N° P.20.0365.F
I. H.R., J., P.,
ayant pour conseil Maître Jean Paul Reynders, avocat au barreau de Liège, dont le cabinet est établi à Blégny, rue de l'Institut, 24, où il est fait élection de domicile,
II. L.P., J., M.,
ayant pour conseils Maîtres Sandra Berbuto, avocat au barreau de Liège, et Nicolas Cohen, avocat au barreau de Bruxelles,
prévenus,
demandeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 20 février 2020 par la cour d'appel de Liège, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent respectivement un et six moyens, chacun dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de R. H. :
Sur l'ensemble du moyen :
Le demandeur reproche aux juges d'appel de ne pas avoir constaté l'existence dans son chef, de manière individualisée, des éléments constitutifs, matériels et moral, des infractions de recel et de blanchiment mises à sa charge.
En tant qu'il concerne la prévention de recel, alors que les juges d'appel n'ont pas condamné le demandeur de ce chef, s'étant bornés à décider qu'elle se confond avec les préventions de blanchiment mises à sa charge, le moyen est irrecevable à défaut d'intérêt.
Le juge qui déclare le prévenu coupable de blanchiment au sens de l'article 505, alinéa 1er, 2°, 3° et 4°, du Code pénal est tenu de constater que les avantages patrimoniaux visés par les préventions ont une provenance ou une origine délictueuse, que le prévenu en avait connaissance ou devait en avoir connaissance, et qu'il a accompli à leur égard un des actes incriminés par la disposition précitée.
S'agissant de l'élément matériel de ces infractions, l'arrêt énonce d'abord que les fonds investis dans la société luxembourgeoise gérée par le demandeur provenaient de la vente de lingots d'or volés en Autriche, vol du chef duquel le coprévenu M. B. et des tiers ont été condamnés. Il précise ensuite que cet argent, retiré en espèces d'un coffre de M. B. dans une banque à Liège, a été transporté en voiture au Grand-Duché de Luxembourg par ce dernier, conduit par le second demandeur jusqu'au siège de la société dont les deux demandeurs étaient associés, et qu'arrivés sur place, l'argent a été remis à ces derniers.
L'arrêt décrit enfin les opérations réalisées avec ces fonds qui furent investis, selon les juges d'appel, dans la société luxembourgeoise des demandeurs au terme d'un prêt obligataire muet quant à l'identité du prêteur et sans que la somme apparaisse sur un compte financier de l'entreprise. Cet emprunt obligataire, dont la cour d'appel indique par ailleurs que c'est le demandeur qui l'a rédigé, a permis d'acquérir en leasing des véhicules mis à la disposition de M.B. Leur coût ainsi que des versements ayant transité par le compte du second demandeur étaient imputés sur le remboursement de l'emprunt, tandis que vingt-quatre mille euros furent remboursés par virement bancaire à M. B., de sorte qu'il a pu en bénéficier, car ces fonds étaient désormais blanchis, après la dissimulation de son identité dès la remise des espèces.
L'arrêt décrit ainsi l'élément matériel des infractions et la participation du demandeur à celles-ci, soit le mécanisme à l'issue duquel des valeurs en espèces, substituées à des avantages patrimoniaux provenant d'une infraction identifiée, ont été transportées à l'étranger, afin d'y être remises, sous le couvert d'un contrat commercial rédigé par le demandeur, aux responsables d'une société y établie, dont le demandeur, et ensuite employées par cette entreprise pour acquérir des voitures afin que l'auteur de l'infraction dont provenaient les fonds puisse utiliser ces véhicules, tandis qu'une partie de l'argent lui fut remboursée, après dissimulation de l'identité de ce client.
Quant à l'élément moral, les juges d'appel ont d'abord considéré que le demandeur n'ignorait pas l'origine illégale de l'argent reçu ou qu'il devait la connaître, en raison de circonstances de fait, décrites par l'arrêt, qui auraient dû éveiller sa méfiance. Ils ont ainsi estimé que la somme concernée était importante et que la manière dont elle a été reçue était particulièrement suspecte, les juges d'appel relevant la circonstance que le demandeur, interrogé, a lui-même précisé à cet égard qu'il aurait été préférable que le transfert se fasse depuis un compte bancaire vers un autre compte, plutôt que de la main à la main, et qu'il avait été très ennuyé de recevoir une telle somme en liquide, ne pouvant la justifier aux yeux de la loi luxembourgeoise. Ils ont ensuite énoncé que la manière dont l'argent a été utilisé était elle-même douteuse, démontrant la volonté des parties de dissimuler, respectivement, le nom de M.B., qui n'apparaissait ni sur l'emprunt, ni sur un registre, ni en comptabilité, et le lien avec la somme reçue en espèces, ce à quoi les deux demandeurs ont activement participé. Enfin, les juges d'appel ont stigmatisé le fonctionnement même de la société luxembourgeoise utilisée par les demandeurs, choisie parce qu'elle serait susceptible d'attirer de l'argent ayant une origine suspecte, dès lors qu'elle accepte des espèces, sans vérification de leur origine.
