N° P.21.1495.F
1. HILLEGEER Bruno, né à Charleroi le 20 février 1982,
2. PEIFFER Isabelle, née à Louvain le 3 octobre 1983,
prévenus,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250/10, où il est fait élection de domicile, et ayant pour conseil Maître Ronald Fonteyn, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
LE FONCTIONNAIRE DELEGUE A LA REGION DE BRUXELLES-CAPITALE,
partie intervenue volontairement,
défendeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Philippe Lardinois, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Etterbeek, avenue des Gaulois, 15/11, où il est fait élection de domicile.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 27 octobre 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LES FAITS
Les demandeurs sont les propriétaires d’un immeuble situé à Ixelles, rue du Parnasse, n° 26.
A la suite d’une visite domiciliaire effectuée le 26 février 2013, un procès-verbal de constat d’infractions a été établi le 13 mars 2013 par les services de l’urbanisme de la commune d’Ixelles. Un agent communal technique a relevé l’irrégularité, sur le plan urbanistique, de plusieurs travaux effectués dans l’immeuble précité.
Par son arrêt du 27 octobre 2021, la cour d’appel a condamné chacun des demandeurs à une peine d’amende, avec sursis, de mille euros, portée par application de la loi sur les décimes additionnels à un montant de huit mille euros, du chef d’avoir, entre le 19 décembre 2011 et le 27 février 2013, sans permis d’urbanisme préalable, réalisé des aménagements structurels dans l’immeuble litigieux (prévention A.1 limitée), modifié l’aspect extérieur de sa façade (prévention A.2), modifié son utilisation, de maison unifamiliale en kots d’étudiants, et porté d’une à quinze unités le nombre de logements en son sein (prévention A.3 requalifiée), ainsi que du chef d’avoir, entre le 25 février 2013 et le 27 février 2017, maintenu sur le bien les infractions précitées (prévention B limitée), et ce en violation des articles 98, § 1er, alinéa 1er, 1°, 2° et 5°, 300, 1° et 2°, et 306 du Code bruxellois de l'aménagement du territoire, dans leur version applicable aux faits.
Statuant sur la demande du fonctionnaire délégué, la cour d’appel a ordonné aux demandeurs la remise en état du bien par le rétablissement dans les lieux d’une unité de logement, la suppression des travaux structurels réalisés sans autorisation dans l’immeuble, ainsi que la restauration de la façade dans sa couleur d’origine, le tout dans un délai d’un an à dater de la signification de l’arrêt, sous peine d’une astreinte.
Il s’agit de l’arrêt attaqué.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que les pourvois sont dirigés contre les décisions rendues sur l’action publique exercée à charge des demandeurs :
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
Le moyen est pris de la violation des articles 98, § 1er, 5°, 300, 1° et 2°, 306 et 307 du Code bruxellois de l’aménagement du territoire. Il est reproché à l’arrêt de méconnaître la notion légale de changement d’utilisation d’un bien.
L’arrêt considère que l’immeuble litigieux n’a pas fait l’objet d’une colocation portant sur un logement unique mais qu’il s’est vu diviser en plusieurs logements privatifs affectés, fût-ce au moyen d’un seul contrat, à quinze preneurs, chacun occupant le logement qu’il s’est choisi et payant son loyer et ses charges de manière individuelle, sans aucune solidarité entre eux.
La cour d’appel n’a pas, de la sorte, méconnu la notion légale invoquée.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième branche :
Les demandeurs soutiennent que les juges d’appel ont méconnu la notion légale de logement et violé les dispositions visées au moyen en décidant que la transformation de leur immeuble constitue une modification du nombre de logements dans les lieux, passé d’une à quinze unités, alors que l’arrêt ne conteste pas l’existence de quinze chambres préexistantes à la transformation et relève la présence de pièces communes, comme la cuisine, le salon et la salle à manger, ce qui exclut la création de nouvelles unités de résidence autonomes.
En vertu de l'article 98, § 1er, alinéa 1er, 12°, du Code bruxellois de l’aménagement du territoire, dans sa version applicable au moment des faits, nul ne peut, sans un permis préalable, modifier le nombre de logements dans une construction existante.
Le juge apprécie souverainement en fait si une construction comporte une ou plusieurs unités de logement.
