N° P.23.0539.F
J. Th.
prévenu,
demandeur en cassation,
représenté par Maîtres Gilles Genicot et Jacqueline Oosterbosch, avocats à la Cour de cassation, et ayant pour conseil Maître Anne Lambin, avocat au barreau du Luxembourg,
contre
T. F.
partie civile,
défenderesse en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre le jugement rendu le 20 mars 2023 par le tribunal correctionnel du Luxembourg, division Neufchâteau, statuant en degré d’appel.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 11 janvier 2024, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe.
A l’audience du 21 février 2024, le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Le jugement attaqué statue sur une requête en rectification d’erreur matérielle d’un jugement rendu le 17 janvier 2022 par la même juridiction, qui condamne le demandeur à indemniser la défenderesse pour le dommage, passé et futur, résultant de la perte du revenu professionnel de son époux, décédé des suites d’un accident de la circulation dont le demandeur avait été reconnu partiellement responsable par un précédent jugement.
La requête est justifiée par la circonstance que, pour évaluer tant le préjudice passé que le préjudice futur, le jugement du 17 janvier 2022 se base sur un montant de rémunération fixé à 6.620,40 euros, soit un montant journalier de 18,14 euros, effectivement perçu par la victime, alors qu’il décide, par ailleurs, qu’il y avait lieu de retenir une augmentation de salaire moyenne de 25 pour cent.
Le moyen est pris de la violation de l’article 794 du Code judiciaire. Il reproche au jugement attaqué de majorer les montants accordés à la défenderesse en réparation de ce préjudice. Selon le demandeur, le tribunal correctionnel a ainsi modifié les droits que la décision rectifiée a consacrés.
Conformément à l'article 794, alinéa 1er, du Code judiciaire, tel que remplacé par l'article 34 de la loi du 25 mai 2018 visant à réduire et redistribuer la charge de travail au sein de l’Ordre judiciaire, la juridiction qui a rendu la décision ou la juridiction à laquelle ladite décision est déférée peut à tout moment rectifier, d'office ou à la demande d'une partie, toute erreur manifeste de calcul ou matérielle, sans cependant étendre, restreindre ou modifier les droits qu’elle a consacrés.
L'erreur matérielle, que le juge peut rectifier, est une erreur de plume, autrement dit une inadvertance qui ne porte pas atteinte à la légalité ou à la régularité de la décision et dont le redressement laisse intacts les droits que la décision rectifiée a consacrés ou les mesures qu'elle a ordonnées.
Ainsi, l’erreur de calcul qui porte sur le résultat d'une opération d'arithmétique et qui est révélée par les éléments intrinsèques d'une décision judiciaire, peut faire l’objet d’une rectification.
En revanche, ne constitue pas une erreur matérielle, une erreur de raisonnement ou une contradiction existant entre les motifs et le dispositif d’une décision.
Le juge apprécie en fait si une mention inexacte dans une décision découle d'une erreur matérielle ou de calcul qu'il est autorisé à rectifier. La Cour vérifie si, de ses constatations, le juge ne déduit pas des conséquences sans lien avec elles ou qui sont inconciliables avec la notion d'erreur matérielle ou de calcul.
Dans son jugement rendu le 17 janvier 2022, le tribunal correctionnel avait énoncé que le montant de la rémunération de la victime était fixé à 6.620, 40 euros, soit 18,14 euros par jour, qu’il pouvait raisonnablement être retenu que l’évolution salariale invoquée présentait un degré suffisant de certitude, qu’en fonction de l’évolution salariale dont la victime avait déjà bénéficié durant les années précédant son décès et de son âge à ce moment, l’augmentation moyenne de 25 pour cent proposée par la défenderesse apparaissait raisonnable et suffisamment établie et que le montant de base serait ainsi fixé à 8.275,17 euros.
Selon le jugement attaqué, « ce faisant, le tribunal retenait que cette évolution de la rémunération moyenne de la victime par rapport à toute sa carrière future devait être retenue pour calculer l’ensemble de l’indemnité devant couvrir le préjudice encouru par [la défenderesse], aucune distinction n’étant logiquement opérée entre la période passée et la période future, à partir du moment où, à nouveau logiquement, l’augmentation moyenne de la rémunération du défunt devait courir à partir de son décès, et non uniquement à dater d’une date de prononcé d’un jugement statuant définitivement sur la demande plus de 17 ans après le décès, (…) et alors qu’aucune mention du jugement n’indique que ce montant [de 8.275,17 euros], ramené à un montant journalier, doive être exclu pour calculer l’indemnité destinée à couvrir le dommage passé ».
Il décide que « c'est dès lors effectivement en raison d’une erreur matérielle ou d’une erreur manifeste de calcul, […] révélée par les éléments intrinsèques du jugement [que] le tribunal a effectué ses calculs sur la base d’un montant journalier erroné de 18,14 euros pour le préjudice passé, et d’un montant annuel erroné de 6.620,14 euros pour le préjudice futur, en lieu et place du montant majoré de 25 %, […] ».
Par ces considérations, le jugement ne constate pas un résultat erroné d’une opération arithmétique mais une contradiction entre les motifs et le dispositif de la décision critiquée.
Le moyen est fondé.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement cassé ;
Laisse les frais à charge de l’Etat ;
Dit n’y avoir lieu à renvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de septante euros quatre-vingt-un centimes dont trente-cinq euros quatre-vingt-un centimes dus et trente-cinq euros payés par ce demandeur.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt et un février deux mille vingt-quatre par Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.