N° C.19.0636.F
L. V. L.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
P. C.,
défendeur en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 16 novembre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 1051, alinéa 1er, et 1253quater, d), du Code judiciaire ;
- articles 203 et 203ter, alinéas 1er et 3, du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt dit l'appel de la demanderesse irrecevable car tardif pour avoir été interjeté plus d'un mois après la notification du jugement entrepris.
Il fonde cette décision sur les motifs suivants :
« La décision entreprise du 11 septembre 2014 a été notifiée le jour même par le greffe de la justice de paix [...]. L'appel a été introduit par une requête du 12 mai 2016 ;
À l'audience du 14 septembre 2018, la cour [d'appel] a demandé aux parties de s'expliquer sur la recevabilité de l'appel, en particulier vu les dispositions des articles 1051, alinéa 1er, et 1253quater, b) et d), du Code judiciaire ;
Elles ont déclaré que, selon elles, l'appel est recevable. Le délai d'appel, suivant leur thèse, n'a pas commencé à courir ;
La cour [d'appel] constate que, sur la base de cette disposition, la notification a été faite le 11 septembre 2014 ;
La cour [d'appel] observe que le premier juge a été saisi d'une demande basée sur l'article 203 du Code civil par [le défendeur] et, à la requête de [la demanderesse], d'une demande basée sur l'article 203ter du même code [...] ;
Cette dernière disposition légale précise qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire aux obligations régies notamment par l'article 203 du Code civil, le créancier peut, sans préjudice du droit des tiers, pour la fixation du montant de la pension et pour l'exécution du jugement, se faire autoriser à percevoir, à l'exclusion dudit débiteur, dans les conditions et les limites que le jugement fixe, les revenus de celui-ci ou toute autre somme à lui due par un tiers ;
L'article 203ter poursuit que la procédure et les pouvoirs du juge sont réglés selon les articles 1253ter à 1253quinquies du Code judiciaire ;
Suivant l'article 1253quater, b) et d), de ce code, l'ordonnance est notifiée par le greffier et elle est susceptible d'appel dans le mois de la notification ;
[...] La notification ayant eu lieu le 11 septembre 2014, l'appel, introduit par une requête du 12 mai 2016, est irrecevable ;
[La demanderesse], qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel, non liquidés dans le chef [du défendeur] à défaut de relevé détaillé (article 1021 du Code judiciaire) ».
Griefs
Première branche
1. En vertu de l'article 203ter, alinéa 1er, du Code civil, à défaut pour le débiteur de satisfaire aux obligations régies notamment par l'article 203 de ce code, le créancier peut, sans préjudice du droit des tiers, pour la fixation du montant de la pension et pour l'exécution du jugement, se faire autoriser à percevoir, à l'exclusion dudit débiteur, dans les conditions et les limites que le jugement fixe, les revenus de celui-ci ou toute autre somme à lui due par un tiers.
La procédure et les pouvoirs du juge sont réglés en vertu des dispositions des articles 1253ter à 1253quinquies du Code judiciaire (article 203ter, alinéa 3, du Code civil).
En vertu de l'article 1253quater, b) et d), du Code judiciaire, modifié par la loi du 19 mars 2010, l'ordonnance est notifiée aux deux époux par le greffier et l'appel est interjeté dans le mois de la notification par pli judiciaire.
2. La règle particulière de l'article 1253quater, d), du Code judiciaire, qui prend la notification de la décision comme point de départ du délai d'appel, déroge à la règle générale selon laquelle le délai d'appel prend cours à compter du jour de la signification de la décision (article 1051, alinéa 1er, du Code judiciaire).
Cette règle particulière s'applique à la délégation de sommes visée à l'article 203ter du Code civil mais uniquement lorsqu'elle est introduite de manière autonome.
Il s'ensuit que le délai pour interjeter appel contre le jugement statuant sur une demande d'aliments introduite selon les règles du droit commun et une demande simultanée de délégation de sommes ne prend pas cours à compter de la notification du jugement mais à compter de sa signification.
3. Il ressort des éléments du dossier que le premier juge a été saisi d'une demande basée sur l'article 203 du Code civil par le défendeur et, à la requête de la demanderesse, d'une demande de majoration de la contribution alimentaire et d'une demande basée sur l'article 203ter du Code civil visant à l'autoriser à percevoir le montant mensuel total de douze cents euros directement entre les mains de tout tiers débiteur.
L'arrêt, qui décide que le délai d'appel a commencé à courir à compter de la notification du jugement entrepris, alors que la demande de délégation de sommes n'a pas été introduite de manière autonome, ne justifie pas légalement sa décision que l'appel est tardif (violation de l'ensemble des dispositions légales citées en tête du moyen).
Seconde branche
1. Si la Cour devait considérer que le délai d'appel commence à courir à compter de la notification du jugement entrepris lors même que la demande de délégation de sommes n'a pas été introduite de manière autonome, l'arrêt n'est en toute hypothèse pas légalement justifié.
