N° C.22.0300.F
G. N.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
T. A.,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 9 février 2022 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le conseiller Ariane Jacquemin a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente trois moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Aux termes de l’article 1054, alinéa 2, du Code judiciaire, l’appel incident ne peut être admis que s’il est formé dans les premières conclusions prises par l’intimé après l’appel principal ou incident formé contre lui.
L’arrêt attaqué constate que, après que le demandeur eut relevé du jugement entrepris un appel principal dirigé contre la défenderesse, la cour d’appel a rendu le 8 septembre 2021 un arrêt interlocutoire par lequel elle « a, d’une part, tranché [un] différend procédural relatif à l’étendue de [sa] saisine [et les] demande[s] de [la défenderesse] d’aménager provisoirement la situation des parties [et] de lui accorder la délégation de sommes, mais aussi, […] d’autre part, aménagé le calendrier de la procédure à la demande des parties » ; que la défenderesse a formé appel incident contre le demandeur « par ses conclusions du 29 octobre 2021 », et que le demandeur « prétend [qu’elle] aurait déjà dû former cet appel incident par ses conclusions préalables à l’arrêt interlocutoire dont l’objet a été rappelé ».
En considérant que la défenderesse « a bien formé appel incident du jugement entrepris par ses premières conclusions concernées par le calendrier judiciaire relatif à l’instruction des demandes qui visent à la réformation ou à la confirmation des décisions prises par ledit jugement », l’arrêt attaqué justifie légalement sa décision que « son appel incident est […] recevable ».
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Quant à la première branche :
L’arrêt attaqué constate que, « durant la vie commune en Belgique, l’intégralité [du] salaire [de la défenderesse] était affectée à l’épargne, le train de vie du couple étant assuré par le salaire du [demandeur, que] ce salaire important était versé sur un compte commun duquel étaient payées les dépenses de la famille [et que] les parties [étaient] copropriétaires [de la] résidence conjugale [acquise] au moyen d’un prêt hypothécaire [dont] le remboursement s’effectu[ait] au départ du compte commun ».
Relevant que la défenderesse soutient que le demandeur « a radicalement modifié le modus vivendi du couple à partir du 1er novembre 2019 » alors que le demandeur soutient que « la cessation de la cohabitation [n’a été] acquise que le 6 avril 2020, l’exécution de ses obligations s’étant exercée en nature avant cette date », il constate que, « le 7 février 2020, [le demandeur a] déposé une requête en divorce en ..., [que], le 2 mars 2020, [la banque a] informé [la défenderesse] de l’existence d’un retard de payement du crédit hypothécaire de plus de deux mois et [l’a mise] en demeure d’approvisionner immédiatement le compte sous peine de devoir rembourser totalement le prêt [et que le demandeur] a, finalement, continué de prendre en charge les échéances hypothécaires, totalement, de janvier 2020 à septembre 2020 ».
Il déduit « de la cessation du payement des mensualités du crédit hypothécaire au départ [du] compte commun […] et de l’introduction d’une procédure judiciaire visant le divorce […] que la résolution [du demandeur] de mettre un terme à la vie conjugale était acquise avant le mois de février, et donc, avant son départ définitif de la résidence conjugale » le 6 avril 2020, et il considère « que cette résolution s’est accompagnée de décisions qui ont affecté radicalement l’économie de ce couple, dès le début de l’année 2020 », ce qu’attestent « les pièces […] du dossier de [la défenderesse] : arriéré de mensualités hypothécaires et de consommations énergétiques entre janvier et mars 2020 », et que « la date de consolidation de ce changement radical, et donc la prise de cours des obligations alimentaires, sera fixée au 1er janvier 2020 ».
De ces énonciations, qui permettent à la Cour d’exercer son contrôle, il ressort qu’aux yeux de la cour d’appel, la défenderesse prouve que le demandeur a manqué à son obligation d’entretien des enfants communs et à son devoir de secours et de contribution aux charges du mariage à partir du 1er janvier 2020.
Quant à la seconde branche :
Quant aux deux rameaux réunis :
L’arrêt attaqué, qui estime le disponible mensuel du demandeur à 3 667,83 euros en 2020 et à 5 110 euros en 2021 et celui de la défenderesse à 2 338,27 euros en 2020 et à 1 634,77 euros en 2021, accorde à la défenderesse, au titre du devoir de secours, l’occupation gratuite de l’immeuble et une somme complémentaire mensuelle de cinq cents euros.
