N° P.23.1338.F
K. D.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Nicolas Cohen, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
ORES ASSETS, société coopérative, dont le siège est établi à Charleroi (Gosselies), avenue Jean Mermoz, 14,
partie civile,
défenderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Cédric Eyben, avocat au barreau de Liège-Huy.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 7 septembre 2023 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 4, alinéa 11, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, et 747, § 4, du Code judiciaire.
Il est reproché à l’arrêt d’écarter les conclusions du demandeur au motif qu’elles ont été déposées après l’expiration du délai prescrit par l’ordonnance de fixation du 3 juin 2022 : le demandeur fait valoir qu’un accord était intervenu entre les parties sur le réaménagement du calendrier de dépôt des conclusions, que cet accord neutralise la sanction de l’écartement, et que l’arrêt ne motive pas la décision des juges d’appel de ne pas en tenir compte.
Des pièces de la procédure, ressortent les éléments suivants :
- l’ordonnance de fixation du 3 juin 2022 stipule que le prévenu disposera, pour le dépôt de ses conclusions principales, d’un délai expirant le 29 juillet 2022, et pour le dépôt de ses conclusions additionnelles et de synthèse, d’un délai expirant le 22 novembre 2022 ;
- l’inventaire des pièces du dossier, établi par le greffe de la cour d’appel, mentionne que des conclusions digitales ont été déposées par Maître Nicolas Cohen le 1er mars 2023 ;
- à l’audience de la cour d’appel du 22 juin 2023, le conseil du demandeur a déposé un écrit daté du 1er mars 2023 et intitulé « conclusions » ;
- cet écrit contient un préambule qui vise la requête en examen des intérêts civils, l’ordonnance de fixation, et « l’accord des parties sur le réaménagement du calendrier de dépôt des conclusions ».
L’accord allégué ne figure pas au dossier de la procédure et ne ressort d’aucun élément autre que la mention qui le vise.
Le juge ne doit pas répondre au seul visa d’une pièce dont l’existence est invoquée sans que la partie qui s’en prévaut n’ait produit aux débats ni preuve, ni commencement de preuve, ni quelque élément que ce soit permettant d’en accréditer la réalité.
L’arrêt relève que la partie adverse s’est opposée au dépôt des conclusions du demandeur pour le motif qu’elles ont été produites en dehors des délais fixés par l’ordonnance de mise en état et sans que la partie civile n’ait eu la possibilité d’y répondre. L’arrêt constate que lesdites conclusions ont été déposées sans l’accord de la partie civile.
Ecartant ainsi une simple allégation par l’affirmation du contraire, les juges d’appel ont régulièrement motivé leur décision, sans qu’ils n’aient été tenus de la motiver plus amplement quant à ce.
Dès lors qu’ils ont constaté que les conclusions du demandeur ont été déposées en dehors des délais prescrits par l’ordonnance de fixation et qu’aucun accord n’est intervenu qui aurait permis d’y déroger, les juges d’appel ont légalement justifié leur décision de les écarter d’office.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En tant qu’il soutient que l’arrêt ne répond pas aux conclusions « valablement déposées », alors qu’il n’apparaît pas de la procédure que leur dépôt ait été régulier, que les juges d’appel les ont légalement écartées des débats et qu’ils ne devaient dès lors pas y répondre, le moyen manque en fait.
La contradiction qui donne ouverture à cassation au titre de l’article 149 de la Constitution est celle qui existe entre deux motifs ou entre deux dispositifs d’une même décision. Tel n’est pas le cas d’une contradiction entre des considérations figurant dans deux arrêts rendus successivement dans la même cause.
L’arrêt attaqué rappelle que la cour d’appel n’était pas, le 2 juin 2021, en mesure de déterminer le dommage exact de la partie civile, raison pour laquelle le prévenu n’a été condamné, à cette date, qu’au payement d’une indemnité provisionnelle.
Ces énonciations ne sont pas contredites par l’affirmation suivant laquelle la partie civile, dans des conclusions déposées le 11 février 2022, a pu calculer son préjudice sur la base de critères objectivant cette fois les montants réclamés.
A cet égard également, le moyen manque en fait.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 1382 de l’ancien Code civil, en tant qu’il consacre le principe de la réparation in concreto du dommage.
Adoptant la formule proposée par la partie civile, l’arrêt calcule son dommage sur la base du prix que la défenderesse aurait obtenu si l’électricité avait été vendue par elle à des consommateurs dans le cadre d’un contrat de fourniture d’énergie. Selon le demandeur, le dommage n’est pas ce prix mais celui que le gestionnaire du réseau de distribution a payé pour l’électricité qu’il n’a pas pu répercuter.
La réparation du dommage causé par l’infraction doit tenir compte, notamment, de la situation dans laquelle la victime se trouve réellement à la suite de la faute, ce qui prohibe toute forme d’indemnisation fondée sur des moyennes ou des généralités.
Règle d’équivalence entre le dommage et sa réparation, le principe de la réparation intégrale a notamment pour conséquence que le juge ne peut allouer une indemnité inférieure ou supérieure au dommage subi.
C’est le prix facturé au gestionnaire du réseau pour l’électricité qu’il n’a pas pu répercuter ensuite de la fraude, qui constitue la mesure du dommage subi par lui de ce fait.
En allouant à la défenderesse un dommage calculé sur la base du prix de vente au consommateur, sans constater que ce prix est égal à celui qui a été mis à charge du gestionnaire au titre de perte réseau, et sans constater non plus que la fourniture d’énergie constitue l’activité première de la partie civile, les juges d’appel n’ont pas légalement justifié leur décision.
Le moyen est fondé.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué, en tant qu’il statue sur le préjudice en énergie ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Condamne le demandeur à un dixième des frais de son pourvoi et réserve le surplus pour qu’il y soit statué par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel de Mons.
Lesdits frais taxés à la somme de deux cent quinze euros vingt et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-sept janvier deux mille vingt-quatre par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.