N° P.23.0636.F
I. S. S.,
prévenu,
ayant pour conseils Maîtres O. Martins et Justine Doigni, avocats au barreau de Bruxelles,
II. S. A.,
prévenu, détenu,
ayant pour conseil Maître Deborah Albelice, avocat au barreau de Bruxelles,
III. et IV. K. Y. L.,
prévenu, détenu,
ayant pour conseil Maître Cédric Moisse, avocat au barreau de Bruxelles,
V. L. O.,
prévenu, détenu sous surveillance électronique,
ayant pour conseils Maîtres Benoît Lemal et Damien Holzapfel, avocats au barreau de Bruxelles,
VI. M. R.,
prévenu, détenu,
ayant pour conseil Maître Gelu Buzincu, avocat au barreau de Bruxelles,
VII. J. M.,
prévenu, détenu,
ayant pour conseils Maîtres Ricardo Bruno et Jean-Philippe et Quentin Mayence, avocats au barreau de Charleroi,
VIII. S. M.,
prévenu, détenu,
ayant pour conseil Maître Delphine Paci, avocat au barreau de Bruxelles,
demandeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 7 avril 2023 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Dans six mémoires annexés au présent arrêt, en copie certifiée conforme, les demandeurs sub I. à VII. invoquent dix-neuf moyens.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a déposé des conclusions reçues au greffe le 7 novembre 2023 auxquelles les demandeurs sub I., II. et VII. ont répliqué chacun par une note déposée au greffe le 18 décembre 2023.
À l’audience du 20 décembre 2023, le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de S. S. :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 779 et 837, alinéa 1er, du Code judiciaire.
Le demandeur reproche aux juges d’appel d’avoir poursuivi l’examen de la cause à l’audience du 17 novembre 2022, malgré le dépôt, à la même date, d’une requête en récusation visant ces magistrats, qui en avaient été informés. Le demandeur fait également grief aux juges d’appel d’avoir, dans les mêmes circonstances, à l’audience du 24 novembre 2022, sous la présidence d’un autre magistrat que celui qui a assisté aux débats, remis une seconde fois l’examen de la cause.
Conformément à l’article 837, alinéa 1er, du Code judiciaire, à compter du jour de la communication de la requête en récusation au juge ainsi visé, tous jugements et opérations sont suspendus.
La décision, après avis du ministère public, de remettre l’examen de la cause dans l’attente qu’il ait été statué sur les mérites d’une requête en récusation ne constitue ni un jugement ni une opération réalisée en vue de celui-ci.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
En vertu de l’article 779 du Code judiciaire, les juges qui rendent la décision doivent avoir assisté à toutes les audiences où la cause a été instruite.
Le demandeur fait valoir qu’à l’audience du 24 novembre 2022, le siège n’était pas composé de la même manière qu’aux audiences antérieures et subséquentes.
Mais il ressort du procès-verbal de cette audience que la cour d’appel s’y est bornée à remettre l’examen de la cause sans l’instruire.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Quant à la première branche :
Le moyen reproche à la cour d’appel d’avoir fondé sa décision selon laquelle elle avait été valablement saisie de la prévention A.3 de détention et de vente illicites de stupéfiants, sur un motif que le demandeur estime prépondérant et qui viole la foi due aux actes : à l’appui de cette décision, l’arrêt considère qu’aucun recours n’a été formé contre l’ordonnance de la chambre du conseil du 25 septembre 2020, alors que, au contraire, le demandeur a interjeté appel de cette ordonnance, que la cour d’appel a déclaré l’appel irrecevable, qu’il s’est ensuite pourvu en cassation, qu’il s’est désisté de ce recours, et que la Cour a décrété le désistement.
Le moyen expose également que les actes dont les juges d’appel ont violé la foi qui leur est due, en l’occurrence les déclarations d’appel et de pourvoi en cassation, ainsi que l’arrêt de la Cour décrétant le désistement, ne figurent pas au dossier transmis à la Cour, et, par conséquent, sollicite que ces pièces soient jointes à la procédure.
