N° P.23.1422.F
Ö. C.,
accusé,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Ricardo Bruno et Samuel Panis, avocats au barreau de Charleroi,
contre
A. S., agissant en nom propre et en qualité d’administratrice des biens de sa fille mineure N. A.
partie civile,
défenderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Nabil Khoulalene, avocat au barreau de Charleroi.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt civil rendu le 5 octobre 2023 par la cour d’assises de la province de Hainaut.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
A la suite du dépôt de nouvelles pièces de la procédure, le demandeur a remis au greffe de la Cour, le 19 février 2024, une note annexée au présent arrêt, en copie certifiée conforme, par laquelle il complète le moyen.
A l’audience du 21 février 2024, le conseiller Tamara Konsek a fait rapport et l’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le moyen :
1. Par un arrêt de motivation de la cour d’assises de la province de Hainaut du 25 mars 2015, le demandeur a été reconnu coupable, notamment, de coups ou blessures volontaires ayant causé une incapacité de travail personnel au préjudice de Y. A.. Cette même décision déclare un co-accusé coupable d’homicide volontaire à l’égard de la même victime.
L’arrêt attaqué statue sur les intérêts civils de la défenderesse qui réclamait l’indemnisation du dommage moral subi par le décès de Y. A. et l’indemnisation du dommage matériel résultant de la perte du revenu professionnel que celui-ci consacrait au ménage qu’il formait avec elle et leur enfant commun.
2. Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 780 du Code judiciaire, 44 et 50 du Code pénal, et 1382 et 1383 de l’ancien Code civil, ainsi que de la méconnaissance de l’obligation de motivation des jugements et arrêts.
Il reproche à l’arrêt attaqué de considérer qu’il existe un lien causal entre les coups portés à la victime et le décès, sans répondre aux conclusions qui contestaient ce lien en faisant, en substance, valoir les éléments suivants :
- le co-accusé s’était montré vindicatif envers la victime avant que le demandeur ne porte des coups à celle-ci ;
- le demandeur n’était pas animé d’une intention homicide mais, au contraire, avait cherché à retenir le co-accusé et à faire fuir la victime par des tirs de semonce ;
- si ces tirs ont provoqué la colère du co-accusé, celui-ci a ensuite aperçu le demandeur et, partant, ne pouvait craindre pour lui ;
- s’il a porté des coups alors que la victime avait chuté au sol, le demandeur ignorait l’intention du co-accusé qui, de manière imprévisible, a fait feu à plusieurs reprises en direction de la victime qui se trouvait debout et ne recevait plus de coups ;
- après avoir entendu plusieurs détonations et vu le co-accusé pointer l’arme sur la tête de la victime, le demandeur est immédiatement intervenu pour empêcher le tir.
Le moyen soutient également que l’arrêt ne permet pas davantage de comprendre comment la victime, à supposer que sa résistance n’eût pas été amoindrie par les coups assénés par le demandeur, aurait pu échapper à la détermination homicide du co-accusé, à défaut d’opposer des motifs différents ou contraires à ceux du demandeur, selon lesquels ni les tirs de semonce ni la scène de coups n’avaient pu causer ou faciliter le décès qui était exclusivement imputable au geste imprévisible du co-accusé.
Le moyen en déduit que la Cour n’est pas en mesure d’exercer le contrôle de légalité au regard des articles 44 et 50 du Code pénal, et 1382 et 1383 de l’ancien Code civil.
Dans la note complémentaire, le demandeur fait valoir que l’absence de réponse aux éléments précités de ses conclusions ressort également de la circonstance, révélée par les nouvelles pièces, que ses conclusions de synthèse, pourtant contradictoirement déposées et visées à l’audience de plaidoiries du 8 septembre 2023, ont été égarées par le greffe et n’ont dès lors pas été prises en considération par la cour d’assises durant son délibéré. Selon le demandeur, cette situation lui cause manifestement grief puisque lesdites conclusions de synthèse contiennent, par rapport aux premières conclusions appelées « conclusions principales sur intérêts civils », les ajouts suivants par lesquels il contestait pour la première fois deux éléments du dossier répressif que, précisément, la cour d’assises a retenus : d’une part, les termes de la déclaration du témoin W., selon lesquels la victime se trouvait debout lorsque le co-accusé a tiré sur elle, et, d’autre part, les propres affirmations du demandeur selon lesquelles il n’a en rien encouragé le co-accusé mais, au contraire, a tenté de le calmer, avec la précision que le coup de feu mortel n’a pas été provoqué par son propre tir de semonce.
