N° P.22.0117.F
CL. T.
partie civile,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Gilles Genicot, avocat à la Cour de cassation, et ayant pour conseil Maître Marc Kauten, avocat au barreau du Luxembourg,
contre
1. M. M. K.
prévenu,
2. BALOISE INSURANCE, société anonyme,
partie intervenue volontairement,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 20 décembre 2021 par le tribunal correctionnel du Luxembourg, division Arlon, statuant en degré d'appel.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 5 février 2024, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe.
A l’audience du 13 mars 2024, le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur l’ensemble du premier moyen :
Le demandeur fait valoir que, par un jugement du 11 mars 2009, non frappé d’appel, le tribunal de police avait condamné chacun des deux défendeurs à lui payer une indemnité provisionnelle.
Il soutient que le tribunal correctionnel n’a pu, dès lors, s’abstenir de condamner un des deux défendeurs, en l’espèce le prévenu, sans violer la chose jugée en première instance, méconnaître le principe dispositif, omettre de statuer sur un chef de demande, ou rester en défaut d’en motiver le rejet.
Statuant sur l’indemnisation définitive du préjudice, le tribunal de police a rendu, le 1er décembre 2020, un jugement condamnant tant le prévenu que son assureur à indemniser la partie civile.
Il n’apparaît pas, des pièces de la procédure, que le prévenu et la partie civile aient relevé appel de cette décision. Celle-ci n’a été entreprise que par l’assureur.
Il en résulte que, statuant dans les limites circonscrites par le seul appel de la défenderesse, le tribunal était sans pouvoir pour connaître de l’action civile exercée contre le défendeur.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur les deuxième et troisième moyens réunis :
Pris de la violation de l’article 1382 de l’ancien Code civil, les moyens reprochent au tribunal de rejeter la méthode de la capitalisation pour évaluer le dommage futur induit par la diminution permanente, fixée par l’expert à neuf pour cent, de la capacité ménagère et économique du demandeur.
Le demandeur soutient d’abord que lorsque la base forfaitaire d’un calcul de capitalisation est susceptible de varier dans le temps, mais dans une mesure qui peut être déterminée, il y a lieu de recourir à la capitalisation, sur des bases qui peuvent être progressives ou dégressives. Il fait ensuite valoir que le tribunal ne pouvait pas tenir compte du « faible taux de l’incapacité ménagère » et de la « faible réduction de la capacité de travail », étant donné que la capitalisation est un mode de calcul de l’indemnité qui ne nécessite pas un taux minimal d’incapacité. Le demandeur expose enfin que, en considérant que le dommage ménager sera « variable ou évolutif » et que le dommage économique « évoluera certainement et ne sera pas ressenti uniformément tous les jours d’activité professionnelle », le jugement attaqué ne prend pas en compte les circonstances concrètes de la cause et énonce des affirmations spéculatives qui sont contraires à l’obligation du juge d’évaluer le préjudice au moment où il statue. Selon le demandeur, par ces motifs qui se rapportent à l’existence et à la nature des dommages mais sont étrangers à leur mode d’évaluation, le tribunal n’a pas légalement justifié sa décision de les évaluer forfaitairement.
Il ne ressort pas des pièces de la procédure, notamment les conclusions de synthèse du demandeur déposées au greffe du tribunal de première instance du Luxembourg le 29 septembre 2021 et le procès-verbal de l’audience de ce tribunal du 15 novembre 2021, que le demandeur ait fait valoir devant le juge d’appel, à l’appui de sa demande d’évaluer les postes précités de son dommage par la méthode de la capitalisation, que la base forfaitaire de ce calcul était, comme les moyens l’affirment, « susceptible de varier dans le temps mais dans une mesure qui peut être déterminée » et que cette méthode devait par conséquent être suivie « sur des bases qui peuvent être progressives ou dégressives ». Au contraire, le demandeur a fait valoir dans lesdites conclusions qu’« il sera démontré en page 15 que [l’incapacité] présente toujours un caractère linéaire et permanent », et, à la page 16, que « les séquelles sont à tout le moins linéaires et permanentes ».