Le moyen n’indique pas en quoi la constatation qu’un recours déclaré irrecevable a été exercé contre l’ordonnance du 25 septembre 2020 ou qu’un pourvoi en cassation dont le demandeur s’est désisté a été formé, au lieu de l’énonciation de l’arrêt attaqué qu’aucun appel ni pourvoi en cassation n’a été formé, aurait dû conduire les juges d’appel à prendre une autre décision relativement à la validité de leur saisine quant aux faits de la prévention précitée.
Dénué d’intérêt, le moyen est irrecevable et il n’y a pas lieu de joindre les pièces invoquées.
Quant à la seconde branche :
Le moyen est pris de la violation de l’article 149 de la Constitution. Le demandeur reproche aux juges d’appel de ne pas avoir répondu à ses conclusions qui faisaient valoir l’illégalité de la procédure ayant mené à la rectification, par une ordonnance du 25 septembre 2020, de l’ordonnance de renvoi, rendue le 29 mai 2020.
L’obligation faite au juge de motiver sa décision est une règle de forme, étrangère à la valeur des motifs.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse, le moyen manque en droit.
À la page 58 de l’arrêt, d’une part, les juges d’appel ont énoncé que la loi ne donne pas au juge du fond le pouvoir de se prononcer sur la légalité des décisions des juridictions d’instruction et qu’une ordonnance de renvoi saisit le juge du fond de la cause, pour autant que cette décision ne contienne pas d’illégalité quant à la compétence. La cour d’appel ajoute que pareille décision rendue sur le règlement de la procédure conserve ses effets tant qu’elle n’a pas été annulée par la Cour de cassation. Elle a encore précisé que le juge du fond est seulement habilité à constater l’irrégularité de sa saisine lorsque l’ordonnance de renvoi contient une illégalité ou un vice de forme flagrant qui la rend inexistante. L’arrêt conclut en considérant que la décision par laquelle la chambre du conseil a rectifié une précédente ordonnance, muette à propos d’une prévention, ne pouvait « être considérée comme viciée de manière flagrante ou comme inexistante car dépourvue d’authenticité », l’inculpation litigieuse étant bien visée dans le réquisitoire du ministère public. D’autre part, estimant que la contestation du demandeur était mal ajustée car elle portait en réalité, selon l’arrêt, sur la saisine du juge du fond et non sur sa compétence, les juges d’appel ont indiqué qu’ « il ne sera[it] dès lors pas répondu plus amplement sur la demande de voir la cour se déclarer incompétente, aucun autre grief n’ayant été invoqué à ce sujet ».
Ces motifs répondent à la défense proposée et l’arrêt est, dès lors, régulièrement motivé.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 et 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de la méconnaissance du droit à un procès équitable et de la présomption d’innocence.
Le demandeur invite la Cour à constater qu’à la lecture de l’arrêt attaqué, les griefs qu’il avait invoqués à l’appui d’une demande de récusation sont à présent avérés, de sorte que, dès l’entame des débats, les juges d’appel étaient convaincus de sa culpabilité. Selon le moyen, ce préjugé défavorable ressort des motifs de l’arrêt relatifs à la valeur probante des déclarations du témoin C. qui ont été admises au rang des éléments formant la preuve de la culpabilité du demandeur, malgré leur versatilité, les variations des dires du demandeur lui-même étant quant à elles considérées comme révélant l’absence de vraisemblance de ses explications.
La présomption d’innocence dont bénéficie le prévenu s’impose au juge jusqu’au moment où il se prononce sur le fond des accusations portées contre ledit prévenu.
