N° P.19.0644.F
B. A.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Mathieu Simonis, avocat au barreau de Liège,
contre
S. C.,
partie civile,
défenderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Maxim Töller, avocat au barreau de Liège.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 28 mai 2019, sous le numéro 1646 du répertoire, par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 17 septembre 2020, l’avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
A l’audience du 7 octobre 2020, le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision d’acquittement du chef de la prévention de menaces par écrit :
Dépourvu d’intérêt, le pourvoi est irrecevable.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision de condamnation du chef des préventions d’injures, calomnie et harcèlement :
Sur le moyen :
Pris de la violation de l’article 150 de la Constitution, le moyen reproche à l’arrêt attaqué de condamner le demandeur du chef d’injures, calomnie et harcèlement, alors que ces délits ont été commis au moyen de textes publiés exprimant une pensée ou une opinion et sont par conséquent des délits de presse ressortissant à la cour d’assises.
L’article 150 de la Constitution dispose que le jury est établi en toutes matières criminelles et pour les délits politiques et de presse, à l'exception des délits de presse inspirés par le racisme ou la xénophobie.
Le délit de presse est l’atteinte portée aux droits soit de la société, soit d’un citoyen, par l'expression d'une pensée ou d’une opinion délictueuse dans un écrit imprimé ou numérique, qui a été diffusé dans le public.
L’injure, la calomnie ou le harcèlement peuvent constituer un délit de presse lorsque ces infractions expriment une pensée ou une opinion dans un tel écrit.
La disposition constitutionnelle précitée ne fait dépendre la compétence du jury ni de la pertinence ou de l’importance sociale de la pensée ou de l’opinion publiée, ni du caractère plus ou moins argumenté ou développé de l’écrit incriminé, ni de la notoriété de son auteur.
L’arrêt constate que le demandeur est administrateur d’une société propriétaire d’un centre commercial situé sur le territoire de la commune dont la défenderesse était échevine de l’urbanisme, que le demandeur lui a reproché de s’être opposée systématiquement à l’extension de ce centre et qu’il a fait connaître son mécontentement au moyen d’écrits publiés sur sa page du réseau social en ligne Facebook. L’arrêt relève que « les termes utilisés par le [demandeur], dans ses écrits, pour qualifier [la défenderesse] sont injurieux dès lors que, par leurs connotations négatives, ils portent indiscutablement atteinte à la considération de sa personne […] », et que « [le demandeur] a imputé publiquement deux faits précis à [la défenderesse] : s’être fait corrompre par une enseigne commerciale et avoir détourné de l’argent au préjudice de ‘son patron’ ».
L’arrêt décide que « l’expression d’une pensée […] ne peut être considérée, au sens de la Constitution et selon l’évolution sociétaire, comme n’importe quelle pensée, sans tenir compte de sa pertinence, telles les simples injures ou calomnies », qu’« il doit y être retrouvé une logique argumentative, une manière de voir développée, un pamphlet etc. », que « l’intention de l’auteur [du délit de presse], selon le Constituant, qui doit se révéler au travers de l’écrit, doit être celle de forger les ‘opinions et les consciences du peuple souverain’, le sens courant de l’opinion étant un avis ou une croyance, une conviction religieuse ou politique », et que « en l’espèce, les propos publiés par [le demandeur] sur un ‘mur Facebook’ tels qu’ils ressortent des pièces soumises à la cour ne sont pas des articles émettant une pensée critique ou argumentée mais sont en réalité des insultes, dépourvues d’esprit humoristique ou satirique, émanant d’un quidam, publiés non pas sur une page d’un site entièrement public mais sur la page d’un réseau social ouverte au nom d’une personne en particulier ».
En ayant jugé que « ces éléments, pris dans leur ensemble, démontrent que les faits reprochés au [demandeur] ne constituent pas un délit de presse », la cour d’appel a violé l’article 150 de la Constitution.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.
C. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action civile exercée contre le demandeur par la défenderesse :
La cassation, sur le pourvoi non limité du prévenu, de la décision de condamnation rendue sur l’action publique exercée à sa charge, entraîne l’annulation de la décision définitive, rendue sur l’action civile exercée contre lui par la partie civile, qui est la conséquence de la première.
D. Quant à l’étendue de la cassation :
La cassation encourue par l’arrêt attaqué doit s’étendre au jugement dont appel, fondé sur la même illégalité, et qu’il y a lieu d’annuler dès lors par application de l’article 434, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle.
E. Quant au renvoi :
En vertu de l’article 435, alinéa 3, dudit code, si la décision attaquée est cassée pour cause d’incompétence, ce qui est le cas en l’espèce, la Cour renvoie la cause devant les juges qui doivent en connaître.
La cour d’assises étant le juge que la Constitution désigne, la cause doit être renvoyée devant la juridiction que la loi charge de décider s’il y a lieu de prononcer la mise en accusation.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué, sauf en tant qu’il acquitte le demandeur de la prévention de menaces par écrit ;
Annule le jugement rendu le 7 septembre 2018, sous le numéro é3 du plumitif, par le tribunal de première instance de Liège, division Liège ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé et du jugement annulé ;
Condamne le demandeur à un dixième des frais de son pourvoi et réserve le surplus desdits frais pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel de Liège, chambre des mises en accusation.
Lesdits frais taxés à la somme de quatre-vingt-huit euros dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du sept octobre deux mille vingt par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.