Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.16.0059.F
1. OPTIMO, société anonyme, dont le siège social est établi à Etterbeek, avenue de la Chasse, 31,
2. EUROPROPERTIES, société anonyme, dont le siège social est établi à Etterbeek, avenue de la Chasse, 31,
3. LA QUIÉTUDE, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Etterbeek, avenue de la Chasse, 31,
4. M. U.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est fait élection de domicile,
contre
INSTITUT NATIONAL D'ASSURANCES SOCIALES POUR TRAVAILLEURS INDÉPENDANTS, établissement public, dont le siège est établi à Bruxelles, quai de Willebroek, 35,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 8 avril 2016 par la cour du travail de Bruxelles.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport.
L'avocat général Jean Marie Genicot a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent trois moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Conformément à l'article 569, alinéa 1er, 32°, du Code judiciaire, le tribunal de première instance connaît des contestations relatives à l'application d'une loi d'impôt.
Suivant l'article 581, 8°, du même code, le tribunal du travail connaît des contestations relatives à l'obligation pour les sociétés de payer une cotisation destinée au statut social des travailleurs indépendants en vertu du chapitre II du titre III de la loi du 30 décembre 1992 portant des dispositions sociales et diverses.
La cotisation destinée au statut social des travailleurs indépendants mise à la charge de certaines sociétés par le chapitre II du titre III de la loi du 30 décembre 1992 précitée n'est pas une cotisation à la sécurité sociale mais un impôt au sens des articles 170 et 172 de la Constitution.
L'opposition à une contrainte décernée par l'Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants portant sur cette cotisation constitue, dès lors, une contestation relative à l'application d'une loi d'impôt.
La loi du 23 mars 1999 relative à l'organisation judiciaire en matière fiscale, qui a introduit l'article 569, alinéa 1er, 32°, dans le Code judiciaire, n'a pas abrogé l'article 581, 8°, du même code. Cette dernière disposition déroge à la première en attribuant la contestation précitée au tribunal du travail.
Par l'arrêt n° 11/2017 du 25 janvier 2017, la Cour constitutionnelle a dit pour droit que l'article 581, 8°, du Code judiciaire ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. Elle a estimé en effet que, « compte tenu du lien entre la cotisation en cause et le statut social des travailleurs indépendants, il est pertinent que, malgré la qualification de la cotisation en cause comme impôt, le contentieux relatif à cette cotisation ait été confié au tribunal du travail ; [que], bien que de nature fiscale, au sens des articles 170 et 172 de la Constitution, la cotisation en cause reste apparentée à une cotisation sociale par sa raison d'être, avec pour conséquence son intégration dans le système du statut social des travailleurs indépendants », et que « la disposition en cause assure aux justiciables un traitement de leur cause par une juridiction indépendante et impartiale qui a pleine juridiction pour examiner leurs griefs et doit notamment vérifier la correcte application de la loi ; [que] le fait que les juridictions du travail ne sont pas spécialisées en matière fiscale n'entraîne pas une différence injustifiée entre les redevables de la cotisation litigieuse et les redevables d'un autre impôt ; [qu']'il ne résulte d'ailleurs pas des articles 170 et 172 de la Constitution que toutes les contestations relatives aux impôts doivent être soumises à une même juridiction ; [que] rien n'indique encore que les justiciables ne disposent pas des mêmes moyens de défense selon que leur litige est porté devant le tribunal du travail ou devant le tribunal de première instance ; [que] le droit d'accès à un juge ne comprend pas le droit d'accéder à un juge de son choix ; [qu'] il relève du pouvoir d'appréciation du législateur de décider quel juge est le plus apte à trancher un type donné de contestations ; [que] l'attribution au tribunal du travail des contestations relatives à l'obligation pour les sociétés de payer une cotisation destinée au statut social des travailleurs indépendants est par conséquent raisonnablement justifiée ».
Il s'ensuit que l'attribution au tribunal du travail, par l'article 581, 8°, du Code judiciaire, des contestations relatives à l'obligation pour les sociétés de payer la cotisation mise à leur charge par le chapitre II du titre III de la loi du 30 décembre 1992 n'engendre pas de différence de traitement injustifiée entre les redevables de cette cotisation et les redevables des autres impôts.