Dès lors, de la circonstance que les juges d’appel ont estimé que certains des éléments à charge qui leur étaient présentés concordaient à établir la culpabilité du demandeur alors que d’autres, qualifiés par la défense d’éléments à décharge, n’ont pas paru vraisemblables à la cour d’appel, il ne saurait se déduire que celle-ci a méconnu la présomption d’innocence.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
En tant qu’il invite la Cour à censurer l’appréciation, par les juges d’appel, de la valeur des déclarations respectives d’un témoin et du demandeur, le moyen requiert un examen des éléments de fait de la cause, lequel n’est pas au pouvoir de la Cour.
À cet égard, le moyen est irrecevable.
Et en tant qu’il revient à réitérer les griefs qui furent vainement invoqués à l’appui de la demande tendant à la récusation du président de la chambre qui a rendu l’arrêt attaqué, le moyen, étranger à cette décision, est également irrecevable.
Sur le quatrième moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 149 de la Constitution.
Il reproche aux juges d’appel de ne pas avoir répondu aux conclusions du demandeur qui y contestait être visé par des poursuites relatives à un trafic de stupéfiants commis dans le cadre des activités d’une association. À cet égard, le demandeur fait valoir qu’il n’avait été inculpé de pareil fait commis dans le cadre des activités d’une association ni par le juge d’instruction ni par le ministère public, dont les réquisitions se bornaient à énoncer, contre lui, l’existence de charges relatives à un trafic de stupéfiants.
Le juge n’est tenu de répondre qu’aux moyens, c’est à dire à l’énonciation par une partie d’un fait, d’un acte ou d’un texte d’où, par un raisonnement juridique, cette partie prétend déduire le bien-fondé d’une demande, d’une défense ou d’une exception.
Ainsi, le juge n’est pas tenu de répondre à un moyen indifférent à la solution du litige.
D’une part, lorsque la cause a fait l’objet d’une instruction préparatoire, la saisine du juge du fond n’est déterminée ni par la qualification donnée aux faits aux termes de l’inculpation dont le prévenu a été l’objet ni par celle retenue par la partie poursuivante dans ses réquisitions. C’est la décision de la juridiction d’instruction, statuant sur le règlement de la procédure, qui détermine cette saisine.
Et d’autre part, en degré d’appel, c’est la déclaration d’appel et la requête contenant les griefs qui déterminent la saisine du juge.
Partant, les juges d’appel n’étaient pas tenus de répondre à un moyen indifférent à la détermination de la saisine du juge du fond.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le cinquième moyen :
Le moyen reproche aux juges d’appel d’avoir violé la foi due au jugement du 3 décembre 2018, qui fonde l’état de récidive légale et spécifique : selon le demandeur, contrairement à ce qu’énonce l’arrêt, le tribunal, aux termes de ce jugement, n’a pas estimé que ses dénégations, à l’époque, n’étaient « absolument pas crédibles ».
Selon le jugement susvisé, qui reprend d’abord la teneur des déclarations du demandeur et ses explications, celui-ci, au vu des circonstances de fait que le tribunal a énumérées, « ne pouvait pas ignorer la présence des plants de cannabis dans l’immeuble où il soutient qu’il résidait » et « il ne fait dès lors aucun doute que [le demandeur] participait à la gestion de la plantation au même titre que le coprévenu […] ».
Ainsi, sans donner du jugement du 3 décembre 2018 une interprétation inconciliable avec ses termes, les juges d’appel ont pu considérer que le tribunal correctionnel avait estimé que les dénégations du demandeur n’étaient « absolument pas crédibles ».
Le moyen manque en fait.
Sur le sixième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Quant à la première branche :
Le moyen reproche aux juges d’appel de ne pas avoir répondu à la défense qui, à titre subsidiaire, invitait la cour à prononcer une sanction proportionnée aux circonstances de la cause et à la personnalité du demandeur.
