ne l'exige point.
Cette compensation est autorisée pour le règlement de créances fiscales ou non fiscales dont la perception et le recouvrement sont assurés par le demandeur par ou en vertu d'une disposition ayant force de loi. C'est le cas par exemple des créances alimentaires que le service des créances alimentaires est chargé de recouvrer à l'encontre d'un débiteur d'aliments, dans le cadre de l'application de la loi du 21 février 2003 créant un service des créances alimentaires au sein du service public fédéral des Finances. C'est aussi le cas des créances fiscales pour lesquelles un État membre de l'Union européenne sollicite, auprès de l'État belge, comme dans le cas d'espèce, l'assistance au recouvrement, en application de la directive 76/308/CEE précitée (transposée en droit belge par la loi du 20 juillet 1979).
En vertu de l'article 12 de la loi du 20 juillet 1979 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, droits, taxes et autres mesures, « l'autorité belge requise procède aux recouvrements demandés par l'autorité étrangère requérante comme s'il s'agissait de créances nées dans le royaume ».
L'arrêt attaqué constate expressément à cet égard qu'« aucune contestation n'est [...] soulevée quant à l'existence de cette demande d'assistance et quant au respect des formes requises » et qu'« il n'y a pas davantage de contestation quant à la créance de l'État allemand, laquelle a été admise au passif chirographaire de la liquidation ».
L'arrêt attaqué constate que les liquidateurs se sont opposés à la compensation effectuée par le demandeur et qu'ils ont lancé citation le 24 octobre 2013 en postulant la condamnation de ce dernier à lui payer une somme de 724.409,88 euros en principal.
Il résulte des conclusions principales d'appel du demandeur que le demandeur a « imputé différents crédits auxquels pouvait postuler [la défenderesse] auprès des contributions directes en apurement de la créance de la taxe sur la valeur ajoutée ‘allemande' ; que l'article 334 de la loi précitée a été appliqué pour ce faire », et que, plus précisément, « les crédits suivants ont été imputés :
le 1er janvier 2005 : 240,73 euros
le 24 juin 2005 : 64.492,83 euros
le 15 octobre 2007 : 278.185,08 euros
le 20 avril 2009 : 338.319,64 euros »
La dernière compensation ainsi effectuée par le demandeur est légalement justifiée par l'article 334 de la loi-programme dans sa version modifiée par la loi du 22 décembre 2008, entrée en vigueur le 8 janvier 2009, dès lors que les sommes à restituer ou à payer à la défenderesse pouvaient être affectées par le demandeur au règlement de la créance fiscale de l'État allemand dont il n'est pas contesté que le recouvrement était assuré par le demandeur en exécution de la directive 76/308/CEE transposée en droit belge par la loi du 20 juillet 1979.
À l'estime du demandeur, il en va de même des trois premières compensations effectuées, dans la mesure où, déjà dans sa version initiale, l'article 334 autorisait cette compensation avec « la taxe sur la valeur ajoutée, en principal, additionnels et accroissements [...] des intérêts et des frais dus par le contribuable, lorsque ces derniers ne sont pas contestés », sans exclure les taxes dues à un autre État, mais que le demandeur doit recouvrer comme s'il s'agissait d'une créance née dans le royaume (loi du 20 juillet 1979) et même comme une créance du demandeur (directive 76/308).
L'arrêt attaqué constate que « l'administration de la taxe sur la valeur ajoutée belge a déclaré à la liquidation de [la défenderesse] une créance de l'État allemand, administration de la taxe sur la valeur ajoutée, pour un montant global de 634.257,50 euros incluant de la taxe sur la valeur ajoutée et des intérêts » et que « cette créance a été admise au passif à titre chirographaire ». La créance sur la défenderesse n'était donc pas contestée et cette créance était « due par le contribuable » au sens de l'article 334.
Ce simple constat autorisait la mise en œuvre, par le demandeur, du mécanisme spécifique de compensation mis en place par la loi du 27 décembre 2004.