3. Il ressort de la procédure que, dans ses premières conclusions, le demandeur avait déjà contesté le lien causal entre les coups qu’il avait portés à la victime et le décès de celle-ci à la suite des tirs, en faisant valoir, par renvoi notamment à la déclaration du témoin précité, que la victime se trouvait debout avant les coups de feu.
Dans la mesure où il soutient le contraire, le moyen manque en fait.
4. Le juge satisfait à l’obligation de motiver les jugements et arrêts, et de répondre aux conclusions d’une partie, lorsque sa décision comporte l’énonciation des éléments de fait ou de droit à l’appui desquels une demande, une défense ou une exception sont accueillies ou rejetées. Le juge n’est pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ni de répondre à l’énonciation d’un fait indifférent à la solution du litige.
L’article 50 du Code pénal prévoit la solidarité de plein droit entre les débiteurs de dommages-intérêts lorsqu’ils ont été condamnés pour la même infraction.
Si plusieurs prévenus sont poursuivis pour des infractions distinctes et qu’il est établi, en fait, que par leurs fautes concurrentes chacun d’eux a causé l’entièreté du préjudice, tous peuvent être condamnés in solidum, soit chacun pour le tout, et ceci non plus en vertu de l’article 50 du Code pénal mais par application de l’article 1382 de l’ancien Code civil, puisque chacune des fautes retenues est considérée comme la cause du dommage, en ce sens que si l’un des facteurs n’avait pas été présent, le dommage ne se serait pas produit de la même manière.
Ainsi, pour que le lien causal entre le dommage et la faute soit écarté, il ne suffit pas de constater que, en l’absence de cette faute, le dommage se serait également produit. Il faut aussi établir que, sans cette faute, le dommage se serait produit tel qu’il s’est réalisé.
5. L’arrêt considère que le fait que les coups portés à la victime n’étaient pas de nature, à eux seuls, à causer la mort, ne peut justifier l’absence de causalité et qu’il y a lieu d’examiner si, en l’absence de la scène de coups, le dommage, tel qu’il a été subi, se serait, ou non, réalisé.
A cet égard, l’arrêt relève en substance que, préalablement aux coups de feu, le demandeur, le co-accusé et une troisième personne se sont lancés à la poursuite de la victime et l’ont fait tomber au sol pour ensuite la frapper, avant que le co-accusé ne tire à plusieurs reprises sur elle, ce qui a entraîné son décès. Il précise que c’est à la faveur de l’état de particulière vulnérabilité de la victime que les tirs ont eu lieu dès lors que, pour retenir l’intention homicide dans le chef du co-accusé, l’arrêt de motivation de la cour d’assises indique que certains témoins ont qualifié la victime de personne en détresse, et que le coup mortel l’a touchée dans le dos alors qu’elle se trouvait allongée, face contre le sol. L’arrêt ajoute que, selon le témoin W., deux ou trois hommes ont couru vers la victime avant de lui porter des coups auxquels elle n’a pas pu riposter et que celle-ci est tombée au sol et a encore reçu plusieurs coups, dont des coups de pied au visage, lorsque, concomitamment, un homme est arrivé, a tiré trois coups de feu sans hésitation et a encore tiré trois ou quatre fois à environ trente centimètres de la victime qui s’effondrait sur le sol.
Par l’ensemble de ces énonciations, dont la cour d’assises a pu déduire que, sans les coups qui ont immobilisé la victime à terre, le co-accusé n’aurait pas pu tirer à courte distance sur elle et l’atteindre mortellement, l’arrêt indique que la responsabilité du demandeur résulte de sa faute concurrente qui a contribué à causer l’entièreté du préjudice invoqué.
Ainsi, par une appréciation contraire qu’il n’est pas au pouvoir de la Cour de censurer, l’arrêt répond à la défense invoquée selon laquelle les coups portés par le demandeur sont sans lien causal avec le décès de la victime. La cour d’assises n’était pas tenue de répondre, en outre, à la défense selon laquelle le demandeur n’était pas animé d’une intention homicide et n’avait pas encouragé le tir mortel, devenue sans pertinence en raison de sa décision.
Partant, l’arrêt motive régulièrement et justifie légalement sa décision.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quatre-vingt-quatre euros vingt et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre par Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.