N° P.20.1218.F
I. V. E. J., M., G., ayant pour conseils Maîtres Dimitri de Béco et Dries Paternot, avocats au barreau de Bruxelles,
II. D. A.,
III. J. D.,
ayant tous deux pour conseil Maître Nicolas Cohen, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue du Marché au Charbon, 83, où il est fait élection de domicile,
prévenus,
demandeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 12 novembre 2020 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le premier et le deuxième demandeurs font valoir deux moyens et le troisième demandeur en invoque trois, chacun dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de J.V. E. :
Sur le premier moyen :
Pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le moyen reproche à l’arrêt de ne pas énoncer les éléments permettant de considérer que le demandeur a participé à l’entrave méchante à la circulation dont il a été reconnu coupable. Selon lui, l’ensemble des considérations relevées par la cour d’appel à ce sujet concernent une autre infraction, soit un port d’armes prohibées, alors que, par aucun motif, l’arrêt n’indique en quoi le demandeur aurait commis le seul fait susceptible de constituer l’entrave interdite par la loi, en l’occurrence le placement, sur la route, de barrières Nadar.
Les juges d’appel n’étaient pas tenus d’imputer l’obstruction de la chaussée à un acte matériel directement posé par le demandeur, puisque la participation retenue à sa charge est une participation par abstention qualifiée, soit une omission d’agir du demandeur, venu sur place avec des barres de fer, traduisant sa volonté de coopérer à l’entrave en facilitant ou en permettant l’effet de groupe qui en a assuré l’exécution.
L’arrêt est régulièrement motivé.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Également pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le moyen reproche à l’arrêt de ne pas énoncer les raisons pour lesquelles le demandeur a été reconnu coupable d’avoir pris part à la concertation et à l’organisation inhérentes à une association de malfaiteurs alors que, de surcroît, sa participation a été considérée comme limitée à une seule journée.
L’existence de la participation à une association de malfaiteurs n’est pas tributaire d’une adhésion durant une période déterminée au groupement illicite. La loi n’exige pas davantage, au titre d’un élément constitutif de l’infraction, que l’auteur ait été recruté par l’association ou qu’il ait lui-même recruté d’autres membres.
À cet égard, le moyen manque en droit.
Après avoir reconnu l’existence d’un groupe organisé afin de commettre, à la faveur de manifestations anarchistes, des attaques violentes contre les personnes, les institutions ou les biens, les juges d’appel ont considéré que la présence du demandeur sur les lieux le 12 novembre 2010 traduisait sa volonté consciente de participer aux activités dudit groupe.
L’arrêt déduit l’existence de cette conscience et de cette volonté de la circonstance que le demandeur a prêté la main au transport d’objets destinés à être utilisés lors de la manifestation, et qu’il a participé, fût-ce par abstention qualifiée, à l’action visant à entraver la circulation de la police.
L’arrêt est ainsi régulièrement motivé.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Le dernier acte interruptif de la prescription que l’arrêt relève pour le demandeur a été accompli le 21 octobre 2015. L’action publique a été jugée non prescrite, en ce qui le concerne, par application d’une disposition légale qu’il y a lieu de déférer au contrôle de constitutionnalité exposé ci-après, sur le pourvoi d’A. D..
B. Sur le pourvoi d’A. D. :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution et 6.1, 7.1 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1er du protocole n° 12 à cette Convention, et 21, § 1er, 4°, et 22 du titre préliminaire du Code de procédure pénale. Il fait grief aux juges d’appel d’avoir décidé que la prescription de l’action publique dirigée contre le demandeur n’était pas acquise parce qu’elle avait été suspendue durant cent vingt-deux jours en application de l’article 3 de l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l'exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19. Selon le demandeur, les juges d’appel auraient dû refuser d’appliquer cette disposition, dès lors qu’elle contrevient à l’interdiction constitutionnelle de la discrimination en assimilant les justiciables dont le jugement de la cause a subi un retard en raison de la pandémie à ceux qui, comme le demandeur, n’ont pas souffert un tel préjudice, mais se voient malgré tout opposer ladite suspension.
L’arrêté royal pris en exécution d’une loi attribuant des pouvoirs spéciaux au Roi ne constitue un acte du Pouvoir exécutif passible du contrôle de légalité des cours et tribunaux en vertu de l'article 159 de la Constitution qu’aussi longtemps qu’il n’a pas fait l'objet d'une confirmation législative.
