N° F.17.0025.F
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences du conseiller-receveur du team Recouvrement personnes morales, dont les bureaux sont établis à Charleroi, rue Jean Monnet, 14 (bte 22),
demandeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,
contre
PANTOCHIM, société anonyme en liquidation, dont le siège est établi à Charleroi, rue de Dampremy, 67 (bte 32),
représentée par ses liquidateurs,
1. T. L., réviseur d'entreprises,
2. D. L., expert-comptable,
3. X.-E. B, avocat,
4. L. K., avocat,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 27 juin 2016 par la cour d'appel de Mons.
Par son arrêt du 20 décembre 2018, la Cour a posé à la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles auxquelles répond l'arrêt n° C-19/19 rendu le 11 juin 2020 par cette juridiction.
Le 28 décembre 2020, le procureur général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et le procureur général André Henkes a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen qui est reproduit dans l'arrêt précité du 20 décembre 2018.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
1. En vertu de l'article 1289 de l'ancien Code civil, lorsque deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre, il s'opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes.
L'article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004, avant sa modification par l'article 194 de la loi-programme du 22 décembre 2008, dispose, en son alinéa 1er, que toute somme à restituer ou à payer à un redevable dans le cadre de l'application des dispositions légales en matière d'impôts sur les revenus et de taxes y assimilées, de taxe sur la valeur ajoutée ou en vertu des règles du droit civil relatives à la répétition de l'indu peut être affectée sans formalités par le fonctionnaire compétent au paiement des précomptes, des impôts sur les revenus, des taxes y assimilées, de la taxe sur la valeur ajoutée, en principal, additionnels et accroissements, des amendes administratives ou fiscales, des intérêts et des frais dus par ce redevable, lorsque ces derniers ne sont pas ou plus contestés et, en son alinéa 2, que l'alinéa précédent reste applicable en cas de saisie, de cession, de situation de concours ou de procédure d'insolvabilité.
Dans sa version applicable après sa modification par l'article 194 de la loi-programme du 22 décembre 2008 et avant sa modification par la loi du 25 décembre 2016, l'article 334 précité dispose, en son alinéa 1er, que toute somme à restituer ou à payer à une personne, soit dans le cadre de l'application des lois d'impôts qui relèvent de la compétence du service public fédéral des Finances ou pour lesquelles la perception et le recouvrement sont assurés par ce service public fédéral, soit en vertu des dispositions du droit civil relatives à la répétition de l'indu, peut être affectée sans formalités et au choix du fonctionnaire compétent, au paiement des sommes dues par cette personne en application des lois d'impôts concernées ou au règlement de créances fiscales ou non fiscales dont la perception et le recouvrement sont assurés par le service public fédéral des Finances par ou en vertu d'une disposition ayant force de loi et que cette affectation est limitée à la partie non contestée des créances à l'égard de cette personne, et, en son alinéa 2, que l'alinéa précédent reste applicable en cas de saisie, de cession, de situation de concours ou de procédure d'insolvabilité.
Il s'ensuit que, en dehors des dérogations prévues, la compensation organisée par l'article 334 précité, dans ses versions applicables, demeure soumise aux conditions de la compensation de droit commun.
2. Conformément à l'article 6, paragraphe 1er, de la directive 76/308/CEE du Conseil du 15 mars 1976 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, droits et autres mesures, coordonnée par la directive 2008/55/CE du Conseil du 26 mai 2008 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, à certains droits, à certaines taxes et autres mesures, l'autorité requise procède, selon les dispositions légales applicables pour le recouvrement de créances similaires nées dans l'État membre où elle a son siège, au recouvrement des créances faisant l'objet d'un titre qui en permet l'exécution et, conformément à son paragraphe 2, à cette fin, toute créance faisant l'objet d'une demande de recouvrement est traitée comme une créance de l'État membre où l'autorité requise a son siège.
En vertu de l'article 9 de ces directives, l'autorité requise transfère à l'autorité requérante la totalité du montant de la créance qu'elle a recouvré.
