N° C.23.0376.F
J.-C. A., avocat, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société en commandite simple […],
demandeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,
contre
1. M. L., et
2. E. B.,
3. B. B.,
défendeurs en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 20 juin 2022 par la cour d’appel de Mons.
Le 20 mars 2024, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport et l’avocat général Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
L’arrêt considère que la « demande [du demandeur] doit être […] rejetée [en raison de l’article 203 du Code des sociétés] en ce qu’elle vise la condamnation des [défendeurs] à lui payer ses honoraires non taxés et partant non exigibles, pour lesquels il ne dispose d’aucun titre ».
Ces considérations, non critiquées, suffisent à fonder la décision de l’arrêt de dire non fondée la demande du demandeur relative à ses frais et honoraires en ce qu’elle excède la somme de 10 769,12 euros.
Dans cette mesure, le moyen, qui ne saurait entraîner la cassation, est dénué d’intérêt, partant, irrecevable.
Pour le surplus, l’article 202 du Code des sociétés dispose que la société en commandite simple est celle que contractent un ou plusieurs associés responsables et solidaires, que l’on nomme commandités, et un ou plusieurs associés simples bailleurs de fonds, que l’on nomme commanditaires.
En vertu de l’article 207, § 2, du même code, l’associé commanditaire est solidairement tenu, à l’égard des tiers, de tous les engagements de la société, même de ceux auxquels il n’aurait pas participé, s’il a habituellement géré les affaires de la société.
Il suit de ces dispositions que les commandités et les commanditaires qui ont habituellement géré les affaires de la société sont tenus solidairement et de manière illimitée au respect des obligations de la société, quels que soient leur cause ou le moment où elles sont nées.
L’article 99 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites dispose que le montant de l’actif du failli, déduction faite des frais et dépens de l’administration de la faillite, des secours qui auraient été accordés au failli et à sa famille et des sommes payées aux créanciers privilégiés, est réparti entre tous les créanciers, au marc le franc de leurs créances.
Aux termes de l’article 79, alinéa 1er, de cette loi, lorsque la liquidation de la faillite est terminée, le failli et les créanciers sont convoqués par les curateurs, sur ordonnance du juge-commissaire, rendue au vu des comptes des curateurs, et le compte simplifié des curateurs reprenant le montant de l’actif, les frais et honoraires des curateurs, les dettes de la masse et la répartition aux différentes catégories de créanciers, est joint à cette convocation.
Il résulte de ces deux dispositions que les frais et dépens de l’administration de la faillite, dont notamment les frais et honoraires du curateur, sont une dette du failli.
Partant, les commandités et les commanditaires qui ont habituellement géré les affaires d’une société en commandite simple sont tenus solidairement et de manière illimitée aux frais et dépens de l’administration de la faillite de cette société.
L’arrêt décide qu’« en leur qualité d’associés commandités, commanditaires et gérants, les [défendeurs] sont solidairement et indéfiniment responsables des dettes de la société en commandite simple [faillie] sur leur patrimoine personnel, en application des articles 202 et 207 du Code des sociétés », que « le curateur peut introduire l’action tendant à l’apurement du passif de la société faillie contre les associés tenus solidairement avec la société » et que les défendeurs sont tenus à ce titre de payer le passif social de 139 046,78 euros admis à la faillite.
S’agissant de l’état d’honoraires et frais de 10 769,12 euros du demandeur, l’arrêt considère que « la nature et la mission du curateur excluent que ses frais et honoraires soient qualifiés de dette contractée par la société en commandite simple, dont sont tenus les [défendeurs] en application de l’article 202 du Code des sociétés », que « le curateur est un mandataire judiciaire dont la mission générale consiste à réaliser les actifs du failli et à en distribuer le produit : il représente tantôt les créanciers, tantôt le failli en vertu de la loi », que « les frais et honoraires du curateur constituent des dettes de la masse, et non des dettes dans la masse », que « les dettes de la masse doivent être payées par priorité sur les actifs réalisés, et non ajoutées au passif social dont [les défendeurs] sont tenus », que « les dettes de la masse ne lient le failli qu’en tant que propriétaire des biens constituant le gage commun de ses créanciers, mais qu’elles ne le lient pas personnellement », que « le failli n’est pas tenu personnellement au paiement des frais et honoraires du curateur qui doivent être imputés sur le montant des actifs réalisés », qu’« il s’en déduit que l’état de frais et honoraires du curateur et les dettes de la masse contractées par le curateur ne constituent pas des dettes de la société en commandite simple dont les associés sont solidairement et indéfiniment responsables », que la doctrine « suivant laquelle le failli est personnellement tenu, après la clôture de la faillite, de payer les dettes de la masse que l’actif n’aurait pas permis d’apurer en priorité, même s’il a été déclaré excusable », n’est pas pertinente dès lors qu’elle vise « l’hypothèse d’une insuffisance de la masse » et qu’« en l’espèce, au contraire, le montant total des frais et honoraires revendiqués par le curateur à titre de dette de la masse est nettement inférieur au montant des actifs réalisés et pourra être apuré sans difficulté avant la clôture de la faillite ».
Par ces considérations, l’arrêt ne justifie pas légalement sa décision de dire non fondée la demande du demandeur de condamner les défendeurs à la somme de 10 769,12 euros.
Dans la mesure où il est recevable, le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il dit non fondée la demande du demandeur de condamner les défendeurs à la somme de 10 769,12 euros et qu’il statue sur les dépens ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Mireille Delange et Michel Lemal, les conseillers Marielle Moris et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du douze avril deux mille vingt-quatre par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.