Le juge n’est tenu de répondre qu’aux moyens, c’est à dire à l’énonciation par une partie d’un fait, d’un acte ou d’un texte d’où, par un raisonnement juridique, cette partie prétend déduire le bien-fondé d’une demande, d’une défense ou d’une exception. Le juge n’est pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
Aux pages 351 et suivantes de l’arrêt, les juges d’appel ont relevé que le demandeur présentait de nombreux antécédents judiciaires, après avoir bénéficié de mesures éducatives du temps de sa minorité. Ils ont estimé regrettable que le demandeur n’ait pas saisi les chances qui lui avaient été données en 2009, 2012, 2018 et 2021 sous la forme de sursis probatoires et de peines de travail, une partie des faits déclarés établis ayant de surcroît été commis en période probatoire. Ils ont relevé que le demandeur n’avait pas respecté toutes les conditions fixées lors de sa remise en liberté et que, après les faits déclarés établis, il avait encore été condamné en raison d’actes de violence familiale. Ils ont ensuite constaté que le demandeur était en état de récidive légale et spécifique. Après avoir énuméré les éléments de sa personnalité relatifs à sa situation familiale, sociale, professionnelle et thérapeutique, communiqués par celui-ci durant l’enquête et devant la cour d’appel, et après avoir relevé les difficultés relatées par la Maison de justice à propos du suivi des mesures encadrant la libération du demandeur, les juges d’appel ont considéré que la gravité de son comportement, qualifié d’asocial, justifiait de lui infliger une peine d’emprisonnement de six ans, afin de protéger la société et de faire prendre conscience au demandeur de la gravité de ses actes en le dissuadant de récidiver. Quant à l’amende appliquée, les juges d’appel ont indiqué qu’elle était proportionnelle aux profits escomptés ou réalisés, mais aussi aux revenus apparents de l’intéressé.
Ainsi, les juges d’appel ont légalement justifié leur décision que, nonobstant les éléments de personnalité communiqués par le demandeur, les peines qui lui ont été infligées étaient proportionnées aux circonstances de fait de la cause, sans qu’ils soient tenus en outre d’indiquer pourquoi ils n’appliquaient pas des modalités que la loi interdisait en raison de la hauteur de la peine infligée, ou de constater qu’ils ont eu égard à un principe dit, selon le demandeur, de proportionnalité.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le moyen reproche aux juges d’appel d’avoir infligé au demandeur une peine qui, en raison de sa hauteur et des effets indirects qu’elle va induire sur l’exécution d’autres sanctions, revêt un caractère disproportionné et emportera l’application d’un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.
En tant qu’il critique le choix, par les juges d’appel, des peines appliquées et leur décision d’en arrêter la hauteur, le moyen, qui exige une appréciation d’éléments de fait, pour laquelle la Cour est sans pouvoir, est irrecevable.
Et en tant qu’il revient à soutenir que le quantum de la peine à infliger doit prendre en considération ses effets probables sur l’exécution d’autres décisions passées en force de chose jugée, quitte à sacrifier la contribution espérée de la sanction à la réalisation des objectifs que la loi lui assigne, le moyen manque en droit.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. Sur le pourvoi d’A. S. :
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision de condamnation rendue sur l’action publique exercée à charge du demandeur :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 179 et 216novies du Code d’instruction criminelle. Il reproche aux juges d’appel de s’être, par la requalification d’un délit, arrogés la compétence de connaître d’un crime. Selon le moyen, saisis du délit de participation à une organisation criminelle (prévention C.1), les juges d’appel ne pouvaient, sans avoir constaté qu’il existait des circonstances atténuantes justifiant la correctionnalisation, statuer sur ce même fait requalifié en participation à une telle organisation en qualité de dirigeant, soit une infraction que la loi punit d’une peine criminelle.
Lorsqu’une ordonnance de la chambre du conseil a renvoyé un inculpé devant le tribunal correctionnel du chef, d’une part, d’un crime correctionnalisé en raison de l’admission de circonstances atténuantes et, d’autre part, d’une seconde infraction qualifiée délit, et que la cour d’appel a attribué à cette dernière une qualification criminelle tout en décidant que les deux faits constituaient un délit collectif en raison de l’unité d’intention, les circonstances atténuantes admises pour la première infraction s’appliquent également à la seconde, pour autant que ce second fait soit susceptible d’être correctionnalisé.
