N° P.20.1205.N
M. M.,
personne faisant l’objet d’un jugement étranger reconnu et dont l’exécution a été ordonnée, interné,
demandeur en cassation,
Me Peter Verpoorten, avocat au barreau d’Anvers.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 23 novembre 2020 par le tribunal de l’application des peines de Bruxelles.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L’avocat général Philippe de Koster a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen est pris de la violation de l’article 18, § 3, de la loi du 15 mai 2012 relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux peines ou mesures privatives de liberté prononcées dans un État membre de l’Union européenne : le jugement considère, à tort, qu’en comparaison de la mise à disposition aux Pays-Bas, l’internement en Belgique implique une aggravation en termes de nature et de durée ; il y a aggravation en ce qui concerne la nature de la mesure dès lors que, sur la base des articles 3, 4°, e), et 19 de la loi du 15 mai 2012, un placement au sein d’une section de défense sociale est possible ; il s’agit là d’un terme vide de contenu qui, en réalité, équivaut à un placement dans une prison ; la Belgique a été condamnée de ce chef à plusieurs reprises et, à cet égard, il doit être fait référence à l’arrêt pilote de la Cour européenne des droits de l’homme, W.D. c. Belgique, du 6 septembre 2016 ; aux Pays-Bas, une détention de longue durée, au sein d’une prison, d’une personne mise à disposition n’est pas possible et n’a jamais lieu ; il y a également une aggravation quant à la durée de la mesure compte tenu des possibilités plus restreintes qu’une libération définitive intervienne ; aux Pays-Bas, une libération définitive peut être demandée tous les deux ans, alors qu’il résulte des articles 42 et 66 de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement qu’en Belgique, une libération définitive n’est possible qu’après un délai d’épreuve de trois ans ; en outre, il n’y a aucune garantie que le demandeur obtienne un jour une libération à l’essai, l’internement revêtant alors une durée illimitée.
2. Il résulte de l’article 18, § 2, § 3, et § 4, de la loi du 15 mai 2012 que :
- si la nature de la condamnation prononcée dans l’État d’émission est incompatible avec le droit belge, le procureur du Roi peut adapter la condamnation à une peine ou mesure prévue par le droit belge pour des infractions similaires, étant entendu que cette peine ou mesure doit correspondre autant que possible à la condamnation prononcée dans l’État d’émission et ne peut être commuée en une sanction pécuniaire ;
- en aucun cas, la peine ou la mesure prononcée dans l’État d’émission ne peut être aggravée en ce qui concerne sa durée ou sa nature ;
- si la personne condamnée estime que l’adaptation décidée par le procureur du Roi aggrave la peine ou la mesure prononcée dans l’État d’émission quant à sa durée ou à sa nature, elle peut contester cette décision devant le tribunal de l’application des peines de Bruxelles.
3. Il appartient donc au tribunal de l’application des peines d’apprécier si la décision du procureur du Roi selon laquelle il n’y a pas lieu d’adapter la mise à disposition imposée au demandeur par l’arrêt de la cour d’Arnhem-Leeuwarden (Pays-Bas) du 23 mai 2006, dès lors que cette mesure correspond à l’internement en droit belge, n’aggrave pas cette mesure en ce qui concerne sa durée ou sa nature.
4. Il résulte des articles 29 à 45 de la loi du 5 mai 2014 que la chambre de protection sociale doit, dans un bref délai à compter de sa saisine, décider soit du placement, le cas échéant assorti de l’octroi d’une permission de sortie, d’un congé ou d’une détention limitée, soit de l’octroi d’une surveillance électronique, soit de l’octroi d’une libération anticipée à l’essai. Le placement se déroule dans un établissement ou une section de défense sociale organisé par l’autorité fédérale, un centre de psychiatrie légale organisé par l’autorité fédérale ou un établissement agréé, organisé par une institution privée et qui est en mesure de dispenser les soins appropriés à la personne internée. Il n’est pas prévu que le placement puisse avoir lieu au sein d’une prison.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
5. Dans la mesure où il allègue qu’un placement au sein d’une section de défense sociale est, en réalité, un placement dans une prison et qu’en Belgique les délinquants malades mentaux sont systématiquement mis en détention en prison, le moyen requiert un examen des faits, pour lequel la Cour est sans pouvoir.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
6. Du seul constat, par l’arrêt pilote de la Cour européenne des droits de l’homme, cité au moyen, que le système d’internement en Belgique présente des dysfonctionnements systémiques, il ne résulte pas que le demandeur sera placé dans une section de défense sociale où les conditions d’enfermement sont contraires aux articles 3 et 5, § 1er, e, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
7. En outre, du seul fait qu’un interné puisse être placé, dans l’attente de son placement au sein d’un autre établissement, dans une section de défense sociale où il ne recevra pas les soins nécessaires, de sorte que sa détention serait contraire aux articles 3 et 5, § 1er, e, de la Convention, il ne résulte pas que l’internement est plus sévère quant à sa nature qu’une mise à disposition.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
8. Le jugement considère, entre autres, ce qui suit :
- tant la mise à disposition que l’internement poursuivent un double objectif, à savoir soigner le malade mental et protéger la société ;
- contrairement à ce que soutient le demandeur, dans le système d’internement belge, un interné n’est pas mis en détention en prison ;
- il est examiné où l’interné recevra des soins supplémentaires et où il sera placé ;
- dans le système néerlandais également, une institution ou un établissement est désigné et chargé, entre autres, de fournir de l’aide et du support, ce qui implique le placement au sein d’une structure ou, temporairement, d’une maison d’arrêt.