Et, à l'occasion de la modification législative intervenue en 2008, le législateur a indiqué qu'il avait voulu mettre en place (en 2004) une forme particulière de compensation de dettes propre au droit fiscal, auquel les dispositions du Code civil ne sont pas applicables. En d'autres termes, l'instauration même de ce nouveau mécanisme légal en 2004 ne permettait pas d'en exclure l'application aux montants dus par le redevable à l'État allemand (mais que le demandeur était chargé par la directive 76/308/CEE et par la loi du 20 juillet 1979 de recouvrer comme s'il s'agissait de sa propre créance) en appliquant une règle du Code civil (dettes réciproques entre les mêmes personnes) que le législateur avait entendu exclure.
Il en résulte qu'en décidant de partager « l'opinion de la doctrine majoritaire selon laquelle l'article 334 n'exclut pas expressément les dispositions du Code civil relatives à la compensation » et en concluant que « l'article 334 de la loi-programme ne déroge au droit commun de la compensation qu'en ce qui concerne la nécessité pour l'État d'intervenir en des qualités similaires, le droit pour le contribuable d'opposer la compensation et, dans une certaine mesure, les articles 1295 et 1298 du Code civil » mais que, « pour le surplus, les conditions de la compensation légale sont maintenues » et que cette disposition légale « n'étend pas le bénéfice de la compensation à des créances autres que celles [du demandeur] », de sorte qu'« à défaut de disposition en ce sens, elle ne peut donc s'appliquer en l'espèce », l'arrêt attaqué viole l'article 334 précité, entré en vigueur le 1er janvier 2005, dans ses différentes versions visées en tête du moyen.
En empêchant le demandeur de procéder au recouvrement demandé par l'État allemand, comme s'il s'agissait de sa propre créance, l'arrêt attaqué viole aussi l'article 6.2 de la directive 76/308 et l'article 12 de la loi du 20 juillet 1979 visées en tête du moyen.
Seconde branche
Pour la cour d'appel, « les dispositions du droit européen ne modifient pas ce qui précèdent. Elles prévoient certes que les créances pour lesquelles l'assistance est demandée sont recouvrées comme une créance de l'État requis et de la même manière. Mais les créances à recouvrer ne jouissent des privilèges des créances analogues nées dans l'État membre où l'autorité requise a son siège que si la législation de cet État ou une convention entre l'État requérant et l'État requis le prévoient. À bon droit, le premier juge a considéré que, à défaut d'être défini dans la directive, le terme ‘privilège' doit s'entendre dans son sens usuel d'avantage ou de prérogative. En l'espèce, aucune disposition, de droit interne ou de droit européen, ne prévoit que le bénéfice de la compensation prévue par l'article 334 de la loi-programme est d'application aux créances de l'État allemand ».
L'arrêt attaqué constate que « [le demandeur] se prévaut, pour l'assistance au recouvrement de la créance de l'État allemand, de la directive européenne 76/308/CEE du 15 mars 1976 et de la directive 2010/24/EU du 16 mars 2010 », qu'« aucune contestation n'est [...] soulevée quant à l'existence de cette demande d'assistance et quant au respect des formes requises » et qu'« il n'y a pas davantage de contestation quant à la créance de l'État allemand, laquelle a été admise au passif chirographaire de la liquidation ».
Il résulte de l'article 6.2 de cette directive 76/308/CEE que « toute créance faisant l'objet d'une demande de recouvrement est traitée comme une créance de l'État membre où l'autorité requise a son siège » et que « les créances à recouvrer ne jouissent d'aucun privilège dans l'État membre où l'autorité requise a son siège ».
L'article 12 de la loi du 20 juillet 1979 transposant cette directive en droit belge prévoit expressément que « l'autorité belge requise procède aux recouvrements demandés par l'autorité étrangère requérante comme s'il s'agissait de créances nées dans le royaume » et l'article 15 précise que « les créances à recouvrer ne jouissent d'aucun privilège ».
L'arrêt attaqué précise ce qu'il faut entendre par « privilège » : « la loi du 20 juillet 1979 transposant en droit belge la directive 76/308/CEE n'a prévu aucun privilège que ce soit pour la créance étrangère, ceci en opposition au privilège général que possède le fisc belge sur tous les revenus et sur les biens meubles de toute nature du contribuable ».
En d'autres termes, la créance de l'État allemand ne jouit, en Belgique, d'aucun privilège, ce terme étant entendu comme le privilège sur les revenus et les biens meubles du contribuable dont dispose le demandeur lui-même pour le recouvrement de sa propre créance.