Aux termes d’une ordonnance du 16 juin 2021, la chambre du conseil a renvoyé le demandeur devant le tribunal correctionnel du chef de trafic de stupéfiants commis dans le cadre des activités d’une association (prévention B.2), après, par renvoi aux motifs du réquisitoire écrit du ministère public, avoir correctionnalisé ce crime en raison de circonstances atténuantes tenant, selon la juridiction d’instruction, à l’absence d’antécédents judiciaires criminels dans le chef de l’inculpé. Ensuite, la même décision a renvoyé le demandeur devant ce tribunal du chef du délit de participation à une organisation criminelle (prévention C.1).
À l’instar du premier juge, dont ils ont confirmé la décision, les juges d’appel ont estimé que les faits de la prévention C.1 devaient être requalifiés en ce que le demandeur y avait participé en qualité de dirigeant, soit un fait que l’article 324ter, § 4, du Code pénal punit d’une peine criminelle.
Cette infraction ne fait pas partie de celles dont la correctionnalisation est interdite.
À la page 339 de l’arrêt, les juges d’appel, après avoir déclaré le demandeur coupable des faits des préventions B.2 et C.1 requalifiées, ont estimé que ces infractions formaient un délit collectif par unité d’intention, qu’il y avait lieu de ne sanctionner que par une seule peine, la plus forte, conformément à l’article 65, alinéa 1er, du Code pénal.
Ainsi, avant de statuer sur l’action publique relative à la prévention C.1 requalifiée, les juges d’appel n’avaient pas à constater, sur la base de l’article 3, alinéa 3, de la loi du 4 octobre 1867, qu’il existait des circonstances atténuantes y applicables.
Partant, leur décision est légalement justifiée et le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Pour les motifs indiqués en réponse au premier moyen de S. S., à cet égard identique, le moyen manque en droit.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 190 du Code d’instruction criminelle, 780 du Code judiciaire et 33, § 2, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive. Il reproche aux juges d’appel d’avoir statué par un seul acte sur la condamnation et sur les réquisitions subséquentes du ministère public tendant à faire prononcer l’arrestation immédiate du demandeur. Selon ce dernier, dans la mesure où cette décision ne porte qu’un seul jeu de signatures, il n’est pas possible de vérifier si ces dernières réquisitions prises par l’accusation ont fait l’objet d’un débat distinct de celui relatif à la culpabilité et à la sanction, conformément à l’article 33, § 2, dernier alinéa, de la loi relative à la détention préventive.
L’article 33, § 2, dernier alinéa, précité, se borne à exiger que la décision relative à l’arrestation immédiate du prévenu condamné ait fait l’objet, au préalable, d'un débat distinct, immédiatement après le prononcé de la peine.
L’article 782 du Code judiciaire, en vertu duquel le jugement ou l’arrêt est signé avant sa prononciation, n’est pas prescrit à peine de nullité et cette formalité n’est pas davantage substantielle.
Il ne suit d’aucune disposition, notamment celles visées au moyen, que, lorsque les juges qui ont délibéré sur l’action publique et, ensuite, sur les réquisitions du ministère public tendant à faire ordonner l’arrestation immédiate du prévenu condamné, sont les mêmes, les deux décisions qu’ils ont rendues doivent faire l’objet de deux jugements distincts, portant chacun les signatures de ces magistrats.
Dans la mesure où il soutient le contraire, le moyen manque en droit.
