N° P.22.1561.F
AXA BELGIUM, société anonyme,
partie intervenue volontairement,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Charles Devillers, avocat au barreau du Brabant wallon,
contre
1. R. L.,
2. APK INFRA, société anonyme,
parties civiles,
défenderesses en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 21 octobre 2022 par le tribunal correctionnel du Brabant wallon, statuant en degré d’appel.
La demanderesse invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LES FAITS
T. B., assuré de la demanderesse Axa Belgium, s’est vu poursuivre du chef d’imprégnation alcoolique, perte de contrôle de son véhicule et coups ou blessures involontaires.
Il s’agit d’un accident de la circulation routière survenu à Waterloo le 9 mai 2019. Le véhicule du prévenu est entré en collision avec celui de L. R., laquelle s’apprêtait à garer sa voiture.
La collision a endommagé un troisième véhicule appartenant à la société anonyme APK Infra.
Axa Belgium est intervenue volontairement devant le premier juge.
L. R. et APK Infra, parties civiles, ont postulé la condamnation solidaire du prévenu et de son assureur à indemniser leurs dommages.
En cours de procédure, la société APK Infra a cité directement L. R. du chef d’avoir négligé de régler sa vitesse, de ne pas avoir pu s’arrêter devant un obstacle prévisible, et d’avoir omis de céder le passage alors qu’elle exécutait une manœuvre.
Le jugement du tribunal de police condamne T. B. du chef d’imprégnation alcoolique et perte de contrôle de son véhicule. Par contre, il acquitte L. R. des infractions de roulage mises à sa charge. Toute la responsabilité de l’accident est donc mise à charge du premier conducteur.
Au civil, le jugement entrepris condamne le prévenu B. et son assureur, Axa, à payer des indemnités aux deux parties civiles.
Les condamnés ont relevé appel de ce jugement.
La décision attaquée dit les appels non fondés.
Le débouté des appelants est motivé, en substance, comme suit : pour démontrer que son assuré, T. B., n’a commis aucune faute en relation causale avec l’accident, l’assureur fait valoir que L. R. est coupable des négligences que la partie citante directement lui avait imputées. Or, le tribunal ne peut rechercher l’existence d’une faute éventuelle dans le chef de la conductrice acquittée, sans méconnaître la présomption d’innocence garantie par l’article 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le moyen :
Quant à la seconde branche :
La présomption d’innocence garantie par l’article 6.2 de la Convention ne prive pas la victime d’un délit de la possibilité de réclamer, au prévenu acquitté, la réparation de son dommage conformément au droit de la responsabilité civile, pourvu que le juge saisi de ce litige ne statue pas sur le caractère délictueux de la faute imputée audit prévenu et n’exprime pas un doute quant à la culpabilité de celui-ci, au regard des faits dont il a été acquitté.
De même, cette présomption ne prive pas le prévenu condamné et son assureur, appelants au civil, du droit de se défendre de l’action civile exercée contre eux, en soutenant, nonobstant l’acquittement de leur adversaire, prévenu et partie civile, que l’accident est uniquement imputable aux fautes commises par ce dernier.
S’il devait en être jugé autrement, l’assureur se verrait privé du droit de contredire utilement, en degré d’appel, la décision mettant la responsabilité de l’accident à charge de l’assuré, ce qui limiterait indûment son droit à un procès équitable et à un accès au tribunal.
Le juge d’appel n’a, dès lors, pas légalement justifié sa décision.
Le moyen est fondé.
Il n’y a pas lieu d’examiner la première branche, qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué en tant qu’il statue sur l’appel formé par la société anonyme Axa Belgium contre les décisions rendues sur les actions civiles exercées contre elle par les deux défenderesses ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé ;
Réserve les frais pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, au tribunal correctionnel du Brabant wallon, siégeant en degré d’appel, autrement composé.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du trente et un mai deux mille vingt-trois par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.