Ceci signifie que la créance fiscale de l'État allemand reste chirographaire, à la différence d'une créance du fisc belge qui, elle, bénéficie d'un privilège général sur les biens meubles de son débiteur.
Il en résulte qu'en énonçant tout d'abord que la notion de « privilège » visée à l'article 15 de la loi du 20 juillet 1979 se comprend comme le privilège fiscal du demandeur sur les revenus et meubles du contribuable mais en décidant ensuite qu'« à bon droit, le premier juge a considéré qu'à défaut d'être défini dans les directives, le terme ‘privilège' doit s'entendre dans son sens usuel d'avantage ou de prérogative », l'arrêt attaqué contient une contradiction dans ses motifs en ce sens que, d'une part, il admet que le privilège visé et défini par l'article 15 de la loi du 20 juillet 1979 est le privilège général dont bénéficie le fisc belge et qu'il affirme, d'autre part, que le terme « privilège » ne serait pas défini dans la loi du 20 juillet 1979 en manière telle qu'il doit s'entendre dans son sens usuel d'avantage ou de prérogative de toute nature (violation de l'article 149 de la Constitution).
Cette affirmation contredit non seulement une constatation antérieure de l'arrêt mais elle constitue en outre une méconnaissance évidente de l'article 15 précité.
Mais, de manière plus fondamentale, en affectant au règlement de la créance de l'État allemand, dont elle était légalement chargée d'assurer la perception et le recouvrement, les sommes à restituer ou à payer à [la défenderesse] en liquidation, conformément à l'article 334 précité, le demandeur n'a exercé aucun « privilège ».
Les conventions internationales qui organisent l'assistance réciproque en vue du recouvrement contiennent généralement une disposition aux termes de laquelle les créances fiscales de l'État requérant ne sont pas considérées comme des créances privilégiées dans l'État requis. Ce principe se retrouve également dans l'assistance mutuelle mise en place par l'Union européenne (article 6.2 et 10 de la directive 76/308/CEE et de la version codifiée par la directive 2008/55/CEE et article 13 de la directive 2010/24/UE).
Aucun instrument européen en matière d'assistance mutuelle ne définit ce qu'il y a lieu d'entendre par « privilège » mais il ressort de différents textes concernant l'assistance mutuelle au recouvrement, qui stipulent que les créances étrangères ne bénéficient d'aucun privilège, que la notion de dettes privilégiées est opposée à la notion de dettes chirographaires. Cette notion de privilège ne renvoie donc pas au sens usuel d'avantage ou de prérogative mais s'entend du privilège général que possède le fisc sur tous les revenus et sur les biens meubles de toute nature du contribuable ; les dettes étrangères étant privées de ce privilège, elles sont donc chirographaires : « Dans la loi du 20 juillet 1979 par laquelle la directive a été transposée en droit belge, il n'est prévu aucun privilège que ce soit pour la créance étrangère, ceci en opposition au privilège général que possède le fisc belge sur tous les revenus et sur les biens meubles de toute nature du contribuable » (P. De Mets, « Le recouvrement fiscal international, une exception aux limites territoriales du pouvoir d'exécution », Revue générale du contentieux fiscal, 2010, 231).
Pour rappel, le mécanisme institué par l'article 334 de la loi-programme est un système de compensation légale sui generis qui déroge à la règle de l'égalité entre les créanciers qui se trouvent dans une situation de concours.
Mais l'application de cette règle de droit fiscal n'a pas pour effet de conférer un « privilège » à la créance fiscale dont dispose l'État allemand à l'encontre de [la défenderesse]. Malgré l'application de la compensation, cette créance est restée chirographaire (ce que constate l'arrêt attaqué) ; elle a simplement pu être apurée grâce à un moyen rapide, simple, efficace et sans frais pour le contribuable.
Il en résulte qu'en décidant que le demandeur, requis d'assister l'État allemand en exécution de l'article 6 de la directive 76/308/CEE et de l'article 12 de la loi du 20 juillet 1979, ne peut appliquer la compensation fiscale prévue par l'article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004 à une dette fiscale de l'État allemand alors que la créance à recouvrer doit, en vertu de l'article 6.2 de la directive (et 12 de la loi), être traitée comme une créance du demandeur pour laquelle la compensation visée par l'article 334 précité peut s'appliquer, l'arrêt attaqué méconnaît l'article 6 de cette directive et l'article 12 de la loi du 20 juillet 1979 qui a transposé en droit belge cette directive, ainsi que l'article 334 de cette loi-programme.