Par l'ensemble de ces considérations, les juges d'appel ont légalement justifié leur décision que la participation du demandeur au blanchiment était établie.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. Sur le pourvoi de P.L. :
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de la méconnaissance du droit à un procès équitable et du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Selon le demandeur, les juges d'appel n'ont pas répondu à ses conclusions soutenant que le dépassement du délai raisonnable pour le juger avait porté une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable et à l'exercice des droits de la défense, puisque cette irrégularité procédurale avait rendu impossible l'accès à la comptabilité de la société de droit luxembourgeois Lux Brooker, déclarée entretemps en faillite, alors que cette comptabilité constituait un élément de preuve à décharge essentiel.
D'une part, par aucune considération, les conclusions du demandeur n'invoquaient pareil caractère essentiel.
D'autre part, à la défense qui invoquait l'impossibilité de consulter la comptabilité de l'entreprise, la cour d'appel a répondu qu'il n'apparaissait pas que la durée anormale de la procédure avait eu comme conséquence la déperdition de preuves, que le demandeur ne mettait pas en avant la disparition d'un tel élément précis, se contentant d'affirmer que la société était en faillite et que sa comptabilité ne pouvait pas être produite, et qu'il faisait fi de nombreux devoirs réalisés lors de la commission rogatoire exécutée au Grand-Duché de Luxembourg, devoirs lors desquels de nombreux documents avaient été saisis, ces derniers pouvant être utilisés à charge comme à décharge.
À cet égard, le moyen manque en fait.
Pour le surplus, en tant qu'il invite la Cour à constater que la comptabilité de la société Lux Brooker ne figure pas au rang des pièces transmises ensuite de l'exécution de la commission rogatoire au Grand-Duché de Luxembourg, le moyen requiert la vérification d'éléments de fait, laquelle échappe au pouvoir de la Cour.
Partant, dans cette mesure, il est irrecevable.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 505, alinéa 1er, 2°, 3° et 4°, du Code pénal. Il reproche à l'arrêt de se contredire quant à la connaissance, par le demandeur, de l'origine délictueuse des fonds qui forment l'objet de l'infraction.
Un moyen qui se fonde sur une erreur matérielle ne saurait entraîner la cassation.
Il ressort à l'évidence des motifs de la décision attaquée que l'utilisation, à la page 21 de l'arrêt, de l'adjectif « probable », critiqué par le moyen, au lieu de l'adjectif « improbable », procède d'une erreur matérielle, qu'il est au pouvoir de la Cour de rectifier.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen :
Pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 505, alinéa 1er, 1°, du Code pénal, le moyen reproche d'abord aux juges d'appel de ne pas avoir répondu aux conclusions du demandeur, qui contestaient la prévention de recel mise à sa charge.
Les juges d'appel n'ont toutefois pas condamné le demandeur de ce chef. En effet, l'arrêt se borne à considérer que cette prévention se confond avec celles de blanchiment, ces dernières seules étant déclarées établies en degré d'appel.
Dès lors, ils n'avaient pas à répondre à des moyens rendus, par l'effet de cette décision, sans pertinence.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Le moyen reproche également aux juges d'appel d'avoir adopté des motifs contradictoires en renvoyant, à propos de l'origine illicite des avoirs qui constituaient l'objet du blanchiment, aux motifs de l'arrêt relatifs à la prévention de recel, tandis qu'ils ont ensuite décidé que le recel et le blanchiment se confondaient, ce dernier seul étant déclaré établi.
Aucune contradiction ne saurait se déduire de la circonstance que le juge examine l'un des éléments matériels d'une infraction, avant de décider que celle-ci se confond avec un autre crime ou délit dont un élément constitutif est identique à celui d'abord examiné.
Dans cette mesure, le moyen manque en fait.
