N° P.22.0528.F
I. LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE LIEGE,
II. AXA HOLDING BELGIUM, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, place du Trône, 1,
partie civile,
représentée par Maîtres Jacqueline Oosterbosch et Gilles Genicot, avocats à la Cour de cassation,
demandeurs en cassation,
les pourvois contre
L. E.
prévenu,
défendeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Adrien Masset, avocat au barreau de Verviers.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 3 mars 2022 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque deux moyens et la demanderesse en invoque un, chacun dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Tamara Konsek a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LES FAITS
Le 29 avril 2007, le défendeur a chuté alors qu’il circulait à moto. A la suite de cet accident, il a communiqué à la demanderesse un constat amiable. Il en ressort qu’un tiers a causé l’accident.
Par un jugement du tribunal de police de Verviers du 21 octobre 2008, coulé en force de chose jugée, le défendeur a été acquitté des infractions au code de la route qui lui avaient été reprochées en relation avec l’accident, au motif qu’aucune faute de conduite ne peut lui être imputée. Par un jugement du tribunal de première instance de Verviers du 23 février 2011, la demanderesse, en sa qualité d’assureur du tiers responsable, a été condamnée à indemniser le défendeur des suites de ses blessures.
Postérieurement aux deux décisions, la demanderesse s’est constituée partie civile entre les mains du juge d’instruction contre le défendeur du chef de faux et usage de faux ainsi que d’escroquerie, soutenant que celui-ci aurait été seul impliqué dans l’accident.
L’arrêt attaqué acquitte le défendeur de ces préventions.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi du procureur général :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 4 du titre préliminaire du Code de procédure pénale et 23 du Code judiciaire, ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit relatif à l’autorité de la chose jugée.
Le demandeur soutient que c’est à tort que l’arrêt motive sa décision par la nécessité de respecter l’autorité de la chose jugée qui s’attache au jugement du tribunal de police du 21 octobre 2008, dès lors qu’il n’existe aucune identité de fait entre le comportement qualifié d’infractions au code de la route et celui visé par les préventions de faux, d’usage de faux et d’escroquerie.
En matière répressive, les décisions irrévocables rendues au fond sur l’objet de l’action publique sont revêtues de l’autorité de la chose jugée. Cette autorité s’attache à ce qui a été certainement et nécessairement jugé par le juge pénal concernant l’existence de faits mis à charge du prévenu et en prenant en considération les motifs qui sont le soutien nécessaire de la décision pénale. Elle ne s’applique qu’à l’égard de ceux qui ont été parties au procès pénal et aux éléments à l’égard desquels ces parties ont pu faire valoir leurs moyens de défense.
L’arrêt énonce que, suivant la partie publique, il n’y a pas eu d’accrochage avec un tiers, le défendeur ayant chuté seul en circulant à moto.
Il considère ensuite que « la cour est tenue de respecter l’autorité de chose jugée qui s’attache à une décision répressive qui constate qu’il ne peut être reproché [au défendeur] de ne pas avoir été en mesure d’effectuer toutes les manœuvres qui lui incombaient et de ne pas avoir eu constamment le contrôle du véhicule, […] de ne pas avoir réglé sa vitesse dans la mesure requise [et de] n’avoir pu, en toute circonstance, s’arrêter devant un obstacle prévisible ».
L’arrêt ajoute qu’« il s’ensuit que le tribunal de police a certainement et définitivement jugé qu’aucune faute de conduite ne pouvait être imputée au [défendeur] comme le soutient actuellement la partie publique » et que « dans ces circonstances, il doit être considéré comme acquis que ce n’est pas à la suite d’une faute de conduite imputable [au défendeur] que l’accident litigieux est survenu ».
De la seule circonstance que le défendeur a été acquitté des infractions précitées au code de la route et que, selon les juges d’appel, cet acquittement implique que le tribunal a certainement jugé que l’accident n’avait pas été causé par une faute de conduite du défendeur, les juges d’appel n’ont pu déduire que ce dernier n’a pu commettre les faits de faux en écritures, usage de faux et escroquerie soumis à leur appréciation et consistant, en substance, à les supposer établis, à avoir frauduleusement fait croire à l’existence d’un accident provoqué par un accrochage de l’assuré de la deuxième défenderesse.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est, sauf l’illégalité dénoncée par le premier moyen, conforme à la loi.
Il n’y a pas lieu d’examiner le second moyen qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue.
B. Sur le pourvoi d’Axa Holding Belgium :
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
Le moyen fait grief à l’arrêt de décider que les faits des préventions mises à charge du défendeur ne sont pas établis au motif que le jugement du tribunal de police du 21 octobre 2008 a certainement et définitivement jugé qu’aucune faute de conduite ne pouvait être imputée à celui-ci.
Pour les motifs repris en réponse au premier moyen du demandeur sub I, le moyen est fondé.
Quant à la troisième branche :
Le moyen est pris de la violation des articles 4 du titre préliminaire du Code de procédure pénale et 23 et 1137 du Code judiciaire, ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit relatif à l’autorité de la chose jugée.
Il reproche à l’arrêt de considérer que les faits des préventions ne sont pas établis au motif que le jugement définitif du tribunal de première instance de Verviers du 23 février 2011, qui a dit pour droit que l’assuré de la demanderesse est seul responsable de l’accident et l’a condamnée à indemniser le défendeur, s’impose à celle-ci. Selon le moyen, dès lors que cette juridiction n’était pas saisie de la question de savoir si le constat amiable d’accident constitue un faux en écritures dont s’est servi le défendeur pour commettre une escroquerie, cette décision ne fait pas obstacle au fondement de la demande tendant à la réparation du dommage subi du fait de ces infractions.
L’article 23 du Code judiciaire dispose : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet de la décision. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande repose sur la même cause, quel que soit le fondement juridique invoqué ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ».
En application de cette disposition, l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’à ce que le juge a décidé sur un point litigieux et à ce qui, en raison de la contestation portée devant lui et dont les parties ont pu débattre, constitue, fût-ce implicitement, le fondement nécessaire de sa décision.
Dès lors que l’objet de l’action civile dont avait été saisi le tribunal de première instance ne s’identifie pas à celui de l’action civile exercée par la demanderesse contre le défendeur devant la cour d’appel, l’arrêt ne justifie pas légalement sa décision.
Le moyen est fondé.
Il n’y a pas lieu d’examiner le surplus du moyen qui ne saurait entraîner une cassation dans des termes différents du dispositif du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué, sauf en tant qu’il reçoit l’appel et dit n’y avoir lieu d’appliquer le principe non bis in idem ;
Rejette le pourvoi sub I pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les frais pour qu’il soit statué sur ceux-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient E. de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux par E. de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.