N° P.23.0366.F
K. G.
partie civile,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Anne Werding, avocat au barreau de Liège-Huy,
contre
B. D.
prévenu,
défendeur en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 18 janvier 2023 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport.
L’avocat général Philippe de Koster a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 195 du Code d’instruction criminelle. Il dénonce en outre la violation, par l’arrêt attaqué, de la foi due à plusieurs actes.
Quant aux deux premières branches réunies :
Le moyen reproche à l’arrêt de contenir des motifs contradictoires. Selon le demandeur, les juges d’appel n’ont pu, sans se contredire, énoncer que les témoins interrogés ont donné, de la rixe entre parties, une description conforme à la dynamique décrite par le défendeur, dès lors que les déclarations de ce dernier, reproduites dans l’arrêt, sont elles-mêmes en partie contradictoires et que la comparaison des déclarations des témoins et du défendeur fait apparaître des discordances.
Donnent ouverture à cassation les contradictions entre les motifs, ou entre les motifs et le dispositif, ou encore entre les dispositifs d’une même décision. En revanche, ne constitue pas une telle contradiction celle qui opposerait les motifs d’une décision et des éléments du dossier.
Partant, le grief qui reproche aux juges d’appel d’avoir estimé que les dires de témoins confirment les déclarations d’une partie, alors que, selon le moyen, certaines des déclarations de cette dernière, reproduites dans l’arrêt, ont varié et ne correspondent pas à la description des faits par les témoins, est étranger à la contradiction prohibée par l’article 149 de la Constitution.
Dans la mesure où il revient à soutenir le contraire, le moyen manque en droit.
Pour le surplus, revenant à critiquer l’appréciation des éléments de fait par les juges d’appel et exigeant, pour son examen, la vérification de ces éléments, laquelle n’est pas au pouvoir de la Cour, le moyen est irrecevable.
Quant à la troisième branche :
Le moyen reproche à l’arrêt de violer la foi due aux déclarations du défendeur, consignées dans le procès-verbal d’audience du tribunal correctionnel du 24 novembre 2021 et dans le procès-verbal de son audition par la police, le 1er août 2017. Selon le moyen, les juges d’appel n’ont pu, sans violer la foi due à ces déclarations, énoncer que le prévenu y avait exposé une « même dynamique de scène » et leur reconnaître une portée, dès lors que leur examen révèle qu’elles sont en partie contradictoires.
Le grief de ne pas avoir attribué aux dires d’une partie la portée juridique qu’à l’estime du demandeur, ils impliquent, ne constitue pas une violation de la foi due aux actes.
Le moyen manque en droit.
Quant à la quatrième branche :
Selon le moyen, l’arrêt qui énonce que les « témoins entendus donnent la même dynamique de la scène [de coups] que le prévenu », viole la foi due aux déclarations de ce dernier, consignées dans le procès-verbal d’audience du tribunal correctionnel du 24 novembre 2021 et dans le procès-verbal de son interrogatoire par la police, le 1er août 2017, aux déclarations du témoin M. figurant dans le procès-verbal de la police du 3 février 2020, et au courrier d’un témoin C., reçu par la police. En effet, selon le moyen, il ne peut être déduit des deux dernières pièces qu’elles confirment les dires du prévenu.
L’arrêt qui, pour énoncer le motif critiqué, renvoie aux déclarations des « témoins entendus » ne se réfère ni aux dires du prévenu, ni à ceux contenus dans un courrier adressé à la police.
Partant, il n’a pu violer la foi qui est due à ces actes.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Pour le surplus, le grief de ne pas avoir attribué aux dires d’un témoin la portée juridique qu’à l’estime du demandeur, ils impliquent, ne constitue pas une violation de la foi due aux actes.
À cet égard, le moyen manque en droit.
Sur l’ensemble du second moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 416 du Code pénal. Il reproche aux juges d’appel d’avoir tenu pour vraisemblable la légitime défense invoquée par le défendeur sans avoir constaté, d’une part, l’existence d’une « agression injustifiée, grave, dirigée contre l’intégrité physique ou psychique d’une personne et ayant un caractère actuel », et, d’autre part, l’impossibilité, pour le défendeur, de se soustraire à la menace alléguée autrement qu’en portant un coup au demandeur.
En vertu de l’article 416 du Code pénal, il n'y a ni crime ni délit, lorsque l'homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui.
L’arrêt relève que les faits se sont déroulés rapidement et qu’il y a lieu de les envisager dans leur dynamique. Il considère ensuite qu’il est établi, sur la base des dires d’un témoin et du demandeur, que c’est ce dernier qui, au départ de la discussion, tenait en main un cutter, instrument dont les juges d’appel ont estimé qu’il pouvait « raisonnablement être considéré comme une arme potentiellement létale ». L’arrêt énonce encore que, selon le demandeur lui-même, il était en possession du cutter en position fermée, qu’il l’avait agité et que, suite à ces gestes, le défendeur lui avait intimé de cesser de le menacer, le demandeur disant avoir réfuté cette accusation et remis le cutter au défendeur. Selon les juges d’appel, il n’est toutefois pas vraisemblable que le demandeur ait ainsi remis au défendeur le cutter avec lequel il venait de dire qu’il travaillait et qui était nécessaire à la poursuite de sa tâche. Enfin, l’arrêt considère que la version des faits livrée par le défendeur est confirmée par les témoins qui ont été entendus et il conclut, d’une part, que « la réaction du prévenu n’apparaît pas avoir été disproportionnée au regard du danger que présentait [le demandeur] qui venait de le menacer armé d’un cutter » et, d’autre part, que le défendeur « allègue à bon droit de la nécessité actuelle d’un acte de défense personnelle, proportionné à la gravité de l’agression émanant de son adversaire ».
Ainsi, en l’absence de conclusions du demandeur contestant la réunion des conditions de la légitime défense, les juges d’appel ont énoncé les raisons pour lesquelles ils ont estimé qu’il était vraisemblable que le coup porté au demandeur par le prévenu avait répondu à l’agression injustifiée, grave, dirigée contre l’intégrité physique dudit prévenu et qui avait un caractère actuel. En considérant en outre que cette agression du demandeur, décrite par l’arrêt comme découlant d’une altercation qui s’était déroulée rapidement et devait être appréciée dans sa dynamique, avait constitué la « nécessité actuelle » de l’acte de défense personnelle posé par le défendeur, les juges d’appel ont constaté que la condition de subsidiarité était remplie.
Partant, l’arrêt est légalement justifié.
Le moyen ne peut être accueilli.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de cent dix-sept euros vingt et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, conseillers, et Sidney Berneman, conseiller honoraire, magistrat suppléant, et prononcé en audience publique du quatorze février deux mille vingt-quatre par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Philippe de Koster, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.