N° P.22.0058.F
N. F., T., J., G.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Charlotte Demptinne, avocat au barreau du Brabant wallon, et Alain Franken, avocat au barreau de Liège-Huy,
contre
LE FONCTIONNAIRE SANCTIONNATEUR DÉLÉGUÉ du service public de Wallonie, direction générale opérationnelle des routes et des bâtiments, dont les bureaux sont établis à Namur, boulevard du Nord, 8,
partie poursuivante,
défendeur en cassation,
ayant pour conseils Maître Marc Uyttendaele et Bieke Vanmarcke, avocats au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 10 décembre 2021 par le tribunal correctionnel du Brabant wallon, statuant en premier et dernier ressort sur une requête du demandeur en contestation d’une amende administrative infligée par le fonctionnaire sanctionnateur délégué.
Le demandeur invoque cinq moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LES FAITS
Lors d’un contrôle routier effectué le 16 janvier 2018, un agent de la police domaniale a constaté que le véhicule conduit par le demandeur présentait une surcharge de la masse sur un essieu comprise entre 30 et 40 pourcents du maximum autorisé, en contravention à l’article 5, § 3, du décret du 19 mars 2009 relatif à la conservation du domaine public régional routier et des voies hydrauliques.
Par une décision du 29 mai 2018, le défendeur a infligé au demandeur une amende administrative de vingt mille euros.
Le tribunal correctionnel a considéré que le montant de la sanction administrative est justifié et proportionné à l’infraction déclarée établie.
Partant, le tribunal a confirmé la décision administrative du 29 mai 2018, sous l’émendation que « [la sanction] sera assortie d’un sursis d’une durée de trois ans pour ce qui excède 2.500 euros, étant le montant de la perception immédiate proposée et ce, dans l’espoir de l’amendement [du demandeur]. »
Il s’agit du jugement attaqué.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 195, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, ainsi que de la méconnaissance du principe constitutionnel de la légalité des incriminations et des peines.
Le demandeur fait grief au jugement attaqué de rejeter partiellement son recours sans indiquer, ni dans le dispositif ni dans les motifs, les dispositions légales qui érigent en infraction les faits pour lesquels il a été condamné.
Lorsque le tribunal correctionnel, rejetant comme en l’espèce le recours du contrevenant, confirme l’amende administrative, il ne prononce pas une condamnation pénale et ladite amende conserve sa nature originaire, sans constituer une peine au sens du droit interne.
Il s’ensuit que le juge n’est pas tenu d’énoncer dans le jugement les dispositions légales érigeant le fait en infraction et établissant la sanction, ni de motiver le choix et le degré de celle-ci.
Soutenant le contraire, le moyen manque en droit.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution, 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, 63 à 67, 153, 182 et 190 du Code d’instruction criminelle, 17 du Code judiciaire et 9, § 7, du décret 19 mars 2009 relatif à la conservation du domaine public régional routier et des voies hydrauliques.
Selon le demandeur, le fonctionnaire sanctionnateur régional n’est pas une partie à la cause dans le cadre de la procédure de recours organisée par le décret du 19 mars 2019 à l’encontre d’une décision de sanction administrative. En effet, d’une part, le décret précité dispose en son article 9, § 7, que le recours contre l’amende administrative doit être exercé contre la décision infligeant cette amende administrative et non contre le fonctionnaire sanctionnateur lui-même. D’autre part, les prérogatives de nature juridictionnelle qui sont reconnues à ce fonctionnaire s’opposent à sa présence devant une juridiction de l’Ordre judiciaire, dès lors qu’en tant que représentant du pouvoir exécutif régional, il est légalement habilité à réduire l’amende administrative, le cas échéant en dessous du minimum légal en cas d’admission de circonstances atténuantes, voire à renoncer à la percevoir suite aux moyens de défense exprimés par écrit ou oralement par le contrevenant, ou encore à accorder une mesure de sursis à l’exécution de la sanction administrative.
Le demandeur soutient ensuite que le fonctionnaire sanctionnateur délégué n’a pas qualité à agir dans la mesure où aucune disposition du Code d’instruction criminelle ou d’une loi particulière n’autorise sa présence à la cause en qualité de partie au procès. Enfin, selon lui, l’exercice conjoint d’une fonction répressive et d’une fonction juridictionnelle n’est pas compatible avec les exigences d’un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention.
En vertu de l’article 9, § 7, alinéa 1er, du décret du 19 mars 2009, lorsqu’une amende administrative a été infligée en lieu et place de la sanction pénale, comme en l’espèce, le contrevenant peut introduire un recours devant le tribunal correctionnel où la procédure est réglée par les dispositions du Code d’instruction criminelle, la décision du tribunal n’étant pas susceptible d’appel.
Le recours a pour finalité de permettre un débat contradictoire, lequel suppose la présence de l’autorité ayant infligé la sanction administrative querellée.
Dans le cadre de ce recours, le fonctionnaire sanctionnateur est la partie poursuivante dès lors qu’il exerce, au nom de l’administration, les poursuites par voie d’amende administrative et défend son point de vue.