En vertu de l'article 203ter, alinéa 1er, du Code civil, à défaut pour le débiteur de satisfaire aux obligations régies notamment par l'article 203 de ce code, le créancier peut, sans préjudice du droit des tiers, pour la fixation du montant de la pension et pour l'exécution du jugement, se faire autoriser à percevoir, à l'exclusion dudit débiteur, dans les conditions et les limites que le jugement fixe, les revenus de celui-ci ou toute autre somme à lui due par un tiers.
La procédure et les pouvoirs du juge sont réglés en vertu des dispositions des articles 1253ter à 1253quinquies du Code judiciaire.
En vertu de l'article 1253quater, b) et d), du Code judiciaire, modifié par la loi du 19 mars 2010, l'ordonnance est notifiée aux deux époux par le greffier et l'appel est interjeté dans le mois de la notification par pli judiciaire. Il s'ensuit que seule la notification par pli judiciaire fait courir le délai d'appel.
2. Après avoir relevé que le premier juge a été saisi d'une demande basée sur l'article 203 du Code civil par le défendeur et d'une demande basée sur l'article 203ter du même code par la demanderesse, que, selon l'article 203ter, la procédure et les pouvoirs du juge sont réglés selon les articles 1253ter à 1253quinquies du Code judiciaire et que, suivant l'article 1253quater, b) et d), de ce code, l'ordonnance est notifiée par le greffier et est susceptible d'appel dans le mois de sa notification, l'arrêt considère que, la notification ayant eu lieu par le greffe le 11 septembre 2014, l'appel introduit par requête du 12 mai 2016 est irrecevable.
Il ne résulte toutefois pas du dossier de la procédure que la décision entreprise a été notifiée par pli judiciaire, en sorte que le délai d'appel n'a pas commencé à courir.
3. L'arrêt, qui considère que la notification de la décision entreprise a fait courir le délai d'appel, alors qu'il ne résulte pas du dossier de la procédure que la notification a eu lieu par pli judiciaire, viole l'ensemble des dispositions légales citées en tête du moyen.
III. La décision de la Cour
Quant à la première branche :
Aux termes de l'article 1051, alinéa 1er, du Code judiciaire, sous réserve des délais prévus dans des dispositions impératives supranationales et internationales, le délai pour interjeter appel est d'un mois à partir de la signification du jugement ou de la notification de celui-ci faite conformément à l'article 792, alinéas 2 et 3.
La notification d'un jugement ne donne cours au délai d'appel que dans les cas où la loi prévoit ce mode de communication de la décision et à la condition qu'elle tende à faire courir les délais des voies de recours.
En vertu de l'article 203ter, alinéa 1er, de l'ancien Code civil, à défaut pour le débiteur de satisfaire aux obligations régies par les articles 203, 203bis, 205, 207, 336 ou 353-14 ou à l'engagement pris en vertu de l'article 1288, alinéa 1er, 3°, du Code judiciaire, ou d'une convention notariée ou homologuée entre les parties, le créancier peut, sans préjudice du droit des tiers, pour la fixation de la pension et pour l'exécution du jugement, se faire autoriser à percevoir, à l'exclusion du débiteur, dans les conditions et les limites que le jugement fixe, les revenus de celui-ci ou toute autre somme qui lui est due par un tiers.
La procédure et les pouvoirs du juge sont, poursuit l'article 203ter, alinéa 3, réglés suivant les articles 1253ter à 1253quinquies du Code judiciaire.
Conformément à l'article 1253quater, b) et d), de ce code, l'appel est interjeté dans le mois de la notification de l'ordonnance par pli judiciaire.
Cette règle particulière, qui déroge au droit commun, n'est, dans la mesure où l'article 203ter, alinéa 3, de l'ancien Code civil y renvoie, applicable que lorsque la demande de délégation de sommes visée à l'alinéa premier de cet article est introduite de manière autonome.
Lorsque, en revanche, elle est introduite simultanément à une demande d'aliments fondée sur l'article 203 de l'ancien Code civil, le délai pour interjeter appel d'un jugement statuant sur chacune de ces demandes ne prend cours qu'à partir de la signification de ce jugement.
L'arrêt, qui constate que le premier juge a été saisi par le défendeur d'une demande tendant, sur la base de l'article 203 de l'ancien Code civil, à la diminution des parts contributives dues pour deux des enfants communs des parties et que la demanderesse a reconventionnellement demandé la majoration de ces parts contributives et, en outre, la délégation de sommes visée à l'article 203ter de ce code, n'a pu, sans violer les dispositions légales visées au moyen, en cette branche, dire l'appel irrecevable comme tardif au motif qu'il a été interjeté plus d'un mois après la notification du jugement statuant sur ces demandes.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Sabine Geubel, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du trois décembre deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.