N° P.22.1235.F
N.V.M.,
étranger, privé de liberté,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Patrick Huget, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 23, où il est fait élection de domicile,
contre
ETAT BELGE, représenté par le secrétaire d’Etat à l'Asile et la migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, rue Lambermont, 2,
défendeur en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 16 septembre 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 8.17 et 8.18 du Livre 8 du Code civil et de la foi due aux actes, ainsi que des articles 62, § 2, 71 et 72 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, et 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.
Le demandeur soutient que l’arrêt ne répond pas à ses conclusions dans lesquelles il n’a pas, comme l’arrêt l’affirme, « fustig?é? le caractère stéréotypé du document querellé », mais a fait valoir qu’« à la lecture du questionnaire, il n’apparaît pas ?…? qu’il ait été complété au terme d’une assistance minutieuse par la police ?…? », que « le questionnaire complété est un questionnaire ‘procédure frontière’ qui indique notamment que le requérant est entendu ‘parce qu’il n’est pas autorisé à entrer en Belgique’ », que « ?ce questionnaire est? dès lors étranger aux circonstances de la cause », qu’« il ne reprend d’ailleurs pas les dispositions légales sur lesquelles la décision querellée entend pourtant se fonder, à savoir les articles 3 et 8 de la CEDH et l’article 74/13 de la loi du 15 décembre 1980 », que « la décision est stéréotypée dans la mesure où elle ne reprend aucunement les propos tenus par la partie requérante », que « partant, la décision ?…? est inadéquatement motivée en fait », qu’« il n’est pas établi que les articles 3 et 8 de la CEDH et 74/13 de la loi du 15 décembre 1980 aient été respectés » et que « la motivation retenue, qui affirme le contraire, est dès lors inadéquate compte tenu des carences relevées ».
En ayant considéré que le demandeur « fustig?e? le caractère stéréotypé du document querellé », les juges d’appel n’ont pas donné, des conclusions du demandeur, une interprétation inconciliable avec leurs termes.
A cet égard, soutenant que, par cette considération, l’arrêt viole la foi due à ces conclusions, le moyen ne peut être accueilli.
L’obligation de motiver les jugements et arrêts et de répondre aux conclusions d’une partie est remplie lorsque la décision comporte l’énonciation des éléments de fait ou de droit à l’appui desquels une demande, une défense ou une exception sont accueillies ou rejetées. Le juge n’est pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
L’arrêt considère que « le fait qu’un questionnaire identique soit systématiquement soumis à un étranger dépourvu d’un titre régulier de séjour n’énerve en rien le caractère individuel de l’examen opéré par l’autorité administrative, la teneur des réponses permettant la mise en œuvre d’un contrôle individualisé ».
La cour d’appel a également jugé que « la décision de maintien dans un lieu déterminé n’est pas entachée d’erreur de fait ou d’erreur manifeste d’appréciation » et que « [cette décision] envisage les éventuelles contre-indications notamment à l’aune des articles 3 et 8 C.E.D.H. et y répond adéquatement ».
Par ces motifs, qui visent tant le questionnaire que la décision administrative de privation de liberté, les juges d’appel ont répondu aux conclusions du demandeur et ont régulièrement motivé leur décision.
A cet égard également, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et 71, alinéa 1er, et 72, alinéas 1er et 5, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.
Le demandeur fait grief à l’arrêt de déclarer légale sa privation de liberté par la police au regard de l’article 2, alinéa 2, 3°, de la loi du 7 juin 1969 fixant le temps pendant lequel il ne peut être procédé à des perquisitions, visites domiciliaires ou privations de liberté, en s’appuyant sur le procès-verbal de la police renseignant les circonstances de son arrestation, alors que cette pièce déposée par le défendeur à l’audience ne figurait pas dans le dossier administratif soumis à la chambre du conseil.
Il ne résulte d’aucune disposition que la chambre des mises en accusation, lorsqu’elle examine le fondement d’un moyen pris de l’illégalité alléguée de l’arrestation de l’étranger par la police dans l’attente de la décision du ministre, ne puisse pas avoir égard au procès-verbal relatant les circonstances de l’arrestation, même si cette pièce n’a pas été déposée devant le premier juge.
Soutenant le contraire, le moyen manque en droit.
Sur le troisième moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 1er, §§1er, 11° et 2, 7, alinéa 3, 62, § 2, alinéa 1er, et 74/14, § 3, 1°, de la loi du 15 décembre 1980, et 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, ainsi que, en substance, la méconnaissance du principe général du droit de bonne administration.
Il reproche à la cour d’appel d’avoir jugé la décision de rétention conforme à la loi, alors qu’il ne ressort pas de la « motivation retenue » que le défendeur ait constaté l’existence du risque de fuite du demandeur au terme d’une appréciation réelle, actuelle et individualisée de sa situation.
Dans la mesure où il soutient que la motivation de la décision de rétention ne fait pas apparaître que le risque de fuite résulte d’une appréciation actuelle et individualisée de celui-ci, le moyen ne critique pas l’arrêt attaqué et est, partant, irrecevable.
L’arrêt énonce que « l’Office des étrangers estime que l’absence dans le chef de l’étranger d’un titre régulier de séjour et d’une quelconque procédure de régularisation laissent craindre un risque de fuite » et que « ce faisant, l’autorité administrative applique adéquatement la lecture combinée des articles 1er, § 2, et 7 de la loi du 15 décembre 1980 aux fins de démontrer l’existence prégnante d’un risque de fuite et l’impossibilité de mettre en œuvre la mesure d’éloignement sans recourir à une mesure de maintien dans un lieu déterminé ». Les juges d’appel ont, en outre, considéré que la décision de maintien n’était pas entachée d’erreur de fait ou d’erreur manifeste d’appréciation.
Il ressort de ces motifs que la cour d’appel a jugé que le défendeur avait privé le demandeur de sa liberté au terme d’une appréciation actuelle et individuelle du risque de fuite.
Dans la mesure où il soutient que la motivation de l’arrêt attaqué ne fait pas apparaître que les juges d’appel ont vérifié si le défendeur avait légalement apprécié l’existence du risque de fuite dans le chef du demandeur, le moyen manque en fait.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés à la somme de soixante-sept euros septante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-neuf octobre deux mille vingt-deux par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.