N° C.19.0472.F
J.-C. D.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Saint-Gilles, rue Jourdan, 31, où il est fait élection de domicile,
contre
L. S., société coopérative,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 4 juin 2019 par le tribunal de première instance de Namur, statuant en degré d'appel.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
L'article 1709 de l'ancien Code civil dispose que le louage de chose est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige à lui payer.
En vertu de l'article 1er, alinéa 1er, 1°, de la loi du 4 novembre 1969 sur les baux à ferme, tombent sous l'application de la loi, les baux de biens immeubles qui, soit dès l'entrée en jouissance du preneur, soit de l'accord des parties en cours de bail, sont affectés principalement à son exploitation agricole.
Une convention d'occupation précaire ne rentre pas dans le champ d'application de cette loi, lorsque, en l'absence de toute intention de fraude, des circonstances particulières justifient l'aménagement d'une situation d'attente.
Le jugement attaqué énonce que, « par courrier du 13 avril 2007, C., S. et A. d. L. font part au notaire B. de leur intention d'acheter la ferme de C. et les quarante hectares de prairies qui l'entourent », étant entendu que l'achat des prairies « peut s'effectuer de manière progressive sur une période s'étalant sur plusieurs années [et qu']ils désirent réserver l'exploitation des prairies [au père du demandeur] durant une période de très longue durée qui reste à définir », que, « par acte passé le 24 mai 2008 devant le notaire B., [le père du demandeur] vend à [la défenderesse] la ferme en ruine au lieu-dit C., [...] pour une contenance de 2 hectares 3 ares 94 centiares, pour 275.000 euros », que, « par promesse de vente du 18 décembre 2008, [celui-ci] fait offre de vendre [...] diverses parcelles de terrains au lieu-dit C., [...] d'environ onze hectares (soit grosso modo les parcelles n° 1) », que, « par acte passé le 28 décembre 2010 devant le notaire B., [il] vend à [la défenderesse] les parcelles n° 1 pour 90.887 euros, le vendeur déclarant et certifiant que le bien vendu est libre de toute occupation » et que, « par convention sous seing privé signée dans la foulée le même jour, [la défenderesse] consent à ce que [le demandeur] occupe les parcelles n° 1, les conditions étant précisées [que] l'occupation est conclue pour la durée de la carrière [du demandeur] (dès lors que les propriétaires n'indiquent pas vouloir récupérer l'utilisation du bien ou d'une partie du bien tel que mentionné [ci-après]) ; cette occupation est consentie à titre personnel [au demandeur] par les propriétaires ; les soussignés, informés des dispositions légales, ont expressément entendu écarter l'application de la loi sur le bail à ferme ; l'occupation est acceptée moyennant une indemnité d'occupation calculée sur la base de la superficie [...] ; chaque année, au 1er janvier, le propriétaire indiquera à l'occupant la superficie qu'il souhaite récupérer pour le 1er juin de l'année en cours ».
Le jugement attaqué relève que « les parties ont expressément entendu écarter l'application de la loi sur le bail à ferme », que, « chaque année, [la défenderesse pouvait] récupérer l'utilisation du bien ou d'une partie de celui-ci » et que « le but, [tel qu']il ressort de l'ensemble des éléments de fait [...], ainsi que de la note de février 2019 de maître B., notaire des familles D. et de L., [...] était que [la défenderesse] puisse restaurer le bâtiment de ferme en ruine et que, la réalisation des travaux ne devant pas intervenir à bref délai, [le demandeur] puisse garder la jouissance des terrains, notamment pour lui permettre de respecter ses engagements en matière de [...] mesures agro-environnementales ».
Le jugement attaqué, qui considère, sur la base de cette appréciation qui gît en fait, que le projet immobilier de la défenderesse visant le bâtiment de ferme en ruine au lieu-dit C. s'étendait aux prairies composant les parcelles n° 1, a pu, sans violer les dispositions légales précitées, décider qu'en raison de ces « circonstances particulières », la défenderesse « se trouvait dans une situation d'attente » et qu'il n'existait dès lors entre les parties qu'une convention d'occupation précaire sur ces parcelles.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent quarante-sept euros cinquante-trois centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l'État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du dix-neuf novembre deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.