En décidant en outre qu'à défaut d'être défini dans la directive, le terme « privilège » visé à l'article 10 de celle-ci « doit s'entendre dans son sens usuel d'avantage ou de prérogative », ce terme incluant en conséquence « le bénéfice de la compensation prévue par l'article 334 de la loi-programme », de sorte que la créance de l'État allemand ne peut bénéficier de ce « privilège », l'arrêt attaqué méconnaît toutes les dispositions légales visées en tête du moyen qui instaurent au contraire un mécanisme de compensation légale sui generis qui déroge à la règle de l'égalité entre les créanciers qui, comme dans le cas d'espèce, se trouvent dans une situation de concours. Plus précisément, ce mécanisme légal n'étant pas un « privilège » au sens de l'article 10 de la directive 76/308 et de l'article 15 de la loi du 20 juillet 1979, l'arrêt attaqué viole ces deux dispositions. Son exercice par le demandeur n'implique nullement que la législation de l'État belge ou qu'une convention entre [le demandeur] et l'État allemand doive expressément le prévoir.
IV. La décision de la Cour
Sur le moyen :
1. Conformément à l'article 6, paragraphe 1er, de la directive 76/308/CEE du Conseil du 15 mars 1976 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, droits, taxes et autres mesures, codifiée par la directive 2008/55/CE du Conseil du 26 mai 2008 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, à certains droits, à certaines taxes et autres mesures, l'autorité requise procède, selon les dispositions légales applicables pour le recouvrement de créances similaires nées dans l'État membre où elle a son siège, au recouvrement des créances faisant l'objet d'un titre qui en permet l'exécution et, conformément à son paragraphe 2, à cette fin, toute créance faisant l'objet d'une demande de recouvrement est traitée comme une créance de l'État membre où l'autorité requise a son siège.
L'article 10 de ces mêmes directives dispose que, nonobstant l'article 6, paragraphe 2, les créances à recouvrer ne jouissent pas nécessairement des privilèges des créances analogues nées dans l'État membre où l'autorité requise a son siège.
Dans sa version antérieure à sa modification par la directive 2001/44/CE du Conseil du 15 juin 2001 modifiant la directive 76/308/CEE, cet article dispose que les créances à recouvrer ne jouissent d'aucun privilège dans l'État membre où l'autorité requise a son siège.
En vertu de l'article 12 de la loi du 20 juillet 1979 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, droits, taxes et autres mesures, applicable au litige, qui transpose la directive 76/308/CEE précitée, l'autorité belge procède aux recouvrements demandés par l'autorité étrangère requérante comme s'il s'agissait de créances nées dans le royaume et, selon l'article 15 de cette loi, les créances à recouvrer ne jouissent d'aucun privilège.
2. L'article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004, avant sa modification par l'article 194 de la loi-programme du 22 décembre 2008, dispose, en son alinéa 1er, que toute somme à restituer ou à payer à un redevable dans le cadre de l'application des dispositions légales en matière d'impôts sur les revenus et de taxes y assimilées, de taxe sur la valeur ajoutée ou en vertu des règles du droit civil relatives à la répétition de l'indu peut être affectée sans formalités par le fonctionnaire compétent au paiement des précomptes, des impôts sur les revenus, des taxes y assimilées, de la taxe sur la valeur ajoutée, en principal, additionnels et accroissements, des amendes administratives ou fiscales, des intérêts et des frais dus par ce redevable, lorsque ces derniers ne sont pas ou plus contestés et, en son alinéa 2, que l'alinéa précédent reste applicable en cas de saisie, de cession, de situation de concours ou de procédure d'insolvabilité.