Il ressort des mentions authentiques de l’arrêt qu’après avoir reconnu le demandeur coupable des faits de deux préventions, les juges d’appel ont prononcé la décision lui infligeant des peines. L’arrêt énonce ensuite que le ministère public a requis l’arrestation immédiate de trois prévenus, que l’arrêt qualifie de « condamnés », parmi lesquels le demandeur, les juges d’appel indiquant chaque fois la décision prise à cet égard et les motifs qui la soutiennent. S’agissant du demandeur, l’arrêt précise, après la mention de la teneur des réquisitions de l’accusation, que le demandeur a ensuite été entendu à ce sujet par la voix de son avocat.
Pareilles constatations contenues dans un jugement ou un arrêt concernant le déroulement de l’audience et, entre autres, l’ordre de la prononciation des décisions qu’il contient, font foi jusqu’à inscription de faux.
Le moyen qui critique la constatation authentique de l’arrêt selon laquelle la cour d’appel a statué sur l’action publique à charge d’un prévenu, que le ministère public a requis l’arrestation immédiate dudit prévenu, désormais qualifié de condamné, et qu’après avoir entendu son avocat, les juges d’appel ont ordonné son arrestation immédiate, sans arguer de faux cette constatation, est, à cet égard, irrecevable.
Sur le quatrième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 28bis, § 2, du Code d’instruction criminelle, ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense. Selon le moyen, dans la mesure où les pièces relatives à la saisine du juge d’instruction V. L. dont l’instruction a permis de découvrir les indices d’infractions en cause du demandeur, ne sont pas produites, il n’est pas possible de vérifier si les premières recherches menées en cause de la société Sky Ecc n’ont pas revêtu un caractère exploratoire, incompatible avec la nature de l’instruction.
Il n’apparaît d’aucune pièce à laquelle la Cour peut avoir égard que le demandeur ait sollicité, lors des débats devant les juges d’appel, la jonction au dossier de pareilles pièces ou qu’il ait conclu à propos des conséquences à déduire de leur absence.
Ne pouvant être soulevé pour la première fois devant la Cour, le moyen est irrecevable.
Sur le cinquième moyen :
Le moyen invoque la méconnaissance de la notion de présomption de fait.
Selon le demandeur, de la circonstance qu’il avait été aperçu quittant la « safe house C. C. » et arrêté à cet endroit le 28 mai 2019, les juges d’appel n’ont pu déduire que la période infractionnelle avait « certainement commencé, tout au moins », quelques mois plus tôt, soit le 1er janvier 2019.
Mais pour déterminer le début de cette période, les juges d’appel n’ont pas eu égard au seul fait que le demandeur avait été arrêté en ce lieu le 28 mai 2019.
Ils ont précisé que cette déduction était tributaire des circonstances par ailleurs décrites dans l’arrêt. À cet égard, l’arrêt relève que l’habitation C.C., avec d’autres lieux, avait été l’objet d’observations policières, qu’un autre suspect, également occupant de cette habitation, avait notamment utilisé le 27 mai 2019 au soir un véhicule VW Caddy pour se rendre dans un hangar où furent saisis, à l’intérieur d’un camion Iveco, 79,4 kilogrammes de marijuana, que le 28 mai 2019 le demandeur fut arrêté sortant de la maison, alors qu’il montait dans le véhicule VW précité, que des stupéfiants et divers documents en lien avec des véhicules, dont un camion Iveco, ou avec des personnes liées au trafic et que le demandeur connaissait, furent trouvés dans l’habitation C. C. dont il possédait la clé, tandis que la drogue susmentionnée correspondait à un chargement de 80 kilogrammes de stupéfiants dont le transport fut organisé au début de l’année 2019.
Procédant d’une lecture incomplète de l’arrêt, le moyen manque en fait.
Sur le sixième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 149 de la Constitution, ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit relatif à la présomption d’innocence.
Le moyen reproche à l’arrêt de justifier l’existence, dans le chef du demandeur, de la qualité de dirigeant par la circonstance que, postérieurement aux faits dont la cour était saisie, celui-ci se serait, dans des conversations interceptées, présenté comme le chef d’une nouvelle organisation criminelle. Le demandeur précise qu’il n’a été ni condamné ni même poursuivi du chef d’une telle infraction.