Conformément à l’article 4, § 1er, de la loi du 24 décembre 2020 portant confirmation des arrêtés royaux pris en application de la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19 (II), l'arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020, précité, est confirmé. En application de l’article 34 de la loi, cette confirmation est entrée en vigueur le 15 janvier 2021.
Dès lors, depuis cette date, le Pouvoir judiciaire n’est plus habilité à exercer, à l’égard de l’article 3 de l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020, le contrôle de légalité prévu à l’article 159 de la Constitution.
Partant, le moyen est irrecevable, à défaut d’intérêt.
La Cour est invitée, à défaut de constater la violation alléguée, à interroger la Cour constitutionnelle à titre préjudiciel sur le point de savoir si les articles 10 et 11 de la Constitution prohibent l’adoption d’une loi créant, du fait de la pandémie ayant entravé le fonctionnement des cours et tribunaux, une cause de suspension de la prescription applicable à tous les justiciables, sans faire la différence entre ceux dont la procédure subit un retard de traitement en raison de la pandémie et ceux dont la procédure n’est jugée tardivement que pour des raisons étrangères à la crise sanitaire.
Il y a lieu de poser cette question à la Cour constitutionnelle.
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 322 du Code pénal. Selon le demandeur, la prévention de participation à une association de malfaiteurs déclarée établie dans son chef n’est mise en relation par les juges d’appel avec aucune infraction susceptible de la justifier et avec aucun autre prévenu.
L’organisation visée par cet article doit avoir un caractère volontaire exclusif de tout rassemblement accidentel ou circonstanciel. Elle doit rattacher les différents membres les uns aux autres par des liens non équivoques érigeant leur entente en un corps capable de fonctionner au moment propice.
L’objet de cette infraction est l’association de malfaiteurs et non les délits, qui en sont distincts.
Dès lors, d’une part, le juge n’est pas tenu de désigner de manière spécifique les crimes ou les délits en vue desquels l’association s’est constituée et celle-ci est punissable même si lesdites infractions n’ont pas été commises effectivement ou ne l’ont été qu’en partie. D’autre part, la circonstance que le prévenu n’ait pas lui-même participé aux infractions commises par le groupe ou qu’il n’ait été reconnu coupable que de coups aggravés commis dans ce cadre, n’interdit pas au juge de constater la réunion, dans son chef, des éléments constitutifs d’une association de malfaiteurs.
À cet égard, le moyen manque en droit.
Pour le surplus, à la page 78 de l’arrêt, renvoyant aux autres infractions déclarées établies en cause des différents prévenus poursuivis en qualité de participants à l’association de malfaiteurs, les juges d’appel, après avoir décrit les objectifs poursuivis par ce groupement et la manière dont ses membres avaient contribué à leur réalisation, ont donné à connaître les raisons pour lesquelles la participation en connaissance de cause des intéressés, dont celle du demandeur, à cette association était établie, l’arrêt relevant encore que ce dernier s’était rendu sur le lieu de la manifestation violente muni d’une cagoule et de lunettes de natation et qu’il avait fourni des explications contradictoires quant à sa présence sur place.
Ainsi, les juges d’appel ont régulièrement motivé et légalement justifié leur décision que le demandeur avait pris part aux activités d’une association de malfaiteurs.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
C. Sur le pourvoi de D. J. :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution et 66 du Code pénal, ainsi que de la méconnaissance de la notion légale de présomption de fait. Il reproche à l’arrêt de ne pas énoncer d’éléments aptes à justifier la décision que le demandeur a participé à l’infraction consistant à réaliser sans autorisation des graffitis sur un immeuble. Selon le demandeur, les juges d’appel n’ont pu juger cette participation établie aux seuls motifs qu’il avait été aperçu à proximité du lieu des faits dix minutes avant ceux-ci et qu’il était alors en compagnie de deux personnes déjà connues pour avoir commis de telles infractions.
S’agissant de la preuve de la coopération apportée par le demandeur à l’exécution du délit, les juges d’appel ont considéré que la présence d’un prévenu aux côtés d’autres personnes, en connaissance de leur projet illicite, constituait, par l’effet de groupe créé et le renforcement de la volonté des auteurs, une forme de participation punissable à la réalisation dudit projet.
