N° C.22.0417.F
SOCIÉTÉ DE LOGEMENT PUBLICS DE LA HAUTE ARDENNE, société coopérative, dont le siège est établi à Bastogne, avenue Roi Baudouin, 69, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0404.356.673,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
ENTREPRISES M., société anonyme, dont le siège est établi à Vielsalm (Grand-Halleux), rue Eysden-Mines, 35, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0433.161.715,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Saint-Gilles, rue Jourdan, 31, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 24 mai 2022 par la cour d’appel de Liège.
Le 20 février 2024, l’avocat général Thierry Werquin a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Maxime Marchandise a fait rapport et l’avocat général Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente trois moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Aux termes de l’article 54 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d’exécution des marchés publics et des concessions de travaux publics, l’adjudicataire peut se prévaloir des carences, lenteurs ou faits quelconques qu’il impute au pouvoir adjudicateur et qui lui occasionnent un retard ou un préjudice, en vue d’obtenir une ou plusieurs des mesures suivantes : 1° la révision du marché, y compris la prolongation des délais d’exécution ; 2° des dommages et intérêts ; 3° la résiliation du marché.
L’article 52 du même arrêté royal dispose, au premier alinéa, que l’adjudicataire constatant des faits ou circonstances quelconques, visés ou non aux articles 54 et 56, qui perturbent l’exécution normale du marché et dont les éventuelles conséquences négatives pourraient justifier à ses yeux l’introduction d’une requête ou d’une réclamation, est tenu, sous peine de déchéance, de les dénoncer au plus tôt par écrit au pouvoir adjudicateur, en lui signalant sommairement l’influence que ces faits ou circonstances ont ou pourraient avoir sur le déroulement et le coût du marché, et que cette obligation s’impose, que les faits ou circonstances soient ou non connus du pouvoir adjudicateur ; à l’alinéa 2, que ne sont pas recevables les réclamations et requêtes basées sur des faits ou circonstances dont le pouvoir adjudicateur n’a pas été saisi par l’adjudicataire en temps utile et dont il n’a pu en conséquence contrôler la réalité ni apprécier l’incidence sur le marché pour prendre les mesures qu’exigeait éventuellement la situation ; à l’alinéa 3, qu’en ce qui concerne les ordres écrits du pouvoir adjudicateur, y compris ceux qui sont visés à l’article 80, § 1er, l’adjudicataire est simplement tenu de signaler au pouvoir adjudicateur, aussitôt qu’il a pu ou aurait dû l’apprécier, l’influence que ces ordres pourraient avoir sur le déroulement et le coût du marché, et, à l’alinéa 4, qu’en tout état de cause, lesdites réclamations ou requêtes ne sont pas recevables lorsque la dénonciation des faits ou des circonstances incriminés, y compris l’information visée à l’alinéa 3, n’a pas eu lieu par écrit dans les trente jours de leur survenance ou de la date à laquelle l’adjudicataire aurait normalement dû en avoir connaissance.
Il suit de ces dispositions que l’adjudicataire est déchu des droits que lui accorde l’article 54 précité en raison d’un ordre écrit du pouvoir adjudicateur susceptible d’avoir une influence sur le déroulement et le coût du marché, s’il ne l’a signalée dans les trente jours du moment où il a pu ou aurait dû apprécier, non cette influence, mais l’éventualité de celle-ci.
L’arrêt observe « qu’un ordre écrit émanant de [la demanderesse], adjudicateur, a donné lieu à l’arrêt des travaux », rappelle que « le seul fait qu’il y ait un ordre d’arrêter les travaux n’implique pas la possibilité d’introduire un décompte d’indemnisation fondé sur l’article 55 de l’arrêté royal [précité, qui requiert que] l’arrêt [des travaux ait] une certaine durée et plus particulièrement un vingtième du délai d’exécution », et énonce que, « l’arrêt [des travaux] étant intervenu le 15 septembre 2016 et les travaux étant prévus pour 380 jours, le vingtième évoqué par l’article 55 porte l’ouverture à l’indemnisation dix-neuf jours après le 15 septembre 2016, soit le 4 octobre 2016 ».
En considérant que « le prescrit de l’article 52 [précité] est [...] rencontré » dès lors que « la [défenderesse] a dénoncé l’influence de l’arrêt de chantier à la [demanderesse] par lettre du 25 octobre 2016, soit dans les trente jours » suivant le 4 octobre 2016, date avant laquelle « aucune possibilité d’indemnisation n’était ouverte pour la [défenderesse], en d’autres termes, il n’y avait encore aucune influence du fait de l’arrêt de chantier », l’arrêt viole l’article 52, alinéa 4, de l’arrêté royal du 14 janvier 2013.
Le moyen est fondé.
Et il n’y a pas lieu d’examiner les deuxième et troisième moyens, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué, sauf en tant qu’il reçoit l’appel ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Marie-Claire Ernotte, ArianeJacquemin, Maxime Marchandise et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du huit mars deux mille vingt-quatre par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.