Mais, ainsi que le moyen le relève, ce motif des juges d’appel est surabondant.
Partant, dépourvu d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre l’ordre d’arrestation immédiate :
En raison du rejet du pourvoi dirigé contre elle, la décision de condamnation acquiert force de chose jugée.
Le pourvoi dirigé contre le mandement d’arrestation immédiate devient sans objet.
C. Sur le pourvoi formé par le conseil de Y. L. K. le 21 avril 2023, au greffe de la cour d’appel :
Pour les motifs indiqués en réponse au premier moyen, identique, de S. S., le premier moyen manque en droit et le second moyen ne peut être accueilli.
Et les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
D. Sur le pourvoi formé par Y. L. K. le 24 avril 2023, à la prison de Nivelles :
Une partie ne peut, en règle, se pourvoir une seconde fois contre la même décision, même s’il n’a pas encore été statué sur le premier pourvoi au moment de la déclaration du second.
Le pourvoi est dès lors irrecevable.
E. Sur le pourvoi d’O. L. :
Sur le premier moyen :
Pour les motifs indiqués en réponse au premier moyen, identique, de S. S., le moyen ne peut être admis.
Sur le deuxième moyen :
Selon le moyen, des éléments relevés par les juges d’appel, ceux-ci n’ont pu déduire que le demandeur avait assumé la direction de l’organisation criminelle et de l’association aux activités de laquelle il a participé, en vue de se livrer au trafic de drogue.
Dans la mesure où il invoque la violation de l’article 149 de la Constitution, qui ne contient qu’une règle de forme étrangère à la valeur des motifs du juge du fond, sans indiquer en quoi l’arrêt méconnaîtrait cette disposition, le moyen, imprécis, est irrecevable.
En tant qu’il soutient que la circonstance aggravante de direction des groupements précités exige la démonstration, par l’accusation, de l’existence de « fonctions autonomes de direction » et d’une participation directe aux infractions commises par l’organisation et l’association, le moyen manque en droit.
Pour le surplus, le moyen revient à critiquer l’appréciation en fait des juges d’appel ou requiert un examen des éléments de fait de la cause, pour lequel la Cour est sans pouvoir.
À cet égard, il est irrecevable.
Sur le troisième moyen :
Le moyen fait grief à l’arrêt de méconnaître la foi due aux actes. Il lui reproche d’énoncer, en vue de l’appréciation de la sanction, que le demandeur a produit certaines pièces relatives à sa situation personnelle alors que ces documents, auxquels se réfèrent les juges d’appel, ont été déposés par un autre prévenu.
Mais d’aucune énonciation, il n’apparaît que ces pièces, destinées, selon le moyen et l’arrêt, à attester les efforts de réinsertion de la personne qu’elles concernent, auraient été prises en considération par les juges d’appel d’une manière défavorable au demandeur.
Dénué d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
F. Sur le pourvoi de R. M. :
Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 et 6.3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 210 du Code d’instruction criminelle.
Il reproche à l’arrêt de refuser d’examiner le grief soulevé en cours de débats par le demandeur et qui faisait valoir l’iniquité de la procédure au motif que, suite au « fait d’assumer sa qualité de victime face aux autres coprévenus tout en étant poursuivi en tant que prévenu dans deux autres causes jointes au dossier », le demandeur avait acquis, pendant l’examen de la cause en degré d’appel, à la fois un statut de prévenu et de partie préjudiciée. Selon le moyen, les juges d’appel n’ont pu, sans violer l’article 210 du code précité, se soustraire à l’obligation d’examiner ce nouveau grief procédural, apparu postérieurement à la déclaration d’appel.