Par les motifs reproduits à la page 11 de la requête, qui permettent à la Cour d’exercer son contrôle, l’arrêt attaqué donne à connaître, d’une part, que l’octroi de cette somme procède, non d’un partage des ressources des parties, mais d’un complément nécessaire pour permettre, « compte tenu des moyens disponibles du couple, de préserver à [la défenderesse] un train de vie plus conforme à celui qui était le sien avant que [le demandeur] ait décidé de mettre un terme à la vie commune », d’autre part, que le train de vie auquel il se réfère ainsi est, non celui de la défenderesse durant la vie commune, mais celui qui serait le sien s’il n’y avait pas eu séparation.
Le moyen, en aucune de ses branches, ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
Quant à la seconde branche :
Quant aux deux rameaux réunis :
L’arrêt attaqué, qui énonce que, « si elle souhaite obtenir [une pension alimentaire après divorce] supérieure à [la] couverture [de ses besoins minimums vitaux, la défenderesse] doit démontrer une dégradation significative de sa situation économique […] en raison du divorce, si elle peut faire état de circonstances particulières », relève que la défenderesse « [est] âgée de cinquante ans ; expatriée, depuis près de neuf ans, pour permettre [au demandeur] de valoriser très sensiblement sa situation professionnelle (croissance de ses revenus professionnels à plus de 400 p.c.) ; [qu’]après vingt et une années de mariage, [elle] doit maintenant déménager dans un immeuble dont elle n’est pas propriétaire […] et prendre en charge, seule, au quotidien, l’entretien et l’éducation de deux grands adolescents puisque le [demandeur] n’entend pas en assurer une prise en charge régulière, même partielle, ce qui oblige [la défenderesse] à se maintenir en Belgique pour poursuivre l’intégration sociale, scolaire et professionnelle des enfants ; [qu’elle] travaille à temps plein, sans avoir la perspective de pouvoir diminuer cette charge de travail, au grand risque de compromettre l’économie de son ménage [et qu’elle] devrait pouvoir consacrer une partie de ses ressources à l’épargne pour faire face aux dépenses de santé et de perte de revenus, liées à son avancée en âge puisque la perspective d’une solidarité conjugale a disparu, alors qu’avant le divorce, elle pouvait consacrer une partie importante de ses ressources à l’épargne, tout en voyageant régulièrement et affecter une partie de ses revenus à d’autres dépenses (loisirs, cadeaux, …) que les dépenses ménagères ».
Il en déduit que « ces nombreux éléments démontrent que le divorce des parties lui fait subir une nette dégradation de sa situation financière, ce qui l’autorise à recevoir une pension qui couvre plus que son état de besoin ».
D’une part, par ces motifs, qui permettent à la Cour d’exercer son contrôle, l’arrêt attaqué, loin de dispenser la défenderesse de prouver l’existence de circonstances particulières autorisant le juge à tenir compte d’une dégradation significative de sa situation économique en raison du divorce, constate l’existence de cette dégradation et celle de circonstances particulières l’autorisant à en tenir compte.
D’autre part, il ressort de ces motifs, qu’en énonçant qu’avec cette pension, la défenderesse « retrouvera une capacité d’épargne (durant la vie commune, une part importante de ses revenus personnels, si ce n’est la totalité, étaient destinés à l’épargne) », l’arrêt attaqué considère, non que la pension alimentaire après divorce a pour finalité d’assurer à l’époux demandeur une capacité d’épargne ou le même train de vie que celui auquel il pouvait prétendre du fait du mariage durant la vie commune, mais que cette capacité d’épargne permettra à la défenderesse de « faire face aux dépenses de santé et de perte de revenus, liées à son avancée en âge puisque la perspective d’une solidarité conjugale a disparu » et d’« assurer d’autres dépenses que […] les dépenses ménagères […] qu’elle peut actuellement assumer avec ses ressources personnelles (notamment des voyages vers la ...) ».
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la première branche :
Il suit des motifs reproduits en réponse à la seconde branche du moyen que l’arrêt attaqué répond, en leur opposant son appréciation contraire, aux conclusions du demandeur qui contestait l’existence d’éléments permettant de prendre en compte la dégradation significative de la situation économique de la défenderesse en raison du divorce et qui contestait l’existence même de cette dégradation.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent quarante-quatre euros six centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-deux euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Mireille Delange et Michel Lemal, les conseillers Ariane Jacquemin et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt-quatre par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.