N° C.23.0305.F
S. D.-C.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Jacqueline Oosterbosch et Maître Gilles Genicot, avocats à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
AG INSURANCE, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard Émile Jacqmain, 53, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0404.494.849,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le
22 septembre 2022 par le tribunal de première instance du Hainaut, statuant en degré d’appel.
Le 12 mars 2024, l’avocat général Thierry Werquin a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport et l’avocat général Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite du défaut d’intérêt :
De ce qu’il énonce que « l’importance du taux d’incapacité retenu ne conditionne pas, à elle seule, l’admission ou le rejet de la méthode de capitalisation », il ne résulte pas que le jugement attaqué refuse d’appliquer la méthode de la capitalisation proposée par le demandeur au motif que le taux de son incapacité personnelle permanente ne s’élève qu’à 5 p.c. et que le taux de ses incapacités ménagère et économique permanentes n’a été fixé qu’à 2 p.c.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen :
Celui qui, par sa faute, a causé un dommage à autrui est tenu de le réparer et la victime a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’elle a subi.
Le juge évalue in concreto le préjudice causé par un fait illicite.
Il peut recourir à une évaluation en équité du dommage à la condition qu’il indique les motifs pour lesquels il ne peut admettre le mode de calcul proposé par la victime et qu’il constate l’impossibilité de déterminer autrement le dommage.
Dans ses conclusions, le demandeur demandait, pour le dommage passé résultant de son incapacité personnelle permanente, la somme de 5 222 euros et, pour le dommage futur résultant de son incapacité personnelle permanente, qu’il soit procédé à la capitalisation de ce dommage suivant la formule qu’il indiquait, pour le dommage passé résultant de son incapacité ménagère permanente, la somme de 1 537,31 euros, et, pour le dommage futur résultant de son incapacité ménagère permanente, qu’il soit procédé à la capitalisation de ce dommage suivant la formule qu’il indiquait, et, pour le dommage passé résultant de son incapacité économique permanente, la somme de 3 674,79 euros, et, pour le dommage futur résultant de son incapacité économique permanente, qu’il soit procédé à la capitalisation de ce dommage suivant la formule qu’il indiquait, et, subsidiairement, il faisait valoir, s’agissant de la proposition subsidiaire de la défenderesse d’indemniser ces dommages par l’octroi d’une rente viagère, que « cette proposition devra, en tous les cas, être préférée au forfait » et que cette rente devrait être calculée sur la base des montants journaliers qu’il indiquait et être indexée chaque année sur la base de l’indice-santé.
Après avoir constaté que « les experts ont fixé la date de consolidation au 31 mars 2012 et ont retenu une incapacité personnelle permanente de 5 p.c. avec répercussion ménagère et économique de 2 p.c. », le jugement attaqué relève que « les experts ont pris en considération, pour fixer les taux d’incapacité à partir de la consolidation arrêtée au 31 mars 2012, les plaintes suivantes : ‘Spontanées : est sur la défensive, surtout en voiture ; est extra vigilant, même en traversant la rue ; fait état de céphalées de localisation variable, non quotidiennes mais nécessitant la prise de Dafalgan qui s’avère efficace ; douleurs à la tête de type barre ; réminiscences nocturnes ; (...) fait état de troubles de la concentration : a du mal à rester sur sa tâche. Sur interpellation : très rares vertiges ; très rares acouphènes [...]. Le docteur C. précise que, le 18 août 2016, le patient émettait également les plaintes suivantes : sursaut au moindre bruit : cela persiste ; plus de troubles de la vision, difficulté de mémorisation’ ».
Il considère qu’« il s’agit de plaintes éminemment subjectives », qu’« aucune lésion physique entraînant un amoindrissement anatomique n’est constatée », que « les céphalées sont décrites comme ‘de localisation variable, non quotidiennes mais nécessitant la prise de Dafalgan qui s’avère efficace’, pour lesquelles les experts ont prévu comme traitement post consolidation trois boîtes de Dafalgan ‘et au-delà, éventuellement calculée sur la base d’un relevé pharmaceutique’ », que le demandeur « n’établit pas la nécessité de recourir à la prise de Dafalgan depuis la consolidation mais indique en consommer 3 ou 4 comprimés par semaine », que « les vertiges et acouphènes sont qualifiés de ‘très rares’ » et que, « pour le surplus, il évoque être sur la défensive ‘surtout en voiture’, être ‘extra vigilant, même en traversant Ia rue’, mais ne pas avoir de suivi psychiatrique ».
Il ajoute qu’« il ne ressort pas de ces plaintes que la vie [du demandeur] est entravée de manière statique, quotidienne, voire récurrente, mais bien que la fréquence à laquelle son préjudice se manifeste présente un caractère de variabilité incompatible avec la méthode de capitalisation », que « l’ampleur du préjudice à indemniser, qui ne présente aucun caractère statique, ne peut dès lors être déterminée sur la base de sa fréquence, qui ne constitue en l’espèce pas un élément déterminant », qu’« à défaut de pouvoir déterminer une base de calcul périodique et constante, il n’y a pas lieu de recourir à la méthode de la capitalisation et que l’évaluation du dommage découlant de l’incapacité permanente partielle ne pourra se faire qu’en équité », et que « l’allocation d’une rente ne se justifie également que lorsque le dommage se manifeste de façon périodique, régulière et récurrente et sera dès lors, par identité de motifs, écartée ».
Par ces motifs, relatifs à l’existence et la nature du dommage mais étrangers à son évaluation, le jugement attaqué, qui retient que ce dommage est permanent, ne justifie pas légalement sa décision d’indemniser ledit dommage de manière forfaitaire.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaqué en tant qu’il statue sur le dommage résultant des incapacités personnelle, ménagère et économique permanentes du demandeur et sur les dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance du Brabant wallon, siégeant en degré d’appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du vingt-neuf mars deux mille vingt-quatre par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.