Mais la décision de joindre les causes dans lesquelles le demandeur était tantôt la victime de certains faits, tantôt prévenu d’en avoir commis d’autres, a eu lieu dès avant l’entame des débats au fond, de sorte que le cumul de qualités, invoqué à l’appui du moyen, n’est pas apparu postérieurement à la déclaration d’appel, à la suite de l’interrogatoire du demandeur par les juges d’appel.
À cet égard, le moyen manque en fait.
En tant qu’il postule que les juges d’appel auraient dû examiner d’office leur compétence, alors qu’aucun grief y relatif n’est développé par le moyen, celui-ci, imprécis, est irrecevable.
Et les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
G. Sur le pourvoi de M. J. :
Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 et 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs au respect des droits de la défense, à l’impartialité du juge et à la présomption d’innocence. Il invoque également la violation de la notion de présomption de fait et la violation de la foi due aux conclusions du demandeur.
Selon le moyen, plusieurs motifs sur la base desquels les juges d’appel ont justifié leur décision de reconnaître le demandeur coupable des préventions de trafic de drogue dans le cadre des activités d’une association et de participation à une organisation criminelle, chaque fois en qualité de dirigeant, illustrent l’existence, chez ces magistrats, d’un préjugé défavorable à la défense. Selon le demandeur, ce préjugé se manifeste par une interprétation à charge systématique des éléments de fait livrés au débat, y compris ceux qui auraient dû être considérés comme à décharge ou dont la neutralité interdisait d’y trouver la preuve des infractions.
En matière répressive, lorsque la loi n’établit pas un mode spécial de preuve, le juge du fond apprécie en fait la valeur probante des éléments sur lesquels il fonde sa conviction et que les parties ont pu librement contredire. Il lui est loisible de prendre en considération tous les éléments qui lui sont régulièrement soumis et qui lui paraissent constituer des présomptions suffisantes de culpabilité, alors même qu’il existerait dans la cause des éléments en sens contraire.
Sous le couvert d’une critique des conséquences que la cour d’appel a déduites des faits qu’elle a constatés, le demandeur ne formule en réalité à l’encontre de l’arrêt que des griefs qui se heurtent à l’appréciation souveraine des éléments de la cause par les juges d’appel.
Partant, à cet égard, le moyen est irrecevable.
Pour le surplus, en considérant qu’au contraire de ce qu’ont décidé les juges d’appel, le refus du demandeur de répondre aux messages d’un membre de l’organisation active dans le trafic de drogue devait être interprété comme le signe d’une absence de participation du premier aux activités illicites du second, le moyen ne reproche pas à l’arrêt de considérer que les conclusions qui soutenaient cette thèse contiennent une affirmation qui n’y figure pas ou qu’elles ne contiennent pas une mention qui y figure. Il se borne à reprocher à la cour d’appel d’avoir refusé d’attribuer à cet élément de fait la portée qui, à l’estime du demandeur, était de nature à justifier sa défense.
Pareil grief ne constitue pas une violation de la foi due aux actes.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
Et les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
H. Sur le pourvoi de M. S. :
Le demandeur se désiste de son pourvoi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Décrète le désistement du pourvoi de M. S. ;
Rejette les autres pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi ;
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de mille six cent cinquante-sept euros dix-neuf centimes dont I) sur le pourvoi de S. S. : deux cent trente euros soixante-six centimes dus ; II) sur le pourvoi de A. S. : deux cent trente euros soixante-six centimes dus ; III) et IV) sur les pourvois de Y. L. K. : deux cent septante-trois euros vingt-trois centimes dus ; V) sur le pourvoi d’O. L. : deux cent trente euros soixante-six centimes dus ; VI) sur le pourvoi de R. M. : deux cent trente euros soixante-six centimes dus ; VII) sur le pourvoi de M. J. : deux cent trente euros soixante-six centimes dus ; et VII) sur le pourvoi de M. S. : deux cent trente euros soixante-six centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt décembre deux mille vingt-trois par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.