À défaut de définition spécifique, la notion de logement doit s’entendre, quant à l’incrimination, dans son sens usuel.
En l’espèce, les juges d’appel ont relevé les éléments suivants :
- au niveau de la situation en droit pour la commune, l'immeuble est destiné au logement et utilisé comme une habitation unifamiliale ;
- la commune a refusé, le 9 mars 2010, la transformation de cette maison en quatre appartements ;
- lors de la visite de l'immeuble, le 26 février 2013, il a été constaté que la maison unifamiliale avait été divisée en quinze kots pour étudiants, soit trois au rez-de-chaussée, un à l'entresol, trois au premier étage, trois au deuxième étage, trois au troisième étage et deux au grenier, qu’une cuisine, un salon et une salle à manger se trouvaient au sous-sol et que chaque étage comportait des toilettes et une salle d'eau ;
- le demandeur a produit le 20 décembre 2016 une copie d’un bail dit de colocation, aux termes duquel quinze locataires sont énumérés et identifiés ; d’une manière contradictoire, il y est mentionné, d’une part, que les colocataires sont, de manière solidaire et indivisible, responsables des obligations du contrat et, d’autre part, que chaque locataire est responsable de sa seule part de loyer et des charges ;
- le demandeur signe le bail, comme caution solidaire et indivisible pour les locataires à concurrence de tout montant dû en exécution du contrat, cette clause ayant, suivant le demandeur, pour objectif de rassurer ces locataires sur la circonstance qu’il s’engageait à ce que, nonobstant les termes du contrat, aucun locataire ne doive assumer le défaut de paiement de la quote-part d’un autre.
Pour considérer que la thèse de la colocation avancée par les demandeurs ne correspondait pas à la réalité, les juges d’appel ont considéré que
- les prétendus colocataires ne se partagent pas entre eux les espaces, chacun occupant un logement propre qu’il a personnellement choisi ;
- le contrat comprend une répartition individuelle des loyers et des charges pour chaque prétendu colocataire, en fonction de chaque logement occupé ;
- s’il est indiqué que les prétendus colocataires sont indivisiblement responsables des obligations du contrat, chacun connaît sa part du loyer et des charges et est seul responsable du paiement ; il n’existe aucune solidarité entre les locataires ;
- la circonstance que des locataires sont amenés à utiliser des lieux en commun ne crée pas nécessairement une colocation au sens légal du terme.
Sur ce fondement, les juges d’appel ont pu légalement décider que la transformation que les prévenus ont opérée de leur immeuble en chambres meublées ou kots pour étudiants constitue une modification du nombre de logements dans les lieux, laquelle est soumise à la délivrance d’un permis d’urbanisme préalable.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
Les demandeurs accusent l’arrêt de se contredire en relevant, d’une part, que les prétendus colocataires ne se partagent pas entre eux les espaces et, d’autre part, qu’il s’agit de plusieurs locataires de kots individuels qui partagent toutefois certains lieux communs de l’immeuble.
Les espaces que l’arrêt exclut du partage concernent l’ensemble des pièces de l’immeuble. Les parties qualifiées communes ne concernent que trois pièces en sous-sol, outre les sanitaires.
Ainsi, l'arrêt n'encourt pas le grief de contradiction que le moyen lui prête.
Le moyen manque en fait.
Quant à la quatrième branche :
Les demandeurs ont fait valoir qu’à supposer avérée la modification de l’utilisation du bien, cette modification ne requiert pas de permis d’urbanisme, dès lors qu’elle n’est pas reprise dans la liste fixée par le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale.
L’arrêt répond à cette défense en énonçant que les demandeurs n’ont pas seulement modifié l’utilisation de leur bien mais ont créé quinze unités de logement là où il n’y en avait qu’une, et que cette multiplication est soumise à la délivrance d’un permis d’urbanisme préalable, ce dont les prévenus se sont abstenus.
Le moyen manque en fait.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
B. En tant que les pourvois sont dirigés contre la décision rendue sur les mesures de réparation sollicitées par le défendeur :
Les demandeurs ne font valoir aucun moyen spécifique.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés à la somme de cent vingt-sept euros onze centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du quatre octobre deux mille vingt-trois par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.