N° P.24.0168.F
I. Sh.
étranger, privé de liberté,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Zouhaier Chihaoui, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 26 janvier 2024 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen invoque la violation des articles 5.1, f), et 5.4 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1er, §§ 1er, 11°, et 2, 2°, et 74/5, § 1er, 2°, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, le dernier article lu en combinaison avec l’article 8.3, b), de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (directive accueil), et 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, ainsi que la méconnaissance de l’obligation de fonder tout acte administratif sur des motifs exacts, pertinents et admissibles en fait et en droit.
Il est fait grief à la chambre des mises en accusation d’avoir répondu de manière générale et stéréotypée aux conclusions du demandeur, qui faisaient valoir que l’autorité administrative ne pouvait pas, dans la décision du 25 décembre 2023 de rétention dans un lieu déterminé situé aux frontières, constater l’existence d’un risque de fuite établi sur la base du critère objectif visé à l’article 1er, § 2, 2°, de la loi précitée, à savoir le critère que l'intéressé a utilisé des informations trompeuses ou a employé d'autres moyens illégaux dans le cadre d'une procédure de protection internationale ou de refoulement, dès lors que cette circonstance ne se déduit ni des autres motifs de la décision de rétention ni des pièces du dossier administratif, et que, au contraire, il ressort du dossier que le demandeur a révélé sa véritable identité, qu’il n’a pas utilisé de faux documents et qu’il collabore pleinement à l’instruction de sa demande de protection internationale. Le moyen soutient que, en se bornant à reproduire les motifs de la décision de rétention, et en énonçant qu’« il est légalement justifié de considérer qu’une personne de nationalité étrangère, dépourvue d’un titre de séjour régulier et ayant introduit une demande de protection internationale, est susceptible de prendre la fuite en l’absence d’une décision de maintien en centre fermé », la chambre des mises en accusation a donné, à la défense précitée relative au risque de fuite, une réponse inadaptée, et, par conséquent, n’a pas procédé à un examen individuel des éléments spécifiques de la cause, privant le demandeur d’un contrôle juridictionnel concret et effectif de la légalité de sa détention.
2. L’article 74/5, § 1er, 2°, de la loi du 15 décembre 1980 dispose que l'étranger qui tente d'entrer dans le Royaume sans remplir les conditions fixées aux articles 2 et 3 de la loi, et qui présente une demande de protection internationale à la frontière, peut être maintenu dans un lieu déterminé, situé aux frontières, en attendant l'autorisation d'entrer dans le Royaume ou son refoulement du territoire.
En vertu de l’article 74/5, § 4, 4° et 5°, de cette loi, l'étranger visé au § 1er, 2°, à l'égard duquel une décision d'examen ultérieur est prise en application de l'article 57/6/4, alinéa 2, ou qui est reconnu réfugié ou auquel le statut de protection subsidiaire est accordé, et l'étranger visé au § 1er, 2°, à l'égard duquel une décision n'a pas été prise par le Commissaire général aux réfugiés et apatrides dans les quatre semaines après la demande de protection internationale, sont autorisés à entrer dans le Royaume.
Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 21 novembre 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers et la loi du 12 janvier 2007 sur l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers, dont l’article 56 a inséré ou modifié les dispositions légales précitées, que le législateur a ainsi entendu transposer l’article 8.3, c) de la directive accueil, afin de permettre à l’autorité administrative de placer en rétention, dans un lieu déterminé situé à la frontière, un demandeur de protection internationale qui ne remplit pas les conditions d’accès au territoire, en vue, ainsi que l’article 8.3. c) précité le prévoit, de « statuer, dans le cadre d’une procédure, sur le droit du demandeur ?de protection internationale? d’entrer sur le territoire ». Il ressort également de ces travaux préparatoires que les motifs de maintien visés à l’article 8.3 de la directive accueil sont transposés en droit belge par le nouvel article 74/6, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980, à l’exception des motifs de maintien visés aux littera c) et f) de cet article 8.3 de la directive accueil, lesquels sont transposés par l’article 74/5, § 1er, 2°, précité, de la loi du 15 décembre 1980, et par l’article 51/5 de cette loi.
Il ne ressort ni du texte de l’article 74/5, §§ 1er, 2°, et 4, 4° et 5°, de la loi du 15 décembre 1980 ni desdits travaux préparatoires que l’autorité administrative, qui constate dans la décision de rétention dans un lieu déterminé situé à la frontière que le demandeur de protection internationale tente d'entrer dans le Royaume sans remplir les conditions fixées aux articles 2 et 3 de la loi, soit en outre tenue de constater dans la décision de rétention qu’il existe un risque de fuite au sens de l’article 1er, § 1er, 11°, de cette loi, établi sur la base d'un ou plusieurs des critères objectifs énoncés à l’article 1er, § 2.
En tant qu’il est fondé sur une autre interprétation de ces dispositions légales, le moyen manque en droit.
3. Le juge ne doit pas répondre à un moyen qui, en raison des motifs de sa décision, est devenu indifférent à la solution de la contestation portée devant lui.
L’arrêt constate que le demandeur, de nationalité égyptienne, est arrivé le 25 décembre 2023 à la frontière du Royaume, en étant dépourvu d’un passeport et d’un visa, que, selon les recherches effectuées par l’Office des étrangers, l’intéressé a sollicité un visa auprès des autorités consulaires espagnoles qui lui en ont refusé la délivrance en raison du manque de crédit de la demande, et que, le même jour, il a introduit une demande de protection internationale.
