N° P.24.0132.F
D. P.
interné, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Sandra Berbuto, avocat au barreau de Liège-Huy, et Nicolas Crutzen, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 16 janvier 2024 par le tribunal de l’application des peines de Bruxelles, chambre de protection sociale.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire déposé au greffe le 29 janvier 2024.
A l’audience du 21 février 2024, le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport et l’avocat général Damien Vandermeersch a conclu à l’irrecevabilité du pourvoi.
Le demandeur a déposé, le 6 mars 2024, une note en réponse par application de l’article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire, annexée au présent arrêt en copie certifiée conforme, dans laquelle il sollicite la Cour de poser à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle relative à la recevabilité du pourvoi.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur la recevabilité du pourvoi :
1. En vertu de l’article 78 de la loi du 5 mai 2014 relative a l’internement, ci-après la loi relative à l’internement, sont susceptibles de pourvoi en cassation par le ministère public et l’avocat de la personne internée :
- les décisions relatives a l'octroi, au refus ou a la révocation de la détention limitée, de la surveillance électronique, de la libération a l'essai et de la libération anticipée en vue de l'éloignement du territoire ou de la remise,
- les décisions relatives a la révision conformément a l'article 62 de la loi,
- la libération définitive et la décision d'internement d'un condamne prise conformément a l'article 77/7 de la loi.
Le jugement attaqué refuse les permissions de sortie sollicitées par le demandeur.
L’article 78 précité ne prévoit pas que l’avocat de la personne internée puisse former un pourvoi en cassation contre une telle décision.
Il s’ensuit que, suivant cet article, le pourvoi du demandeur est irrecevable.
2. Il résulte de ce qui précède que la loi relative à l’internement traite différemment, du point de vue de l’admissibilité du pourvoi en cassation contre les décisions de la chambre de protection sociale, les personnes internées à l’égard desquelles cette juridiction prend une des décisions visées à l’article 78, comme par exemple une décision relative a l'octroi, au refus ou a la révocation de la détention limitée, et les personnes internées à l’égard desquelles elle prend une décision relative à l’octroi, au refus ou à la révocation d’une permission de sortie ou d’un congé.
La personne internée qui fait partie de la première catégorie peut, à l’intervention de son avocat, former un pourvoi en cassation contre la décision dont elle fait l’objet, tandis que celle qui ressortit à la seconde catégorie ne peut pas introduire ce recours.
3. En vertu des articles 10 et 11 de la Constitution, le législateur doit respecter le principe d’égalité et de non-discrimination.
Ce principe n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
4. L’article 2, alinéa 1er, de la loi relative à l'internement dispose que l’internement de personnes atteintes d'un trouble mental est une mesure de sûreté destinée à la fois à protéger la société et à faire en sorte que soient dispensés à la personne internée les soins requis par son état en vue de sa réinsertion dans la société.
Le second alinéa de cet article énonce que, compte tenu du risque pour la sécurité et de l'état de santé de la personne internée, celle-ci se verra proposer les soins dont elle a besoin pour mener une vie conforme à la dignité humaine. Ces soins doivent permettre à la personne internée de se réinsérer le mieux possible dans la société et sont dispensés - lorsque cela est indiqué et réalisable - par le biais d'un trajet de soins de manière à être adaptés à la personne internée.
5. L’article 20 de la loi relative à l’internement dispose que la permission de sortie est une modalité d’exécution de l’internement qui permet à la personne internée de quitter l'établissement pour une durée déterminée qui ne peut excéder seize heures. Les permissions de sortie peuvent être accordées à la personne internée en vue 1° de défendre des intérêts affectifs, sociaux, moraux, juridiques, familiaux, thérapeutiques, de formation ou professionnels qui requièrent sa présence hors de l'établissement ; 2° de subir un examen ou un traitement médical en dehors de l'établissement ; 3° de préparer sa réinsertion sociale. Elles peuvent être accordées avec une périodicité déterminée.
Suivant l’article 23, § 1er, de la loi relative à l’internement, la détention limitée est une modalité d'exécution de la décision d'internement qui permet à la personne internée de quitter, de manière régulière, l'établissement pour une durée maximum de seize heures par jour. Le second paragraphe de cet article énonce que la détention limitée peut être accordée à la personne internée afin de défendre des intérêts thérapeutiques, professionnels, de formation ou familiaux qui requièrent sa présence hors de l'établissement.
6. Il ressort du texte de la loi relative à l’internement, de ses travaux préparatoires et des principes généraux qui ont guidé le législateur dans son élaboration que, outre la protection de la société, l’internement et les modalités d’exécution de cette mesure tendent à préparer la réinsertion de la personne internée dans la société en lui dispensant les soins requis par son état.
7. Ainsi qu’il a été relevé plus haut, la permission de sortie peut être accordée en vue de préparer la réinsertion sociale de la personne internée.
Tant la permission de sortie que la détention limitée peuvent être accordées en vue de défendre des intérêts thérapeutiques, professionnels, de formation ou familiaux de la personne internée qui requièrent sa présence hors de l'établissement. La loi prévoit aussi que la permission de sortie peut être accordée à la personne internée en vue de subir un examen ou un traitement médical en dehors de l’établissement.
Les modalités de la permission de sortie et de la détention limitée ont en commun la caractéristique que la personne internée continue à résider de manière obligatoire dans l’établissement, puisque l’une et l’autre modalité lui permettent seulement de quitter l’établissement pour une durée déterminée.
Dans le cas de la permission de sortie, l’autorisation de sortie ne peut excéder seize heures, et dans le cas de la détention limitée, la durée maximum est de seize heures par jour. La première modalité peut être accordée de manière ponctuelle ou avec une périodicité déterminée ; la seconde permet de quitter l’établissement de manière régulière.
8. Au vu des éléments qui précèdent, la question se pose de savoir si l’absence de pourvoi contre une décision relative à l'octroi ou au refus de la permission de sortie est conforme au principe d’égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution.
Il y a lieu, en application de l’article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, de poser, à titre préjudiciel, la question énoncée au dispositif du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Sursoit à statuer sur le pourvoi jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle ait répondu à la question préjudicielle suivante :
« L’article 78 de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où, en vertu de cette disposition légale, les décisions de la chambre de protection sociale relatives à l'octroi ou au refus de la détention limitée sont passibles de pourvoi en cassation par le ministère public et l'avocat de la personne internée, alors que les décisions de la chambre de protection sociale relatives à l’octroi ou au refus de la permission de sortie ne peuvent pas faire l’objet d’un pourvoi en cassation ? ».
Réserve les frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre par Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.