N° P.21.0034.F
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE BRUXELLES,
demandeur en cassation,
contre
C. Ph.
requérant en réhabilitation,
défendeur en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur a invoqué trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Par un arrêt du 24 mars 2021, la Cour a rejeté le pourvoi en tant qu’il est fondé sur les deux premiers moyens et, pour le surplus, a sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle ait répondu à une question préjudicielle concernant l’article 621 du Code d’instruction criminelle.
Par l’arrêt numéro 52/2022 du 31 mars 2022, la Cour constitutionnelle a répondu à la question précitée.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le troisième moyen :
1. Le moyen est pris de la violation des articles 590 et 621 du Code d’instruction criminelle, 10, 11 et 22 de la Constitution, et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il reproche à l’arrêt de décider que l’article 621 du Code d’instruction criminelle ne viole manifestement pas la Constitution et de rejeter la demande de réhabilitation du défendeur en ce qui concerne la décision d’internement du 12 mars 1973, au motif que ledit article 621 n’autorise pas la réhabilitation pour une décision d’internement.
Selon le demandeur, le maintien de l’inscription de la décision d’internement au casier judiciaire, sans limitation de temps ou indépendamment du comportement et de l’évolution de la santé mentale de la personne qui a été internée, n’est pas raisonnablement justifié au regard du principe d’égalité et de non-discrimination.
Le demandeur souligne que la personne internée qui a été définitivement libérée est une personne dont il a été constaté qu’elle ne constituait plus un danger pour la société. Il fait également valoir que l’inscription de la décision d’internement au casier judiciaire, ou la mention de cette décision dans un extrait, ne révèle pas seulement le passé pénal de la personne qui a été internée, mais également son état mental à l’époque de la décision, soit une donnée qui relève de sa vie privée.
2. Pour juger que l’article 621 du Code d’instruction criminelle ne viole pas la Constitution, l’arrêt attaqué considère que « l’effet de la réhabilitation est de faire cesser pour l’avenir, dans la personne du condamné, tous les effets de la condamnation », que « la mesure d’internement, mesure de sûreté, [a] non seulement un objectif sécuritaire (protéger la société) mais aussi un objectif sanitaire (prodiguer des soins à l’intéressé) » et que « la situation d’une personne ayant fait l’objet d’une mesure d’internement […] est fondamentalement différente de celle d’une personne faisant l’objet d’une condamnation à une peine ».
3. Par l’arrêt du 24 mars 2021, la Cour a posé à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :
« L’article 621 du Code d’instruction criminelle viole-t-il les articles 10, 11 ou 22 de la Constitution, en tant qu’il exclut la réhabilitation des personnes ayant fait l’objet d’une décision d’internement ou relative à l’internement, prise en application de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement ou de la loi de défense sociale du 9 avril 1930 ? ».
4. Par l’arrêt numéro 52/2022 du 31 mars 2022, la Cour constitutionnelle a dit pour droit :
« - L’article 621 du Code d’instruction criminelle ne viole pas les articles 10, 11 et 22 de la Constitution.
- L’absence de régime légal permettant de demander, sous certaines conditions, que les décisions d’internement ne soient plus mentionnées dans les extraits du casier judiciaire ni rendues accessibles aux autorités administratives visées à l’article 594 du Code d’instruction criminelle viole les articles 10, 11 et 22 de la Constitution ».
5. A l’appui de la première partie de sa réponse, selon laquelle l’article 621 du Code d’instruction criminelle ne viole pas les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, la Cour constitutionnelle considère, en substance, que l’internement est une mesure dont la nature et les effets ne sauraient être assimilés à ceux d’une condamnation pénale. Compte tenu de la portée de la réhabilitation, qui est de faire cesser pour l’avenir les effets pénaux de la condamnation, il est justifié que cette mesure ne puisse pas s’appliquer à une décision d’internement, dont l’objet n’est pas de statuer au fond sur la culpabilité d’une personne ni, le cas échéant, de lui infliger une peine, mais de soumettre une personne atteinte d’un trouble mental à une mesure destinée à protéger la société et à lui dispenser les soins adéquats en vue de sa réinsertion sociale.
6. Il suit de la première partie de la réponse à la question préjudicielle et de sa motivation que la chambre des mises en accusation, en ayant jugé que l’article 621 du Code d’instruction criminelle ne viole pas la Constitution, et en ayant rejeté la demande de réhabilitation du défendeur relativement à la mesure d’internement au motif que cette disposition ne permet pas d’accorder la réhabilitation pour une telle décision, a légalement justifié sa décision.
En tant qu’il soutient que l’arrêt viole les articles 621 du Code d’instruction criminelle, 10, 11 et 22 de la Constitution, et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le moyen ne peut être accueilli.
7. En vertu de l’article 590, alinéa 1er, 4°, du Code d’instruction criminelle, le casier judiciaire enregistre les décisions d’internement prises en vertu de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement.
La chambre des mises en accusation n’est pas habilitée à statuer sur une demande d’omettre du casier judiciaire la mention d’une décision d’internement que la disposition précitée impose d’y enregistrer.
Par ailleurs, ainsi que l’a décidé la Cour constitutionnelle dans la deuxième partie de sa réponse, c’est au pouvoir législatif qu’il appartient de remédier à l’absence de régime légal permettant de demander, sous certaines conditions, que les décisions d’internement ne soient plus mentionnées dans les extraits du casier judiciaire et ne soient pas rendues accessibles aux autorités administratives visées à l’article 594 du Code d’instruction criminelle.
Dans la mesure où il invoque la violation de l’article 590 du Code d’instruction criminelle, lu en combinaison avec les articles 22 de la Constitution et 8 de la Convention, le moyen ne peut davantage être accueilli.
Le contrôle d’office
8. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Laisse les frais à charge de l’Etat.
Lesdits frais taxés à la somme de vingt-trois euros dix centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du quinze juin deux mille vingt-deux par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.