L'article 10 de ces mêmes directives dispose que nonobstant l'article 6, paragraphe 2, les créances à recouvrer ne jouissent pas nécessairement des privilèges des créances analogues nées dans l'État membre où l'autorité requise a son siège et, dans sa version antérieure à sa modification par la directive 2001/44/CE du Conseil du 15 juin 2001 modifiant la directive 76/608/CEE précitée, il disposait que les créances à recouvrer ne jouissent d'aucun privilège dans l'État membre où l'autorité requise a son siège.
En vertu de l'article 12 de la loi du 20 juillet 1979 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, droits, taxes et autres mesures, applicable au litige, l'autorité belge procède aux recouvrements demandés par l'autorité étrangère requérante comme s'il s'agissait de créances nées dans le royaume et, selon l'article 15 de cette loi, les créances à recouvrer ne jouissent d'aucun privilège.
Dans son arrêt précité n° C-19/19 du 11 juin 2020, la Cour de justice de l'Union européenne a considéré qu'« une créance faisant l'objet d'une demande de recouvrement n'acquiert pas la qualité de créance de l'État membre requis, mais qu'elle est ‘traitée comme' une créance de cet État aux seules fins de son recouvrement par celui-ci, ce dernier étant ainsi amené à mettre en œuvre les compétences et les procédures définies par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables aux créances relatives aux droits, impôts ou taxes identiques ou similaires dans son ordre juridique », que « cette créance demeure, d'un point de vue matériel, une créance de l'État membre requérant, distincte de celle de l'État membre requis », et « n'acquiert pas la qualité de créance [de l'État membre requis, lequel] est tenu de transférer à l'État membre requérant la totalité du montant de la créance qu'il a recouvré », et que « l'intention du législateur de l'Union a été que l'État membre requis procède au recouvrement de [cette] créance ‘pour le compte' de l'État membre requérant ». Elle a encore précisé qu'« en toute hypothèse, [...] l'État membre requis ne saurait avoir recours à une faculté de compensation telle que celle [qui est prévue à l'article 334 précité] qu'au profit et au bénéfice de l'État membre requérant ».
Il s'ensuit que, lorsque l'État belge est requis de procéder au recouvrement d'une créance par un autre État membre, cette créance n'est pas assimilée à une créance de l'État belge et le produit de son recouvrement doit être remis à cette autorité étrangère.
La créance de l'État membre requérant, qui ne rentre pas dans le champ des dérogations prévues par l'article 334 précité, ne peut dès lors être compensée avec une dette que l'État belge a envers le débiteur de cette créance.
Le moyen, qui, en cette branche, est tout entier fondé sur le soutènement contraire, manque en droit.
Quant à la seconde branche :
Il n'est pas contradictoire d'énoncer, d'une part, que la loi du 20 juillet 1979 « n'a prévu aucun privilège que ce soit pour la créance étrangère, ceci en opposition au privilège général que possède le fisc belge sur tous les revenus et sur les biens meubles de toute nature du contribuable », d'autre part, qu'en ce qui concerne « les dispositions du droit européen, [...] à défaut d'être défini dans la directive, le terme ‘privilège' doit s'entendre dans son sens usuel d'avantage ou de prérogative » au sens de cette directive.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, manque en fait.
Pour le surplus, il suit de la réponse à la première branche du moyen que la compensation organisée par l'article 334 de la loi-programme ne peut être invoquée par le demandeur, chargé de recouvrer une créance de l'État allemand à l'égard de la défenderesse, pour éteindre sa propre dette à l'égard de la défenderesse.
Dirigé contre la considération surabondante que l'article 334 précité instaurerait un privilège entendu dans le sens usuel d'avantage dont l'État allemand ne pourrait bénéficier, le moyen, qui, en cette branche, ne saurait entraîner la cassation, est dépourvu d'intérêt, partant, irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de deux mille cent nonante euros septante-sept centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du quatorze janvier deux mille vingt et un par le président de section Christian Storck, en présence du procureur général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.