Dans la mesure où il soutient le contraire, le moyen manque en droit.
La juridiction saisie dans le cadre du recours précité exerce un contrôle de pleine juridiction : le juge est tenu de vérifier si la décision administrative attaquée devant lui est justifiée en fait et en droit et si elle respecte l’ensemble des dispositions législatives et des principes généraux qui s’imposent à l’administration, parmi lesquels le principe de proportionnalité.
Même si le pouvoir de contrôle du juge sur l’amende infligée par l’autorité administrative compétente est comparable au pouvoir d’appréciation de l’administration, la faculté reconnue par la loi au fonctionnaire sanctionnateur d’aménager le taux de la sanction administrative et, le cas échéant, de l’assortir d’une modalité d’exécution, ne lui fait pas acquérir la qualité de juge.
A cet égard également, le moyen manque en droit.
Sur le troisième moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 85 du Code pénal et 9, § 7, du décret du 19 mars 2009 relatif à la conservation du domaine public régional routier et des voies hydrauliques.
Il fait grief au jugement de n’avoir accordé, sous la forme d’un sursis partiel, qu’une réduction conditionnelle et révocable de l’amende administrative infligée, en ayant égard, notamment, à l’absence de tout antécédent dans le chef du demandeur. Selon ce dernier, l’admission de pareille circonstance atténuante devait amener le juge à réduire irrévocablement la sanction administrative infligée.
Il suit de l’article 100 du Code pénal et de l’article 11 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 que, lorsque le décret ne prévoit pas l’application de l’article 85 précité et, a fortiori lorsqu’il établit une règle différente, ledit article 85 ne s’applique pas.
La règle de l’article 9, § 7, alinéa 6, du décret du 19 mars 2009 déroge à celle de l’article 85 du Code pénal.
Partant, le moyen qui invoque la méconnaissance de cette dernière disposition manque en droit.
Conformément à l’article 9, § 7, alinéa 6, du décret précité, le tribunal peut accorder au contrevenant des mesures de sursis à l'exécution. Il peut réduire l'amende administrative au-dessous du minimum légal en cas de circonstances atténuantes.
Il résulte de cette disposition que la réduction de l’amende administrative, en cas d’admission de circonstances atténuantes, n’est qu’une faculté accordée au juge, de même que l’application du sursis.
En tant qu’il revient à soutenir le contraire, le moyen manque également en droit.
Sur le quatrième moyen :
Quant à la première branche :
Pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 1134, 4°, du Code judiciaire, le moyen fait d’abord grief au jugement de se fonder sur des motifs contradictoires, en ce qu’il énonce,
- d’une part, que le tribunal exerce un contrôle de pleine juridiction sur l’amende infligée et,
- d’autre part, qu’il ne peut exercer un contrôle sur l’opportunité de la sanction.
Mais aucune contradiction ne peut se déduire du motif selon lequel le contrôle de pleine juridiction n’autorise pas le juge saisi du recours du contrevenant à remettre en cause l’opportunité d’appliquer une amende administrative aux faits demeurés établis devant lui.
A cet égard, le moyen manque en fait.
Le demandeur reproche ensuite au jugement attaqué de contenir une contradiction entre ses motifs et son dispositif.
Mais il n’est pas contradictoire, d’une part, de refuser d’octroyer la suspension du prononcé de la condamnation dans cette matière relative à la conservation du domaine public régional routier, aux motifs que « la décision du fonctionnaire sanctionnateur ne constitue pas une 'condamnation' telle que prévue par la loi du 29 juin 1964 » et « qu’une sanction administrative ne présente pas chez ceux qui en font l’objet le même risque de déclassement social ou d’atteinte à l’accès à l’emploi qu’une condamnation pénale » et, d’autre part, d’accorder au demandeur, dans l’espoir de son amendement, un sursis partiel à l’exécution de l’amende administrative par application de l’article 9, § 7, alinéa 6, du décret du 19 mars 2009, disposition qui réserve expressément cette faculté au fonctionnaire sanctionnateur.
A cet égard également, le moyen manque en fait.
Quant à la deuxième branche :
Le demandeur soutient que la décision de refus d’octroi de la mesure de suspension du prononcé de la condamnation sollicitée méconnaît l’article 3 de la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation et le prive de son droit à un procès équitable garanti, notamment, par l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Selon lui, les décisions rendues par toute autorité administrative ne remplissant pas les conditions de cette dernière disposition doivent pouvoir être soumises au contrôle ultérieur d’un « organe judiciaire de pleine juridiction » ayant le pouvoir d’annuler ces décisions sur tous les points de fait ou de droit.
Mais le moyen n’indique pas en quoi ces dispositions devraient conduire le juge à accorder une suspension du prononcé de la condamnation, alors que le décret n’en donne pas le pouvoir au fonctionnaire sanctionnateur qui a pris la décision querellée.
À cet égard, imprécis, il est également irrecevable.