Citant ensuite les motifs de la mesure de maintien du 25 décembre 2023, l’arrêt énonce que cette décision mentionne que le demandeur ne peut présenter aucun document de voyage national valable, qu’il s’est vu notifier une décision de refus d’entrée le même jour car il n’était pas en possession d’un tel document ni d’un visa valable pour pénétrer sur le territoire, et que le maintien est jugé nécessaire pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient être obtenus si l’intéressé n’était pas maintenu, en particulier car il y a risque de fuite.
La chambre des mises en accusation a également relevé que, le 22 janvier 2024, une nouvelle décision de maintien du demandeur a été prise afin de rendre sa rétention conforme à l’évolution de sa situation administrative, étant à présent autorisé à pénétrer sur le territoire du Royaume, en raison de l’absence de toute décision du Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides dans les quatre semaines de la réception de la demande de protection internationale.
Par ces constatations, qui ne sont ni générales ni stéréotypées mais sont fondées sur un examen individuel de la situation du demandeur, et dont il résulte que la décision de maintien dans un lieu déterminé situé à la frontière est fondée sur le constat que le demandeur a tenté d'entrer dans le Royaume sans remplir les conditions fixées aux articles 2 et 3 de la loi du 15 décembre 1980 et que cette décision a été prise en attendant l'autorisation d'entrer dans le Royaume par l’effet de la survenance d’une des circonstances prévues par l’article 74/5, § 4, 4° et 5°, de cette loi, la chambre des mises en accusation a légalement décidé que les conditions énoncées à l’article 74/5, § 1er, 2°, de la loi sont remplies et, partant, que la mesure privative de liberté du 25 décembre 2023 est conforme à la loi.
Les juges d’appel ne devaient pas, pour motiver régulièrement et justifier légalement leur décision à la lumière des dispositions et du principe invoqués au moyen, vérifier en outre si l’autorité administrative avait régulièrement constaté l’existence d’un risque de fuite établi sur la base du critère objectif de l’utilisation d’informations trompeuses ou de l’emploi d'autres moyens illégaux dans le cadre d'une procédure de protection internationale ou de refoulement, visé à l’article 1er, § 2, 2°, de la loi du 15 décembre 1980.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
4. Le moyen soutient également que, en qualifiant d’« erreur matérielle éventuelle », ou d’« inexact », le motif principal de la décision de rétention selon lequel le demandeur a utilisé des informations trompeuses ou a employé d'autres moyens illégaux dans le cadre d'une procédure de protection internationale ou de refoulement, alors que ce motif ne procède pas d’une erreur de l’autorité administrative mais prétend, au contraire, constater que le risque de fuite est légalement établi sur la base du critère objectif visé à l’article 1er, § 2, 2°, de la loi du 15 décembre 1980, l’arrêt viole les articles 5.1 et 5.4 de la Convention, ainsi que l’article 1er, §§ 1er, 11°, et 2, 2°, de la loi du 15 décembre 1980.
5. L’arrêt considère que la circonstance que la décision de rétention mentionnerait de manière erronée ou inexacte que le demandeur a falsifié des documents ou utilisé des informations trompeuses, n’est pas de nature à induire l’illégalité de la mesure privative de liberté, qui s’appuie sur d’autres motifs qui ne sont pas entachés d’erreur.
Ainsi, la chambre des mises en accusation a légalement décidé que, même en supposant que, comme le demandeur le faisait valoir dans ses conclusions, le risque de fuite établi sur la base du critère objectif visé à l’article 1er, § 2, 2°, de la loi du 15 décembre 1980 ne serait pas susceptible d’être déduit des autres motifs de la décision de rétention ou des pièces du dossier administratif, la décision de rétention du 25 décembre 2023 demeurait conforme à la loi en raison de la constatation qu’elle respecte les conditions énoncées à l’article 74/5, § 1er, 2°, de la loi du 15 décembre 1980.
A cet égard également, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
6. Pris de la violation de l’article 74/5, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, lu en combinaison avec l’article 8.2 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (directive accueil), et de l’article 5.1.f) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le moyen soutient que l’arrêt doit être cassé parce que la mesure privative de liberté ne comporte aucun motif expliquant pourquoi d’autres mesures moins coercitives ne pouvaient pas être appliquées au demandeur et que, en raison de cette carence, la décision de rétention est dépourvue de la motivation permettant au juge compétent d’en vérifier la légalité.
7. Outre le moyen relatif à la motivation du risque de fuite établi sur la base du critère objectif visé à l’article 1er, § 2, 2°, de la loi précitée, évoqué ci-dessus dans la réponse au premier moyen, le demandeur a soutenu au point V de ses conclusions d’appel que l’ordonnance de la chambre du conseil devait être réformée en raison du caractère général et stéréotypé de sa motivation relative au risque de fuite, susceptible d’être appliquée indistinctement à n’importe quelle affaire.
Il ne ressort pas des conclusions du demandeur ni d’aucune autre pièce à laquelle la Cour peut avoir égard que celui-ci ait soutenu devant la chambre des mises en accusation que la mesure privative de liberté violait les dispositions invoquées en raison d’une motivation déficiente de la condition de subsidiarité prévue à l’article 8.2 de la directive accueil.
Soulevé pour la première fois devant la Cour et requérant un examen en fait qui n’est pas en son pouvoir, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
8. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de soixante-sept euros septante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt et un février deux mille vingt-quatre par Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.