N° C.23.0011.F
B. H.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Gand, Drie Koningenstraat, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Lambermont, 2,
défendeur en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le
23 septembre 2021 par la cour d’appel de Liège.
Le conseiller Maxime Marchandise a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
L’article 5 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés prévoit qu’aucune disposition de celle-ci ne porte atteinte aux autres droits et avantages accordés, indépendamment de cette convention, aux réfugiés.
Il s’ensuit que ses dispositions ne s’appliquent que sans préjudice de dispositions nationales plus protectrices.
D’une part, avant l’entrée en vigueur, le 3 septembre 2015, de la loi du
10 août 2015 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers en vue d’une meilleure prise en compte des menaces contre la société et la sécurité nationale dans les demandes de protection internationale, aucune disposition légale ne permet de retirer à un réfugié reconnu cette qualité pour la raison qu’il représente un risque grave et imminent pour l’ordre public compte tenu d’infractions commises par lui.
D’autre part, l’article 21, § 1er, 2°, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, avant sa modification par la loi du 24 février 2017, dispose que le réfugié reconnu ne peut en aucun cas être renvoyé ou expulsé du royaume.
Il suit du tout que, avant le 3 septembre 2015, le réfugié reconnu ne peut être renvoyé ou expulsé du royaume en raison de sa condamnation pénale.
L’arrêt non attaqué du 22 novembre 2018 considère que, « après que la Cour constitutionnelle a constaté, dans son arrêt n° 1/2012 du 11 janvier 2012, une inconstitutionnalité dans la loi du 15 décembre 1980, dans la mesure où celle-ci ne prévoit pas qu’un apatride reconnu puisse jouir d’un droit de séjour équivalent à celui octroyé aux réfugiés reconnus en vertu de l’article 49 de cette même loi, la cour [d’appel] est tenue [...] de combler le vide juridique laissé par cette inconstitutionnalité dans le cadre des dispositions légales existantes pour rendre la loi conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution », que « ce vide juridique [...] ne peut être comblé que si la cour [d’appel] reconnaît [au demandeur], en sa qualité d’apatride reconnu, et à l’instar de ce que prévoient les dispositions légales correspondantes découlant de l’article 45 de la loi du
15 décembre 1980 en ce qui concerne les réfugiés reconnus, un droit de séjour », et que « l’égalité de traitement avec un réfugié reconnu impose l’octroi [au demandeur] d’un droit de séjour et d’un ‘titre de séjour’, pour une durée illimitée ».
Pour considérer que « le permis de séjour provisoire octroyé [au demandeur] ne lui a pas été retiré en raison d’une discrimination illégale, d’une violation de ses droits fondamentaux ou du non-respect de l’égalité de traitement », l’arrêt attaqué énonce que, « bien que les articles 52/4 et 55/3/1 de la loi du 15 décembre 1980, [qui auraient permis que la reconnaissance du statut de réfugié soit refusée ou retirée au demandeur en raison de sa condamnation pénale par un arrêt de la cour d’appel de Liège du 30 octobre 2008], ne soient entrés en vigueur que le 3 septembre [2015, le demandeur] ne peut pas reprocher [au défendeur] une inégalité de traitement ou une discrimination fautives même pour la période précédant l’entrée en vigueur de ces dispositions légales, et ce d’autant plus que la convention [précitée] ouvre également la possibilité, dans son article 32, d’expulser un réfugié pour des raisons de sécurité publique ou d’ordre public, tandis que l’article 33, alinéa 2, de cette même convention dispose que le bénéfice de la [...] disposition [relative à la défense d’expulsion et de refoulement] ne pourra [...] être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ».
Par ces motifs, il ne justifie pas légalement sa décision que le défendeur n’a pas commis de faute en déniant le droit du demandeur au séjour en 2008, 2009 et 2010 et en l’expulsant.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Quant à la seconde branche :
Il incombe au demandeur en réparation d’établir l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le dommage tel qu’il s’est réalisé ; ce lien suppose que, sans la faute, le dommage n’eût pu se produire tel qu’il s’est réalisé.
Si le juge constate souverainement les faits d’où il déduit l’existence ou l’inexistence d’un lien de causalité entre la faute et le dommage, la Cour contrôle cependant si, de ses constatations, le juge a pu légalement déduire cette décision.
L’arrêt attaqué considère que la preuve d’un lien causal entre les fautes reprochées au défendeur et le dommage allégué par le demandeur n’est pas rapportée aux motifs que, « après que [ce dernier] a, par son propre comportement fautif, perdu l’autorisation de séjour lui octroyée le 9 mai 2008 et par là même le permis de travail l’accompagnant, en se rendant coupable d’infractions pénales graves ayant entraîné une menace pour l’ordre public, [il] ne peut attribuer les conditions précaires dans lesquelles [il] séjourne en Belgique depuis plusieurs années à une carence fautive de l’État belge » et que, « si [le demandeur] avait respecté les conditions légales mises à la prolongation de l’autorisation de séjour qui lui a été octroyée le 9 mai 2008 – notamment celle de mener une vie irréprochable –, la situation critiquée ne se serait pas présentée ».
Il exclut ainsi la responsabilité du défendeur sur la base d’énonciations dont il se déduit que le demandeur a commis une faute en relation causale avec son dommage, sans examiner si, sans les fautes qu’il reproche au défendeur, ce dommage se serait néanmoins produit tel qu’il s’est réalisé.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d’appel de Liège, autrement composée.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Mireille Delange et Michel Lemal, les conseillers Maxime Marchandise et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du cinq janvier deux mille vingt-quatre par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.