Par ailleurs, les juges d’appel ne se sont pas bornés à constater que le demandeur avait été vu à proximité du lieu des faits peu de temps avant leur perpétration, en compagnie de deux individus connus pour des infractions similaires. Situant ces éléments dans leur contexte, ils ont en outre relevé que les slogans que les auteurs des graffitis avaient inscrits sur les murs d’un établissement bancaire étaient les mêmes que ceux peints six mois plus tôt par deux des membres identifiés du groupe, ce parallélisme avec les inscriptions visées à la prévention ne pouvant, selon les juges d’appel, relever du hasard, eu égard à la présence, dans un lieu et un temps très proches de ceux de l’infraction, des deux auteurs précités des premiers faits, accompagnés du demandeur, tous membres du groupe concerné.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Pour le surplus, en tant qu’il revient à critiquer cette appréciation en fait des juges d’appel, le moyen est irrecevable.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 322 du Code pénal.
En tant qu’il repose sur l’hypothèse que la déclaration de culpabilité du chef de la prévention d’avoir réalisé des graffitis sans autorisation est illégale, alors qu’il ressort de la réponse au premier moyen que cette décision est régulièrement motivée et légalement justifiée, le moyen est irrecevable.
Le demandeur reproche ensuite aux juges d’appel de ne pas avoir répondu à ses conclusions qui contestaient l’existence d’éléments matériel et moral de l’association de malfaiteurs, étant, d’une part, la réalité d’une telle association constituée à la date des faits et, d’autre part, l’intention, par ce biais, de commettre des infractions.
Le juge n’est tenu de répondre qu’aux moyens, c’est-à-dire à l’énonciation par une partie d’un fait, d’un acte ou d’un texte d’où, par un raisonnement juridique, cette partie prétend déduire le bien-fondé d’une demande, d’une défense ou d’une exception. Le juge n’est pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
Ainsi qu’il a été indiqué en réponse au second moyen, à cet égard identique, d’A. D., à la page 78 de l’arrêt, renvoyant aux autres infractions déclarées établies en cause des différents prévenus poursuivis en qualité de membres de l’association de malfaiteurs, les juges d’appel, qui ont décrit les objectifs poursuivis et la manière de participer aux infractions dont l’exécution était planifiée par ce groupement, ont donné à connaître les raisons pour lesquelles la participation consciente des prévenus, dont le demandeur, à cette association était établie.
Par ailleurs, après avoir indiqué à la page 79 de leur décision que l’association de malfaiteurs pouvait n’être constituée qu’en vue de l’exécution d’une seule infraction, les juges d’appel, aux pages 82 et 83 de l’arrêt, ont identifié celles auxquelles, à deux dates distinctes correspondant au début et au terme de la période délictueuse, le demandeur avait participé.
Ayant ainsi précisé la nature des éléments matériel et moral de l’association de malfaiteurs à laquelle le demandeur avait participé, les juges d’appel n’étaient plus tenus de rencontrer les autres griefs devenus sans pertinence ou ne constituant pas des moyens distincts.
Ainsi, les juges d’appel ont régulièrement motivé et légalement justifié leur décision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution et 66 du Code pénal, ainsi que de la méconnaissance de la notion légale de présomption de fait. Il reproche à l’arrêt de déduire la circonstance aggravante de mobile discriminatoire ayant animé l’auteur, des croyances personnelles non objectivées des juges d’appel.
Revenant à critiquer l’appréciation en fait des éléments de la cause par les juges d’appel ou exigeant, pour son examen, une vérification de ces éléments, laquelle n’est pas au pouvoir de la Cour, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Sursoit à statuer sur les pourvois de J. V. E. et A. D. jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle ait répondu à la question préjudicielle suivante :
L’article 4, § 1er, de la loi du 24 décembre 2020 portant confirmation des arrêtés royaux pris en application de la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures contre la propagation du coronavirus Covid-19 (II), viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que la suspension de la prescription de l’action publique instituée par l’article 3 de l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 est applicable de manière générale, sans en excepter les procédures dont le jugement a accusé un retard pour des raisons étrangères à la crise sanitaire ayant justifié l’institution de ladite suspension ?
Rejette le pourvoi de D. J. ;
Condamne le troisième demandeur aux frais de son pourvoi et réserve les frais pour le surplus.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de quatre cent cinquante-deux euros cinquante et un centimes dont I) sur le pourvoi de J. V. E. : cent quarante-quatre euros réservés, II) sur le pourvoi d’A. D. : cent quarante-quatre euros réservés et III) sur le pourvoi de D. J. : cent soixante-quatre euros cinquante centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt octobre deux mille vingt et un par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.