Soulevé pour la première fois devant la Cour et exigeant un examen en fait qui n’est pas en son pouvoir, le moyen, dans cette mesure, est irrecevable.
En vertu de l’article 1382 de l’ancien Code civil, celui qui, par sa faute, a causé un dommage à autrui est tenu de le réparer et la victime a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’elle a subi.
Le juge du fond apprécie en fait l’existence d’un dommage causé par un acte illicite et le montant destiné à le réparer intégralement. Il peut recourir à une évaluation en équité du dommage s’il indique la raison pour laquelle le mode de calcul proposé par la victime ne peut être admis et s’il constate en outre l’impossibilité de déterminer autrement le dommage tel qu’il l’a caractérisé.
En tant que méthode d’indemnisation d’un préjudice futur, la capitalisation se définit comme un calcul actuariel consistant à convertir en une somme l’ensemble des indemnités à échoir. Cette méthode suppose donc un minimum d’équivalence entre les échéances de la rente due et le préjudice annuel se manifestant jusqu’à la fin de la durée déterminée par le calcul.
Certes, le juge ne peut pas refuser la capitalisation au motif que le préjudice ne se manifestera pas de manière linéaire. Il ne peut pas non plus la refuser au prix d’une contradiction qui consisterait à dire que l’incapacité permanente, en réalité, ne l’est pas. En revanche, il peut la refuser si, l’équivalence susdite étant impossible à établir, cette méthode conduirait à allouer à la victime une somme dépassant le préjudice à indemniser.
Le jugement attaqué considère d’abord que « vu le faible taux de l’incapacité ménagère (atteinte de moins d’un dixième de sa capacité) et la situation personnelle ?du demandeur? qui a évolué très sensiblement ces dernières années et va forcément évoluer encore vu l’âge de son fils et celui de sa nouvelle compagne, ?son? préjudice lié à la diminution de sa capacité à exercer des tâches ménagères (qui comprennent plus que l’entretien de la maison mais aussi notamment l’éducation des enfants) ne sera pas ressenti au jour le jour avec la même intensité mais sera variable ou évolutif ». Le jugement énonce également qu’ « il n'est, en conséquence, pas possible d’effectuer un calcul du dommage [résultant de l’incapacité ménagère] par la voie de la capitalisation ».
Le tribunal correctionnel a ensuite décidé que, eu égard aux éléments du rapport d’expertise, dont l’âge de la victime au moment de la consolidation (48 ans), la nature de son incapacité (séquelles au poignet gauche) et le taux d’invalidité retenu par l’expert, le dommage résultant de l’incapacité ménagère sera réparé par l’allocation d’une indemnité forfaitaire de 720 euros par point d’incapacité, soit une somme de 6.480 euros.
En ce qui concerne l’indemnisation de l’atteinte à la capacité de travail du demandeur sur le marché général de l’emploi, le tribunal a jugé que « vu la nature des séquelles, la formation et la profession ?du demandeur?, le dommage économique de celui-ci, modéré, ne présente pas les nécessaires caractères de constance, de régularité et de linéarité », qu’« il évoluera certainement » et qu’il « ne sera pas ressenti uniformément tous les jours d’activité professionnelle ». Sur ce fondement, le tribunal a alloué au demandeur, au titre d’indemnisation de son incapacité économique permanente, le même montant forfaitaire que celui qu’il a accordé pour l’incapacité ménagère.
Par ces motifs, qui n’ont pas le caractère spéculatif que les moyens leur prêtent et ne sont pas étrangers au mode d’évaluation des préjudices, le jugement indique les circonstances concrètes de la cause qui rendent impossible l’évaluation des dommages résultant des incapacités ménagères et économiques par la voie de la capitalisation et justifie légalement sa décision de recourir à une évaluation forfaitaire de ces dommages.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de septante-quatre euros onze centimes dont trente-neuf euros onze centimes dus et trente-cinq euros payés par ce demandeur.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.