Dans sa version applicable après sa modification par l'article 194 de la loi-programme du 22 décembre 2008 et avant sa modification par la loi du 25 décembre 2016, l'article 334 précité dispose, en son alinéa 1er, que toute somme à restituer ou à payer à une personne, soit dans le cadre de l'application des lois d'impôts qui relèvent de la compétence du service public fédéral des Finances ou pour lesquelles la perception et le recouvrement sont assurées par ce service public fédéral, soit en vertu des dispositions du droit civil relatives à la répétition de l'indu, peut être affectée, sans formalités et au choix du fonctionnaire compétent, au paiement des sommes dues par cette personne en application des lois d'impôts concernées ou au règlement de créances fiscales ou non fiscales dont la perception et le recouvrement sont assurés par le service public fédéral des Finances par ou en vertu d'une disposition ayant force de loi, et que cette affectation est limitée à la partie non contestée des créances à l'égard de cette personne, et, en son alinéa 2, que l'alinéa précédent reste applicable en cas de saisie, de cession, de situation de concours ou de procédure d'insolvabilité.
3. D'une part, l'arrêt considère que « l'article 334 n'exclut pas expressément les dispositions du Code civil relatives à la compensation » qui exigent « l'existence de deux dettes réciproques [...] qui doivent exister entre les mêmes personnes agissant en la même qualité ». Il relève que, « même si la créance de l'État allemand peut être recouvrée comme une créance propre [du demandeur en vertu de l'article 12 de la loi du 20 juillet 1979] et de la même manière, elle demeure une créance de cet État » en sorte qu'« une compensation légale n'est dès lors pas possible puisque les dettes réciproques n'existent pas entre les mêmes personnes, [le demandeur] voulant compenser sa dette envers [la défenderesse] avec la dette [de cette dernière] envers l'État allemand ».
Il énonce encore que, « même si l'on devait considérer la compensation fiscale comme une compensation sui generis », encore cette disposition « n'étend-elle pas le bénéfice de la compensation à des créances autres que celles [du demandeur] ».
D'autre part, il considère que « les dispositions du droit européen ne modifient pas ce qui précède » car, si « elles prévoient certes que les créances pour lesquelles l'assistance est demandée sont recouvrées comme une créance de l'État requis et de la même manière », « les créances à recouvrer ne jouissent des privilèges des créances analogues nées dans l'État membre où l'autorité requise a son siège que si la législation de cet État ou une convention entre l'État requérant et l'État requis le prévoit », qu' « à défaut d'être défini dans la directive, le terme ‘privilège' doit s'entendre dans son sens usuel d'avantage ou de prérogative » et qu'« en l'espèce, aucune disposition, de droit interne belge ou de droit européen, ne prévoit que le bénéfice de la compensation prévue par l'article 334 [précité] est d'application aux créances de l'État allemand ».
Dès lors qu'est soulevée une question d'interprétation des articles 6 et 10 des directives précitées, il y a lieu de poser à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles libellées au dispositif du présent arrêt.
Par ces motifs,
La Cour
Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne ait répondu aux questions préjudicielles suivantes :
- La disposition que la créance faisant l'objet d'une demande de recouvrement « est traitée comme une créance de l'État membre où l'autorité requise a son siège », ainsi que cela est prévu à l'article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/55/CE du Conseil du 26 mai 2008 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, à certains droits, à certaines taxes et autres mesures, qui se substitue à l'article 6, paragraphe 2, de la directive 76/308/CEE du Conseil du 15 mars 1976 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, droits, taxes et autres mesures, doit-elle être comprise en ce sens que la créance de l'État requérant est assimilée à celle de l'État requis en sorte que la créance de l'État requérant acquiert la qualité de créance de l'État requis ?
- Le terme « privilège » visé à l'article 10 de la directive 2008/55/CE du Conseil du 26 mai 2008 et, avant la codification, par l'article 10 de la directive 76/308/CEE du Conseil du 15 mars 1976 doit-il s'entendre du droit préférentiel attaché à la créance qui lui confère un droit de priorité sur les autres créances en cas de concours, ou de tout mécanisme qui a pour effet d'aboutir, en cas de concours, à un paiement préférentiel de la créance ?
La faculté dont dispose l'administration fiscale d'opérer, dans les conditions prévues à l'article 334 de la loi-programme du 27 novembre 2004, une compensation en cas de concours doit-elle être considérée comme un privilège au sens de l'article 10 des directives précitées ?
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel et Frédéric Lugentz, et prononcé en audience publique du vingt décembre deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence du premier avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont Fr. Lugentz S. Geubel
M.-Cl. Ernotte M. Delange Chr. Storck