Quant à la troisième branche :
Le demandeur sollicite que la Cour pose à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :
« L’article 9 du décret du 19 mars 2009, interprété en ce sens qu’il ne permet pas au tribunal correctionnel statuant sur recours d’une décision administrative, d’accorder le bénéfice de la suspension du prononcé au contrevenant qui la sollicite et est dans les conditions pour en bénéficier, alors que ce même contrevenant bénéficierait de cette possibilité si le procureur du Roi décidait d’intenter des poursuites pénales, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? »
La question soulevée par le demandeur repose sur l’affirmation que les prévenus, dans les circonstances précitées, se trouvent dans la même situation et doivent être, par conséquent, traités de la même façon.
Mais le recours organisé devant le tribunal correctionnel contre la décision de sanction administrative n’a pas pour effet de rendre vie à l’action publique éteinte par la décision du procureur du Roi et seule susceptible d’aboutir à une condamnation pénale.
Comme il a été précisé en réponse au premier moyen, lorsque le tribunal correctionnel rejette, comme en l’espèce le recours, et confirme l’amende administrative, il ne prononce pas une condamnation pénale susceptible de faire l’objet d’une mesure de suspension du prononcé de la condamnation et ladite amende conserve sa nature originaire, sans constituer une peine au sens du droit interne.
Partant, la loi ne traite pas différemment deux catégories de prévenus se trouvant dans une même situation juridique et auxquels s’appliquent des règles différentes.
Reposant sur une prémisse inexacte, la question préjudicielle ne doit pas être posée.
Sur le cinquième moyen :
Le moyen reproche au tribunal d'avoir rejeté le recours du demandeur sans vérifier l'existence de l'élément moral de l'infraction qu'il a contesté dans ses conclusions en soutenant qu'il ne pouvait être tenu pour responsable du chargement effectué par une tierce personne et qu’il ne disposait pas des moyens de vérifier la manière dont la charge a été effectuée et répartie sur les essieux.
L’article 5, § 3, du décret du 19 mars 2009 dispose que sont punissables d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de 75 euros à 75.000 euros, ou d'une de ces peines seulement, ceux qui conduisent un véhicule ou un train de véhicules dont la masse sur les essieux excède, sans préjudice de l'application de la tolérance de mesure de l'appareil de pesage, le maximum autorisé.
Cette disposition impute au conducteur du véhicule en surcharge l’infraction qu’elle incrimine.
L'élément fautif de cette infraction se déduit du non-respect par le prévenu du prescrit légal, découlant de l'adoption du comportement matériel prohibé sans que ce prévenu puisse invoquer une cause de justification.
Dans la mesure où il soutient que, pour déclarer l’infraction établie, il appartient au ministère public et à l’autorité administrative de démontrer que le chauffeur aurait réalisé seul le chargement ou que des moyens de vérifier la charge auraient été mis à la disposition de ce dernier, le moyen manque en droit.
Le jugement énonce que le fait qu'un tiers soit chargé de remplir le camion est sans incidence sur la responsabilité de l'utilisateur du véhicule chargé, quiconque utilisant celui-ci étant tenu de s'assurer que le poids en charge n'est pas supérieur au poids maximal autorisé, même s'il n'a pas chargé lui-même le véhicule.
A la défense du demandeur selon laquelle il ne disposait pas des moyens de vérifier la manière dont la charge a été effectuée et répartie sur les essieux, le jugement oppose que « le [demandeur] ne démontre pas qu’il n’aurait effectivement pas eu la faculté de connaître avec précision la masse totale ou la masse sur essieux chargée. Il est en mesure de disposer de ces informations, compte tenu des dispositifs généralement mis en place par les chargeurs […] ».
Par ces considérations, qui ne renversent pas la charge de la preuve, mais qui se limitent à constater que la cause de justification n’est pas alléguée de manière vraisemblable, le tribunal a régulièrement motivé et légalement justifié sa décision.
Le lien de subordination juridique consistant dans l’obligation du travailleur d'agir conformément aux ordres et aux instructions qui lui sont données par l'employeur, ses mandataires ou ses préposés, en vue de l'exécution du contrat, en application de l’article 17, 2°, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, n’est pas de nature à exonérer le chauffeur de sa responsabilité pénale, en sa qualité d’agent de l’infraction.
Revenant à soutenir que le demandeur ne pouvait pas exiger une diminution de la charge transportée ou refuser d’effectuer le transport, à peine de commettre une faute contractuelle, le moyen manque, à cet égard, en droit.
Dans la mesure où il soutient que le procès-verbal de vérification périodique du pont de pesage, auquel le procès-verbal initial du 5 février 2018 fait référence, devait être versé au débat et soumis à la contradiction pour valider la constatation d’une surcharge, le moyen manque également en droit.
En décidant que « la preuve contraire n’est pas apportée par la partie [demanderesse], alors même que le bon étalonnement et le contrôle du dispositif de pesage ressortent à suffisance des mentions apportées par l’agent domanial dans le procès-verbal », le tribunal n’a pas renversé les règles relatives à la charge de la preuve.
Soutenant le contraire, le moyen ne peut, à cet égard, être accueilli.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quatre-vingts euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-neuf octobre deux mille vingt-deux par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.