Dans la mesure où il soutient le contraire, le moyen manque en droit.
Pour le surplus, les motifs relatifs à l'absence de discrimination, vainement critiqués, suffisent à fonder la décision que la cour du travail est compétente pour connaître du litige.
Dans la mesure où il critique les motifs relatifs à l'appréciation de la discrimination au jour de l'introduction de l'instance, qui sont surabondants, le moyen, qui ne saurait entraîner la cassation, est irrecevable à défaut d'intérêt.
Et, conformément à l'article 26, § 2, alinéa 2, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, il n'y a pas lieu de poser à cette cour la première question préjudicielle proposée par les demandeurs dès lors qu'elle a déjà statué sur une question ayant un objet identique par l'arrêt précité n° 11/2017 du 25 janvier 2017.
Sur le troisième moyen :
Quant à la troisième branche :
Le moyen, en cette branche, soutient que les articles 89 et 95, §§ 1er et 1erbis, de la loi du 30 décembre 1992 violent les articles 10 et 11 de la Constitution en confiant le recouvrement de la cotisation aux caisses d'assurances sociales plutôt qu'aux comptables du Trésor chargés du recouvrement des deniers de l'État, alors que les caisses d'assurances sociales ne sont soumises ni au serment, au cautionnement et au privilège du Trésor imposés à ces comptables par les lois sur la comptabilité de l'État, coordonnées le 17 juillet 1991, ni au contrôle de la Cour des comptes conformément à l'article 180 de la Constitution.
En vertu de l'article 26, § 1er, 3°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, cette cour statue, à titre préjudiciel, par voie d'arrêt, sur les questions relatives à la violation par une loi des articles 10 et 11 de la Constitution.
Il y a lieu de poser à la Cour constitutionnelle la question libellée au dispositif du présent arrêt.
Quant à la quatrième branche :
Le moyen, en cette branche, soutient que l'article 94, 10°, de la loi du 30 décembre 1992 est contraire à l'article 170 de la Constitution en ce qu'il charge le Roi de déterminer les cas dans lesquels il peut être renoncé à l'application des majorations pour retard de paiement des cotisations, sans contenir les critères de cette renonciation.
En vertu de l'article 26, § 1er, 3°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la Cour constitutionnelle statue, à titre préjudiciel, par voie d'arrêt, sur les questions relatives à la violation par une loi de l'article 170 de la Constitution.
Il y a lieu de poser à la Cour constitutionnelle la question libellée au dispositif du présent arrêt.
Par ces motifs,
La Cour
Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle ait répondu aux questions suivantes :
- les articles 89 et 95, §§ 1er et 1erbis, de la loi du 30 décembre 1992 portant des dispositions sociales et diverses violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils engendrent une différence de traitement entre les redevables de la cotisation et les redevables des impositions perçues par les comptables du Trésor en vertu de l'article 59 des lois sur la comptabilité de l'État, coordonnées le 17 juillet 1991, en confiant le recouvrement de la cotisation annuelle à charge des sociétés aux caisses d'assurances sociales plutôt qu'à ces comptables, alors que les caisses ne sont pas soumises aux obligations en matière de serment et de cautionnement imposées aux comptables par l'article 61 des lois coordonnées, que le Trésor n'a pas sur leurs biens le privilège prévu par l'article 64 des mêmes lois et qu'elles ne sont pas soumises au contrôle de la Cour des comptes prévu par l'article 180 de la Constitution ?
- l'article 94, 10°, de la loi du 30 décembre 1992 viole-t-il l'article 170 de la Constitution en ce qu'il charge le Roi de déterminer les cas dans lesquels il peut être renoncé à l'application des majorations pour retard de paiement des cotisations, sans contenir les critères précis, non équivoques et clairs au moyen desquels il peut être déterminé quel contribuable peut bénéficier de la renonciation ?
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Mireille Delange, les conseillers Sabine Geubel, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du trois février deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.