Sur le sixième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 17 et 18 du titre préliminaire du Code de procédure pénale et 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que du droit à un procès équitable et du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Le demandeur fait valoir qu'il a soutenu, devant les juges d'appel, qu'A. B. est décédé et que le coprévenu M.B., son fils, en a hérité, de sorte que, par application de l'effet déclaratif du partage, ce dernier est réputé avoir été propriétaire des fonds qu'il a recueillis dans la succession, notamment ceux provenant de la conversion en espèces des lingots d'or volés. Le demandeur en déduit que ces fonds n'ont plus d'origine illicite, qu'ils ne peuvent fonder les préventions et qu'en tout état de cause, cet élément constitue une question préjudicielle civile à poser par les juges d'appel avant de statuer sur l'action publique, sous peine de porter atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable.
En tant qu'il invoque les articles 17 et 18 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, qui ne concernent que l'exception de propriété immobilière, le moyen manque en droit.
Le demandeur soutient en outre que les juges d'appel n'ont pas répondu à ses conclusions à cet égard.
Pour rejeter cette défense, les juges d'appel ont relevé successivement que le coprévenu M. B. avait été condamné pour le vol par un arrêt du 17 février 2015, qu'à l'époque il n'était pas propriétaire de l'or dérobé, l'indivision ne pouvant naître entre copartageants qu'après le décès du père, et que le sort de la succession de ce dernier était inconnu.
Par ailleurs, selon les préventions déclarées établies, les fonds qui constituent l'objet des préventions de blanchiment provenaient d'un vol de lingots d'or commis au préjudice d'A. B. et d'une personne morale de droit chypriote, Cyproman Services Ltd. À cet égard, les juges d'appel ont énoncé que rien ne démontrait que les parts de ce trust étaient revenues aux frères B..
Aux termes de ces motifs, l'arrêt donne à connaître les raisons pour lesquelles les juges d'appel ont considéré que l'exception ne portait pas sur des éléments de nature à enlever aux faits qui servent de base aux poursuites tout caractère d'infraction.
Ainsi, l'arrêt motive régulièrement sa décision.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale et 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Selon le demandeur, les juges d'appel ont omis de motiver leur décision que le dépassement du délai raisonnable pour le juger ne justifiait pas de réduire le montant de la confiscation.
En cas de dépassement du délai raisonnable, le juge est tenu, en règle, de prononcer une peine réduite de manière réelle et mesurable par rapport à celle qu'il aurait pu infliger en l'absence d'un tel dépassement. L'article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale permet même au juge soit de prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité, soit de prononcer une peine inférieure à celle minimale prévue par la loi.
Lorsqu'il prononce la condamnation par simple déclaration de culpabilité en raison du dépassement du délai raisonnable, le juge, à moins qu'il y ait été explicitement invité par la défense, n'est pas tenu d'exposer les raisons pour lesquelles il ne réduit pas, en outre, pour le même motif, la peine accessoire de la confiscation obligatoire.
Le moyen manque en droit.
Sur le cinquième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Concernant les restitutions ordonnées par le premier juge, le demandeur fait valoir que la cour d'appel n'a pas répondu à ses conclusions aux termes desquelles il postulait la confirmation de cette décision du jugement entrepris et qu'elle n'a pas motivé sa décision à cet égard.
Contrairement à ce qu'il soutient, le demandeur n'a pas pris de conclusions postulant la restitution des objets ou valeurs visés au moyen.
Partant, à cet égard, le moyen manque en fait.
Pour le surplus, il n'y a de restitution au sens de l'article 44 du Code pénal que si elle répare le préjudice causé par le crime ou le délit.
Lorsque, comme en l'espèce, le juge ne statue pas sur le sort d'un bien saisi, la décision à cet égard relève des mesures d'exécution des jugements et arrêts que le ministère public a lui-même le pouvoir et le devoir d'ordonner en vue de la restitution ultérieure du bien, par le greffier ou le conservateur désigné à cette fin, à la personne en mains de qui la saisie a été opérée, conformément aux articles 1er et 2 de l'arrêté royal du 24 mars 1936 sur la détention au greffe et la procédure en restitution des choses saisies en matière répressive.
Dès lors, les juges d'appel n'avaient pas à se prononcer sur le sort de pareils biens.
Revenant à soutenir le contraire, le moyen manque, à cet égard, en droit.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de cent septante-huit euros quatre-vingt-un centimes dont I) sur le pourvoi de R. H.: quatre-vingt-neuf euros quarante centimes dus et II) sur le pourvoi de P. L. : quatre-vingt-neuf euros quarante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du cinq mai deux mille vingt et un par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.