Par ces motifs, l’arrêt considère légalement que l’internement ne constitue pas une aggravation en ce qui concerne la nature de la mesure de mise à disposition.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
9. Compte tenu des articles 5, § 1er, e, et 5, § 4, de la Convention, il ne résulte pas des articles 42, 1°, et 66 de la loi du 5 mai 2014 qu’un interné doive toujours respecter un délai d’épreuve de trois ans avant de pouvoir bénéficier d’une libération définitive. Ces dispositions doivent être comprises en ce sens que si l’état d’un interné a évolué de telle sorte qu’il ne présente plus de troubles mentaux et qu’il n’y a plus raisonnablement lieu de craindre qu’il commette des infractions visées à l’article 9, § 1er, 1°, de la loi du 5 mai 2014, la chambre de protection sociale doit accorder la libération définitive à l’interné, même si le délai d’épreuve prévu à l’article 42, § 1er, de ladite loi n’a pas encore expiré.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
10. Le jugement considère, entre autres, ce qui suit :
- la durée de la mise à disposition n’est pas fixée au préalable, comme tel est également le cas pour l’internement ;
- en cas de mise à disposition, l’intéressé n’a aucune garantie qu’il sera un jour libéré à l’essai ou qu’il sera un jour libéré définitivement : une évaluation périodique est prévue et il est possible qu’il séjourne à vie dans une institution judiciaire ou en psychiatrie légale ;
- en cas d’internement, la chambre de protection sociale décide d’un placement à court terme et peut même ordonner une libération à l’essai, et un système de suivi périodique est prévu. En cas de mise à disposition, la mesure peut être prolongée de deux ans ;
- s’il n’y a plus de trouble mental et s’il n’y a plus raisonnablement lieu de craindre que l’interné commette certaines infractions, la chambre de protection sociale doit ordonner la libération définitive.
Par ces motifs, l’arrêt considère légalement que l’internement ne constitue pas une aggravation en ce qui concerne la durée de la mesure d’emprisonnement.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
11. Le moyen est pris de la violation de l’article 6 de la Convention et de la méconnaissance du principe général du droit relatif à l’impartialité du juge : dès lors qu’il conteste qu’il existe une possibilité, établie et objectivement constatée en droit belge, de placement dans une prison aux fins d’exécution d’une décision d’internement, le tribunal de l’application des peines n’est plus en mesure de statuer objectivement et son impartialité n’est plus garantie.
12. L’article 6 de la Convention ne s’applique pas au juge qui, sur la base de l’article 18 de la loi de la loi du 15 mai 2012, statue sur l’aggravation, en ce qui concerne sa nature et sa durée, d’une peine ou d’une mesure visée par cette disposition. En effet, ce juge ne statue pas sur le bien-fondé d’une poursuite pénale, ni sur un droit civil.
Dans la mesure où il invoque la violation de cette disposition, le moyen manque en droit.
13. Du seul fait qu’un juge rejette l’allégation par une partie d’un fait que celle-ci considère comme établi, il ne résulte pas que ce juge n’est plus en mesure de statuer de manière impartiale.
Dans cette mesure, le moyen manque également en en droit.
Le contrôle d’office
14. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Antoine Lievens, Erwin Francis, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-trois décembre deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Frank Adriaensen.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Frédéric Lugentz et transcrite avec l’assistance du greffier Fabienne Gobert.